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Petit précis du discours de Paul Kagame à la diaspora rwandaise d’Europe.

Petit précis du discours de Paul Kagame à la diaspora rwandaise d’Europe.

Président P. Kagame

Président P. Kagame

L’événement eut lieu ce samedi passé, le 04 décembre, au Cinquantenaire à Bruxelles. Le président du Rwanda, Paul Kagame, lors de son passage dans la capitale européenne, a décidé d’inviter toute la diaspora rwandaise du Vieux Continent pour une rencontre des plus diplomatiques. L’attente et l’accès étaient un vrai parcours de combattant. D’abord, il fallait faire passer plus de 2000 personnes, un par un, au détecteur et fouilles systématiques, au point de se demander si ces exigences extrêmes de Kagame étaient fondées ou s’agissait-il de simples caprices d’un chef d’Etat. En effet tout semblait être sous contrôle et la sécurité y était stricte. Ils n’ont pas lésé sur les moyens et dispositifs de sécurités (qui étaient en collaboration étroite avec la police fédérale belge). Les appareils photos et GSM (même éteints) étaient strictement prohibés. Il y avait un véritable réseau anti-terroriste prêt à intervenir pour sauver le président rwandais. Mais le sauver de quoi ? De l’autre foule bien sûre – postée dehors sous la neige et brandissant des panneaux anti-Kagame « War Criminal», à la sortie du métro (Mérode). Les indésirables !

Dans le hall d’entré la foule s’impatientait, mais restait sous contrôle. C’est avec une discipline quelque peu médiocre qu’ils avançaient afin de voir leur héros Kagame. Les « ils » c’est la diaspora rwandaise. Cette dernière était variée en âges : du bébé dans sa poussette à la grand-mère. Quand soudain, tout ce beau monde amassé à l’entrée fût perturbé, le temps d’un instant, par une femme (terroriste !) qui entra et brandit une affiche à fond rouge-sang représentant le dictateur! Elle criait en même temps « Kagame Assassin ! ». Le public, alors occupé à se hisser vers l’étroit accès, fut sous le choc et commença à la huer très fort. Elle fut aussitôt refoulée dehors…dans la neige, par la sécurité. Une fois la longue file décongestionnée, c’est une atmosphère toute autre, plus aérée, qu’a rencontré le public à l’étage. Assis, on commença à distribuer des petits drapeaux de l’Etat du Rwanda. Et après de brèves introductions, la foule aperçut aussitôt arriver le président Paul Kagame. Le public applaudit, sans plus. Était-ce le froid ?

C’est après une brève analyse de son discours retransmis par après, qu’on peut en retirer quelques points forts. A commencer: tous les débats étaient en kinyarwanda. Et d’emblée, on retrouve le cynisme légendaire de Paul Kagame. Tantôt calme, voire nonchalant, tantôt farouche: il annonça que sa venue entrait dans le cadre  des journées européennes du développement du 06 au 07 décembre dans la capitale européenne. Notamment qu’il a été invité à donner un speech sur la promotion et l’égalité des sexes dans lutte contre la pauvreté. On peut dire que c’est quand même dommage qu’il s’agisse de cette égalité là uniquement, car on ne peut pas en dire autant pour le reste.

En effet, qu’en est-il du reste ? Il est étonnant de la part de la commission européenne d’avoir comme invité prestige un personnage qui a été hué il y a peu par la communauté internationale pour ne pas avoir respecté les droits fondamentaux de démocratie et de libertés dans son pays, qu’est le Rwanda. S’ajoute à cela le rapport mapping accablant de l’ONU sur les crimes commis, lui et ses alliés, à l’est du Congo de 1993 à 2003 : dont le plus grave chef d’accusation est celui de crimes contre l’humanité et de génocide. Donc ma question est celle-ci : comment est-il concevable d’inviter un chef d’Etat qui vient promouvoir l’égalité des sexes quand on sait que dans ce même rapport de l’ONU, son armée est justement incriminée car accusée de viols systématiques de femmes et enfants congolais ? Viendrait-il donner témoignage des ces exactions ? Ce serait le comble. Quoi qu’il en soit, cela démontre bien que Bruxelles soutient (toujours) Kagame. Qu’il ait massacré des millions de vies congolaises et rwandaises, dans l’impunité, n’entre pas en compte, apparemment.

