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De la carence de l’indignation ou de l’abus du dogme

De la carence de l’indignation ou de l’abus du dogme
Alison Des Forges

Alison Des Forges

Alison Des Forges


D’aucuns auront déjà eu cette désagréable impression d’être confrontés à une approche de la problématique rwandaise à deux vitesses.
En effet, alors que les victimes des pogroms anti-tutsis auront vite été allouées des coupables qui seront chassés, jugés et châtiés sans ménagement, ce,  sur un plan planétaire, il n’en sera pas de même pour les victimes hutues dont la reconnaissance ou tout acte de justice à leur endroit seront restés illusoires
En effet, inutile de rappeler l’omerta caractérisant les médias internationaux sur le sujet. Inutile également de rappeler que le TPIR[1] a, depuis plusieurs années, largement entamé sa stratégie d’achèvement sans jamais avoir poursuivi aucun élément du FPR/APR[2] en dépit du matériau à profusion à sa disposition.
Ainsi tout quidam serait en droit de se demander ce qui ne va pas.
Il faudrait bien sûr voir une grande partie de la réponse dans la configuration qui a été faite de la problématique rwandaise[3] qui veut que les Tutsi ayant été victimes de génocide[4], on ne peut réellement discuter ou avoir un droit de regard sur la politique menée par un sujet identifié comme appartenant à leur groupe[5], en l’occurrence Paul Kagame, de par les attributs sacrés conférés aux dépositaires de génocide.
Rappelons que cette configuration pose le problème d’une part, de verrouiller tout débat de révision avec comme conséquence l’absence de l’assurance de la véracité des faits en question, et, d’autre part, d’octroyer un crédit moral qui, si mal utilisé, entraîne in fine des problèmes d’impunité et partant, une pérennité des crimes.
D’aucuns observateurs internationaux compromis ou pas prendront acte de cette réalité biaisée, allant parfois, si pas à la cautionner, à tout le moins, à ne faire acte d’aucune réaction d’indignation, réaction rationnelle et non pas du tout émotionnelle, à laquelle on serait normalement en droit de s’attendre.
TPIR - Arusha

TPIR - Arusha


Nous citerons comme exemple, le président de SOS racisme France, Dominique Sopo, qui lors du procès intenté contre Pierre  Péan et que ce dernier remporta, avait déclaré, à propos du génocide rwandais, « qu’évoquer le sang des Hutu c’est salir le sang des Tutsi ». Il est évident que pour Monsieur Sopo, le crédit moral dont jouissent les Tutsi, car identifiés comme victimes du génocide des Tutsi, ôte à quiconque tout droit de critique à leur encontre, quitte à fermer les yeux aux pires crimes  qui seraient allégués à des acteurs leur assimilés.
Un autre exemple serait le manque d’indignation de bon nombre d’observateurs sur cette configuration biaisée de la problématique qui, à son tour,  a entraîné une cascade de réponses institutionnelles et judiciaires tronquées. Un seul document ne serait pas suffisant pour faire étalage de ces anormalités.
Mais énumérons quelques-unes :

  • La limitation du mandat du TPIR[6] (ce qui n’est pas le cas du TPIY et autres tribunaux ad hoc) sur le plan géographique, temporel et de nationalité. La conséquence étant l’impunité garantie à Kagame pour commettre ses pogroms au Congo et même à l’intérieur du Rwanda. Quoique cette limitation peut, possiblement, aller au-delà du simple problème de configuration biaisée pour cacher des agendas cachés. Nous y reviendrons plus loin.
  • Le comportement aberrant des procureurs du TPIR qui se sont souvent affichés serrant la main de Kagame alors qu’il est susceptible d’être poursuivi par ce même tribunal ou, dans la même veine, leur entêtement à vouloir transmettre certains dossiers des accusés aux autorités judiciaires rwandaises dont la dépendance à ce même Kagame n’est plus à démontrer.
  • Le refus de poursuivre le FPR par les procureurs successifs du TPIR donnant lieu à une justice ouvertement partiale.
  • Le silence assourdissant de bien des acteurs de la communauté internationale sur les crimes patents du pouvoir de Kagame malgré les différentes alertes des organisations des droits de l’Homme et, par la même, paradoxalement, un soutien sans faille à celui-ci dans tous les domaines possibles et inimaginables, financiers, militaires, organisationnels etc.
  • La proposition[7] souvent réitérée au Sénat Belge et soutenue par Radouane Bouhlal, président du MRAX (le SOS Racisme belge) qui consiste à étendre la loi de lutte contre le négationnisme du génocide juif au génocide des Tutsi et des Arméniens. En cela, il est relayé par certains politiques libéraux.

