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Communauté rwandaise, réflexions sur notre santé mentale

Communauté rwandaise, réflexions sur notre santé mentale
Coeur qui saigne

Parlons un peu de notre santé, élément d’importance pour nous, mais auquel nous ne faisons pas attention, jusqu’à ce que l’on tombe malade. Parlons spécialement de notre santé mentale. Oui, notre cerveau et notre psychisme méritent d’être mis à la loupe quelquefois.
Notre santé mentale: car le mental est le seul héritage que nous ont légué nos parents. En effet, nous n’avons pas de millions à hériter, pas de propriétés qui nous attendent, mais nous avons juste notre corps et notre tête, la seule arme valable que nous possédons depuis bientôt 17 ans.
Remercions nos parents d’abord pour l’amour qu’ils nous portent, qui leur a permis d’utiliser leur tête pour nous protéger et nous permettre d’être en vie jusqu’à ce jour, nous donner les moyens et les possibilités de développer nos capacités mentales.
Notre mental nous a tellement servi! Un mental fort, à toute épreuve. Nous avons dû garder la tête froide face aux dangers, nous avons lutté pour nous sortir des pires situations, et j’en passe.
Tout ceci justifie  pourquoi notre mental est précieux, et a besoin d’un entretien régulier. Comment?

Cocotier sur la plage

Cocotier sur la plage

  • Le repos : souvent c’est trop demander de dire à un jeune rwandais de prendre des vacances, même si ça commence à être d’actualité. Par repos je veux dire ;  le fait de s’accorder  des jours pour souffler, se ressourcer physiquement et moralement , ainsi que prendre du recul par rapport à la lutte au quotidien
  • Les distractions : je ne parle pas de bière ou de boîte pleines de nanas, je parle de vrais hobbies, comme le sport, la musique, l’art, le dessin, etc
  • Développer notre créativité: le fait de passer dans tellement d’épreuves, et si jeunes, nous a fait grandir trop vite par rapport à notre âge, ce qui fait que nous ne voyons pas souvent les choses comme notre entourage du même âge. En même temps, cette maturité de notre cerveau  a besoin de s’exprimer, de  créer  et   de s’épanouir.
    Il faut laisser au cerveau cet espace dont il a besoin pour créer, s’évader et découvrir ce que l’on ne voit pas avec les yeux. Ainsi nous deviendrons encore plus fort mentalement, car notre esprit occupera la place qui lui revient.
  • Un corps sain dans un esprit sain: en effet, depuis que nous avons été frappés par une guerre sans merci, enfants que nous étions, nous sommes entrés en guerre de survie, morale et physique, avec ou sans nos parents. Nous nous sommes installés dans un état de lutte permanente. Ceci s’est fait avec raison, vu notre situation. Nous avons dû grandir avant l’âge, assumer  diverses responsabilités, être chef de famille, travailler pour survivre, enterrer tous les nôtres et continuer la route pour chercher la survie, assumer la honte d’être  ce que nous sommes, effacer une partie de qui nous sommes réellement pour survivre… Cependant, cette guerre permanente fait que certains d’entre nous ont oublié jusqu’à leurs propres besoins vitaux dont le corps a besoin pour pouvoir supporter et répondre adéquatement aux sollicitations  de l’esprit: le repos, la détente, développer nos sens, l’amour etc. oui, notre emballage a besoin d’être prise en charge aussi. Ces besoins n’existent pas que pour le corps des autres, nous les méritons aussi, pour notre survie et notre équilibre.
  • Accepter d’être qui nous sommes : La santé mentale passe aussi par l’acceptation de soi, de ses origines, de qui on est et de notre histoire. En effet, il faut pouvoir la regarder en face, exorciser ses zones d’ombres, mais aussi reconnaître ses points positifs, ne pas céder à la honte, car la honte est un sentiment transmis par l’entourage; contrairement à la culpabilité (que nous n’avons pas à avoir). Cette honte qui tend à devenir notre miroir, nous empêche d’être les hommes débout.
    De plus, c’est à ce prix là, je pense,  que l’on peut nouer des relations plus saines et durables avec notre entourage non rwandais.
    Notre histoire et notre vécu, aussi horrible soient-ils, ils font partie de nous. Il a sa place ou mérite d’avoir sa place dans nos souvenirs. Cependant, il faut lui trouver la place qui lui revient, sans plus ni moins, car  « Je ne laisse pas mon passé déterminer l’homme que je deviendrai, il  doit seulement rester  une partie de qui je suis », tiré d’un film que j’ai regardé il y a six ans. Ceci mérite un gros travail sur soi, mais c’est très bénéfique pour une meilleure santé mentale ultérieure.