La diaspora rwandaise
La diaspora rwandaise

Pour revenir à son discours à l’encontre de la diaspora rwandaise en Europe, le point central n’a pas tant changé si ce n’est qu’il invite, à nouveau, à tous de rentrer (entendez Hutu, aussi). Après tout, selon lui, il faut être fier de son pays ! Qu’on soit Hutu, Tutsi ou Twa. Tous sont rwandais et par conséquent doivent être unis et participer ensemble au développement (ce fameux – plébiscité par la communauté internationale) qui est en cours au bercail. En effet, il nous rappelle: les rwandais ne sont-ils pas unis par une même et seule langue, qu’est le kinyarwanda ? La carte de la langue…On l’avait presque oublié celle-là ! Ah oui ! Car à force de les diviser, on se demandait encore ce que Kagame trouvait de commun entre les Hutu et les Tutsi. Il continue, notamment que le Rwanda n’appartient donc ni aux Hutu ni aux Tutsi, encore moins à l’étranger… Oui, il faut aimer son pays car ceux qui le critiquent manquent d’amour propre…comme ceux rassemblés à l’extérieur, dans la neige, à protester contre lui. Au lieu de ça : Entres donc, présentes-toi et « dis ce que ce tu penses, ce que tu veux ». Car les « Ils », agglutinés dehors, ne se donnent aucune « valeur » (en kinyarwanda : « agaciro »). Au lieu d’aider à la construction de leur pays, ils le détruisent par des propos dépourvus de sens (« ibimonyo »). Que ces mêmes « ils » doivent savoir que le Rwanda d’aujourd’hui n’est pas celui d’hier. En effet ce dernier est régit par des lois, des structures et cultures qui combattent la corruption, la rébellion et le terrorisme !

Il enchaîne d’ailleurs, non sans anachronisme, en rebondissant que  « tout cela » serait la raison du « retard africain » par rapport aux tigres asiatiques. De ce fait, l’Afrique, et plus particulièrement le Rwanda, serait encore englué dans l’ethnicisme : véritable frein au développement. Qu’à cause de ça, en un demi-siècle, l’Afrique a perdu de sa « valeur ».

Président P. Kagame
Président P. Kagame

Mais dans tout ça : quel est le rôle de la diaspora ? Mais de rentrer bien sûr ! Car le pays est impatient de les accueillir, au lieu de « traîner » dehors à attendre que tout rentre d’abord dans l’ordre. En gros, que si la diaspora désire qu’il y ait changement avant de rentrer, pourquoi ne pas être ce changement ? Et la foule applaudit. Mais que ceux qui préfèrent rester en dehors, le peuvent, cependant “ils” (en s’adressant cette fois ci, de façon indirecte, aux Tutsi) doivent continuer leurs « tâches » (« imiromo ») – entendez par là : le lobbying. Il rappelle aussi que le rôle d’une diaspora n’est pas de critiquer comme bon lui semble tout ce qui ne va pas au Rwanda. En effet, Kagame se demande : ne serait-il pas plus intéressant de parler de ce qu’il y a de positif au Rwanda, notamment des progrès effectués en matière d’éducation, de santé et autres réformes ? Pour ce qui est des élections gagnées à plus de 93% : « et alors ! » Y’aurait-il, dit-il, un chiffre ou règle(s) précisant à combien de % un candidat doit être élu dans les pays démocratiques ? Je vous laisse méditer cette réflexion.

Voici en résumé le discours donné en ce samedi après-midi glacial du 04 décembre 2010. Maintenant, que faut-il en retenir ? Et bien, comme le dit un proverbe rwandais : « je te récompenserai » engraisse les oreilles, mais n’engraisse pas les joues. En effet, après les élections passées d’août 2010: on vit la candidate Hutu du FDU-Inkigi, Victoire Ingabire, écartée et aujourd’hui emprisonnée ; l’opposant Tutsi du Green Party, André Kagwa Rwisekera, retrouvé décapité près de la ville de Butare quelque semaines avant les élections ; le journaliste du journal Umuvugizi, Jean-Léonard Rugambage, assassiné devant chez lui,…(liste non exhaustive). Tous ces actes sont-ils sensés nous rassurer du sort que Kagame réserve à tous ceux qui auraient un avis différent au sien? Ce dernier a beau promettre le ciel par de beaux discours, les actions commises par son armée prouvent tout le contraire. Notamment que l’intolérance règne au Rwanda.