Conseil de sécurité de l'ONU

Conseil de sécurité de l'ONU


De nouveau, on pourrait écrire un livre sur les anomalies engendrées par la configuration biaisée de la problématique rwandaise qui devient également un questionnement sous régional. Mais, parmi les conséquences les plus désolantes, c’est la réaction de biens des intellectuels, encore une fois, dont on ne peut savoir s’ils sont compromis ou pas. Leurs réactions étant, en effet, exemptes d’indignation.
Car, un intellectuel est celui qui ose s’élever, s’offusquer, contre toute anormalité non seulement  intra mais également extra dogme. Ainsi, bon nombre d’intellectuels font l’impasse sur cette duperie, la cautionne, au nom de l’humainement compréhensible intériorisé dans le dogme.
Le problème donc est la configuration biaisée de la problématique qui, comme toute configuration de départ d’ailleurs, finit par constituer un dogme ou une doctrine. C’est-à-dire un ensemble de règles de références formelles ou informelles qui constitueront un système incontournable pour tout quidam qui veut avoir droit au chapitre[8].
Ainsi, il sera normal voire naturel de se référer à ce qu’il sera désormais censé d’appeler La réalité, La vérité,  quasiment La révélation ou ce que la Cour Pénal Internationale appellera « un fait de notoriété public » vouant ainsi aux gémonies ou court-circuitant le processus normal et ordinaire de raisonnement juridique ou bien même médiatique. Tout le monde connait désormais la fameuse phrase qui accompagne toute sortie médiatique relative à la problématique rwandaise : « génocide de 1994 qui a fait 500.000 à 800.000 victimes à majorité Tutsi »
L’indignation est le propre même de celui qui peut douter. Là où il y n’a pas d’indignation, il n’y a  pas eu  doute et là où il n’y a pas eu doute, il n’y a pas eu de réflexion, bref, il n’y a pas de réel intellect.
Si tout peut paraître intellectuellement cautionnable, le manque d’indignation et donc d’humanité n’est pas pardonnable.
Le dogme a comme ceci de désolant qu’il écarte même le doute et donc l’indignation. Voilà pourquoi toutes ces anormalités, qui font que les peuples d’Afrique Centrales continuent de souffrir le martyre par manque de justice et de paix, passent pour le reste du monde pour normales. Elles sont intrinsèques au dogme.
Les réfugiés  Hutu au Congo