Cette guerre qui nous poursuit :

Coeur qui saigne

Coeur qui saigne


En effet la guerre continue même en temps de paix, notre corps et notre esprit ne savent pas s’arrêter pour reconnaître qu’il n’y a plus de fusil sur nos tempes, les balles nous poursuivent encore jusqu’en occident, à l’école, au travail, ces démons de la guerre nous poursuivent encore aujourd’hui. Nous souffrons énormément, nous saignons du cœur tous les jours sans comprendre pourquoi. C’est ce que les spécialistes appellent  « le stress post-traumatique » ou encore « les traumatismes de guerre ».
Ces termes ne concernent pas que les occidentaux, mais TOUS LES HUMAINS, notamment les humains que nous sommes. Les africains en général n’aiment pas admettre les maladies mentales, pour eux, elles n’existent tout simplement pas. Mais je pense sans me tromper mes frères, que nous ne sommes que des victimes, et nous devons assumer ce mal qui nous consume de l’intérieur, ce mal qui nous arrache les entrailles quand nous pensons à ceux qui sont morts devant nous, cette culpabilité que nous avons d’être en vie sans nécessairement l’avoir mérité plus que d’autres , ces responsabilités précoces qui nous ont empêchées d’être des enfants et des adolescents comme les autres (une des conséquences :  des  phénomènes de retour d’âge qui détruisent certains couples). Ces images qui nous hantent la nuit, tous ces mots que nous aurions voulu dire à nos parents qui sont partis trop tôt, notre frère avec qui nous aurions voulu partager la joie  de notre mariage…
Le rwandais est très pudique, très réservé et assez hypocrite pour cacher sa douleur au jour le jour, mais la conséquence de ceci est la formation de pus à l’intérieur du corps. Médicalement parlant, quand on ne soigne pas une plaie, et qu’on la couvre d’un tissu, on la prive d’oxygène et aussi de nettoyage et de désinfection ; par la suite elle devient purulente ; et si on laisse encore un peu de temps, elle se transforme en abcès. L’abcès est un amas de pus et de bactéries qui grossit et attaque les tissus. Les tissus se nécrosent au fur et à mesure. A ce stade, il est encore temps de sauver la personne, en incisant l’abcès et les tissus environnants. Si cette opération n’est pas faite, l’abcès va être généralisée, on parle alors de « septicémie ». A ce stade, l’état du malade est critique et nécessite des « soins intensifs ». Si la septicémie n’est pas soigné, alors la vie de la personne est en danger.
Une image que je donne du mal qui gangrène depuis des années la majorité des rwandais qui ont vécu des événements aussi traumatisants que cette guerre.
Certes nous somme forts et nous l’avons été assez pour faire face à tant d’épreuves, mais nous sommes des humains aussi. Nous sommes fragiles, nous avons été profondément marqués et nous en souffrons en silence. Nous sommes des pourritures ambulantes, à l’emballage « clean ». En effet, depuis les temps que nous vivons les émotions négatives, nous avons appris à les refouler pour nous protéger. Le rwandais moyen se présente toujours sous un jour favorable, sous des dehors optimistes. Je ne suis pas psychologue, mais certains spécialistes du domaine, disent que cette impassibilité  constitue une sorte de refus optimiste, une dissociation positive, qui peut se manifester dans des troubles de dissociation aigus (dissociation de la personnalité), que l’on retrouve aussi dans les cas de stress post-traumatique. Certes c’est un mécanisme autorégulateur salutaire sur les émotions négatives, mais le prix à payer est une perte  probable de la « conscience de soi ».
La perte de la conscience de soi entraîne évidement  la déperdition, l’entrée dans l’ikigare  car on a une image trompeuse de qui l’on est à ce stade de la maladie, l’alcoolisme (aujourd’hui, on préfère croire que les hommes et les « femmes » rwandais aiment boire l’alcool, au lieu de les appeler les « alcooliques »), et tant d’autres déchéances.
Admettre la maladie est déjà un pas vers la guérison, tout comme nier la maladie est un chemin vers une mort certaine.
« Nous avons le devoir de vivre et croquer la vie »
Soleil levant

Soleil levant


Je pense au fond de moi que nous avons le devoir de vivre, vivre pour les nôtres, car si nous avons été préservés jusqu’à nos jours, ce n’est pas que nous sommes plus forts, plus beaux, plus intelligents que nos frères, mais c’est parce que nous avons une mission à accomplir. Nos frères défunts attendent de nous énormément. Nous entendons leurs cris tous les jours que Dieu fait. Ils nous supplient de les représenter, de vivre en homme debout, de « vivre et non pas de mourir. Nous avons le devoir de vivre, VIVRE ET CROQUER LA VIE ».
Alors mes frères, choisissons la vie, admettons nos traumatismes, car nous ne sommes pas le premier peuple ni le dernier à vivre cette tragédie. J’adore le livre de l’Ecclésiaste dans la Bible, surtout le chapitre 3. Dans ce chapitre le verset 15 dit  « Ce qui est a déjà été, et ce qui sera a déjà été, et Dieu va rechercher ce qui a disparu »
Il y a un temps pour tout, il y a eu un temps pour nous taire, et il doit y avoir aussi un temps pour en parler. De même, qu’il y a un temps pour être malade, il y a un temps pour guérir. Mes frères, voulez vous guérir ou rester malade ? Autant commencer par : êtes vous malades ou en bonne santé ?
Pour les traumatismes de guerre, ainsi que le stress post-traumatique, il existe des thérapies pour ça, et sont accessibles à « TOUS LES HUMAINS », et non excepté les rwandais.
Courage mes frères, il est temps de nous donner la « PERMISSION » de vivre comme les autres, même plus que les autres si il le faut. Vivre simplement comme des hommes que nous sommes, apprendre à nous aimer, à nous choyer, à nous admirer devant un miroir, à regarder la vie avec un regard pétillant, à rêver…Tout ceci nécessite un travail sur soi…Voulez vous  ou êtes vous prêts à le faire ?
Le meilleur est à venir. Il suffit de le vouloir.
« Vivez bien. C’est la meilleure des vengeances » tiré du TALMUD
Rugwiro
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