Le problème est que Paul Kagame et son armée, le FPR, ont depuis 1990 incité aux divisions Tutsi/Hutu au sein du peuple rwandais pour assoir leur légitimité et qu’il est aujourd’hui devenu mission impossible de réunir à nouveau ces deux peuples devenus les pires ennemis de tout le continent africain. Une fois au pouvoir en juillet 1994 et après les massacres des Tutsi par les Interahamwe et d’Hutus par le FPR, ce dernier a tenté par la force des armes d’instaurer une hégémonie politique basée sur une idéologie de la coercition ethnique, territoriale et économique. En poursuivant le peuple Hutu jusqu’à Kisangani en R.D.Congo et massacrant systématiquement tout Être humain rencontré, au point d’arriver à un chiffre effarant de plus de 6 millions de morts ; le pillage et l’accumulation des richesses minières du R.D.Congo pour entretenir cette armée sanguinaire et son monopole… Le président Kagame aurait-il la mémoire courte? C’est à voir. Mais cela m’étonnerai s’agissant de ses victimes. De plus en jugeant ceux qui le critiquent qu’ils n’ont pas « d’amour propre » ou encore qu’ils n’aiment pas le Rwanda, la question qui s’impose devient la suivante: est-ce que dénoncer des crimes commis par un dictateur sanguinaire et auto-proclamé, pour faire « avancer » le Rwanda vers une justice équitable, est-ce faire preuve de manque d’amour propre ou de haine envers son pays ? Critiquer Kagame n’est pas critiquer le Rwanda et vice versa. Cet amalgame montre à quel point le phénomène narcissique de se confondre avec l’État a été assimilé par son chef.

La diaspora rwandaise
La diaspora rwandaise

S’ajoute à cela l’iniquité dont fait preuve ce dernier (en accusant, souvent à tort, toute partie adverse d’idéologie génocidaire, de négationniste ou encore de terroriste), qui n’arrange en rien l’avenir du Rwanda, bien au contraire. Car ces accusations manquent souvent de preuves et sont utilisées à outrance dans le seul but d’écraser et faire taire l’adversaire politique. Mais aujourd’hui il se rend compte qu’il est seul, au sein de son propre clan FPR. Nombreux sont ceux qui commencent à dénoncer sa sur-présence. Kagame étouffe son propre peuple, à force de le diviser…le mépriser. Est-ce digne d’un chef d’Etat ? D’un bon père de la nation qui divise ses enfants ? A présent le voilà qui veut se « racheter » en incluant à présent le Hutu. Mais n’est ce pas un peu tard et surtout contradictoire, quand ce dernier est systématiquement écarté du débat démocratique par les mêmes accusations citées au-dessus, renforçant ainsi davantage sa stigmatisation ? Ou en aurait-il assez de toujours entendre les mêmes personnes lui faire des louanges et autres flatteries à n’en plus finir, comme c’était le cas de la diaspora Tutsi lors de cette fameuse rencontre de samedi passé ? Une chose est sûr, il se rend compte (malgré qu’il le nie en dénigrant l’occident) que le concept de «développement» économique du modèle libéral – dont il a fait la promotion – va de pair avec d’autres libertés: à commencer par la tolérance ; le pluralisme ; l’assouplissement des structures étatiques et nationales du FPR devenues envahissantes et répressives ; l’ouverture des structures sociales, c’est-à-dire la liberté d’expression, l’égalité des chances entre hommes et femmes, mais aussi entre « ethnies », etc. En résumé : réduire les inégalités, causées par ce même État et sa politique de division et ce depuis plus de 16 ans, relève de l’impossible. Car le développement – je ne lui apprendrais rien en lui disant – qu’il ne se limite pas qu’à l’économie.

Kagame a justement prétendu, samedi, vouloir aller au-delà, notamment en appelant à l’unité nationale, une bonne fois pour toutes ! Mais ne soyons pas dupes. Car de même que inclusion rime avec exclusion, les tentatives d’hégémonie riment toujours avec celles de la coercition. Donc, que Kagame, en voulant intégrer les Hutu et la diaspora, il agit dans l’idéologie qui est de toujours chercher à consolider le pouvoir central par des alliances, quitte à ce qu’elles soient contre-natures. Et que ce sont là des tentatives désespérées laissant apparaître les premiers signes de la fin d’un régime sanguinaire. Pour conclure, quand Kagame dit que « haïr son pays, c’est se haïr soi-même », c’est une (demi)-vérité qui me pousse à résonner plus loin. Notamment: haïr l’autre, n’est-ce pas aussi se haïr soi-même et par conséquent son pays (d’origine)? Et donc…pour quelle preuve d’amour est-ce de massacrer « l’autre » jusqu’à un nombre dépassant les 6 millions?

Jean Bigambo

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