Les réfugiés Hutu au Congo


Encore une fois, le plus absurde étant que, malgré un dogmatisme taillé à la mesure des velléités de Paul Kagame, sa criminalité ne résiste pas à la mise en cause. Ainsi, même si le TPIR ne reconnaît pas, toujours par ce processus curieux et dogmatique, que le FPR a commis un génocide contre les Hutus en 1994, il reconnaît, implicitement, à l’encontre de celui-ci, des crimes contre l’humanité contre des Hutus[9], ce qui n’en a, pour autant, pas fait un justiciable.
Enfin, prenons cet exemple du constat que fait le Professeur Filip Reyntjens en novembre 2010 au micro de JNTV. Ce fin connaisseur du cas rwandais déclare, à juste titre, que si le mandat du TPIR n’avait pas été limité à la seule période de 1994, il est fort possible que Kagame aurait réfléchi par deux fois avant de commettre les crimes possiblement de génocide au Congo ex-Zaïre à partir de 1996. Il me semble que peu d’intellectuels se sont émus ou offensés, à l’époque, de la limitation du mandat du TPIR. Tout le monde trouvait cela normal du moment que c’était la norme, le principe. Personne ne s’interrogeait ou regrettait cette circonscription. Personne ou presque. En effet, un éminent avocat de la défense, Maître John Philpot, a dès la création du TPIR en 1994, fustigé cette délimitation temporelle, géographique et de nationalité dans les statuts fondateurs du TPIR. Scandale qui n’a jamais, ou très rarement, été relayé en dehors du monde des avocats de la défense.
Donc, même si la folie de Kagame ne résiste pas, ou résiste assez mal, à la mise en cause de celui-ci en dépit du système qui le protège, aussi longtemps que les acteurs auront choisi tout simplement de se mettre dans le rang et de ne réfléchir que dans le cadre du dogme, rejetant de facto tout recours à la raison critique dont un des meilleurs reflets est l’indignation, la Vérité ne sera jamais interrogée et le martyre des populations de la région des Grands-Lacs ne continuera que de plus belle.
D. Nshimyumuremyi


[1] Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR)
[2] FPR=Front Patriotique Rwandais, parti actuellement au pouvoir, APR=Armée Patriotique Rwandaise qui a récemment changé en RDF=Rwanda Defense Force
[3] Voir l’article « Le mot génocide, en soi, est-il génocidaire ? »
[4] Selon la décision de la Cour d’Appel du 16 juin 2006, dans le procès de Karemera et al., le génocide contre les Tutsis est un fait de notoriété public. Donc il n’est point requis du procureur de présenter des preuves pour démontrer son existence
[5] Depuis  juillet 1994, le pouvoir au Rwanda est entre les mains de Paul Kagame issu de la minorité tutsie
[6] Ainsi l’article 1er des  statuts du TPIR, qui concerne sa compétence, stipule que Le Tribunal international pour le Rwanda est habilité à juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire du Rwanda et les citoyens rwandais présumés responsables de telles violations commises sur le territoire d’États voisins entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994, conformément aux dispositions du présent Statut.
[7] Proposition de loi de Christine Defraigne, Sénat de Belgique, du  12 juillet 2007 et du  8 septembre 2010.
[8] Deux  références  au mot « dogme » dans le dictionnaire en ligne Lexilogos ;

  1. Ensemble des points de doctrine d’un système de pensée. Car tout comme celle au catholicisme, la conversion au communisme implique une abdication du libre examen, une soumission à un dogme, la reconnaissance d’une orthodoxie. Or toutes les orthodoxies me sont suspectes (Gide, Journal, 1933, p. 1175).
  2. Hélas! à quels docteurs faut-il que je me fie?
    La leçon des Anciens, dogme ou philosophie,
    Ne m’a rien enseigné que la crainte et l’orgueil;
    Ne m’abandonne pas, toi, qui seule, ô science,
    Sais forger dans la preuve une ancre à la croyance!
    Le doute est douloureux à traîner, comme un deuil.
    Sully Prudhomme, La Justice, Veille 2, 1878, p. 108.

[9] Ainsi, Florence Hartmann, ancienne porte-parole de l’ex-procureure du TPIR et TPIY, Carla Del Ponte, à l’occasion d’une conférence organisée par Amnesty International à Gembloux en 2008, après la sortie de son livre « Paix et châtiment » sur les deux tribunaux ad hoc, TPIR et TPIY, a tenté de justifier le fait que le FPR n’avait pas été poursuivi par le TPIR car ce dernier a décidé de donner la priorité aux crimes de génocide perpétrés par les Hutus plutôt qu’au crimes contre l’Humanité perpétrés par le FPR, tout en soulignant néanmoins les pressions politiques exercées par certaines puissances occidentales afin que le FPR ne soit inquiété

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