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Rwanda: Enjeux présents et à venir pour les expatriés

Rwanda: Enjeux présents et à venir pour les expatriés
La sénatrice rwandaise, Inyumba Aloisea
La sénatrice rwandaise, Inyumba Aloisea

La sénatrice rwandaise, Inyumba Aloisea

Cela fait maintenant quelques mois que l’on assiste à une véritable campagne de séduction menée en direction des communautés rwandaises expatriées et orchestrée par le gouvernement rwandais. En effet, intensifiée peu après la sortie du Mapping report sur la République Démocratique du Congo en octobre 2010, cette campagne vise à apaiser les craintes souvent exprimées par les expatriés quant à la perspective du retour à la mère patrie ou simplement celle d’y exercer des activités quelconques. A l’aide d’arguments mettant en avant le bien fondé des programmes socio-économiques mis en œuvre par les autorités rwandaises, celles-ci se veulent convaincantes.Dans le même temps, les mêmes autorités s’agitent pour que les expatriés établis dans les pays limitrophes au Rwanda perdent leurs statuts de réfugiés et soient rapatriés.

Ces deux signaux émis par les autorités rwandaises, bien qu’à priori distincts, ne sont en fait que les pendants d’une même politique élaborée pour adresser le sujet des expatriés rwandais.
La Direction Générale de la Diaspora (ci-après DGD), organe du MINAFFET rwandais, créée en 2008, est la principale cheville ouvrière de cette politique et à ce titre s’est dotée d’une véritable stratégie d’approche. Cette dernière, passe notamment par l’organisation de tournées de sensibilisation à l’étranger ainsi que l’aménagement de conditions pour des visites d’exploration pour les expatriés appelées « Come and See » censées lever les réticences induites par les informations en provenance de Kigali sur les exécutions extrajudiciaires, les emprisonnements et autres tracasseries judiciaires dont peuvent faire l’objet les opposants politiques et autres voix critiques du régime.

Du socio-économique à la politique

La politique du gouvernement rwandais pour la diaspora, instituée en mission pour la DGD est d’une inspiration économique puisqu’ elle a vu le jour après que la banque nationale du Rwanda ait fait le constat d’une importance croissante des transferts de devises vers le Rwanda en provenance des expatriés. En effet, le montant total de ces transferts est passé de $ 60 Millions en 2006 à $ 103 Millions en 2007, représentant par là plus de 50% du volume des échanges de devises sur la place de Kigali. Ces transferts ont eu un impact significatif sur les secteurs de l’immobilier, du développement rural et de la réduction de la pauvreté.
A la base, l’objectif de la DGD était donc de faciliter ces transferts au service du développement socio-économique. Mais à cette époque, il n’a pas échappé aux autorités que pour débloquer le potentiel énorme que représentaient ces transferts, il fallait convaincre une grande partie des expatriés, en ce compris ceux qui, du fait de leurs parcours en exil par exemple, témoignent d’une véritable hostilité à l’égard  du régime en place.
C’est ainsi que, la DGD a hérité d’une mission également politique et a repris à son compte les instruments traditionnellement utilisés par les autorités rwandaises dans leurs rapports avec les expatriés à savoir la segmentation en catégories favorables (ou indifférents) ou hostiles. Les catégories hostiles étant décrites comme répandant une idéologie génocidaire, le programme de la DGD été calibré pour combattre ces catégories en les marginalisant tout en soutenant les catégories favorables au régime.

La présidente des FDU Inkingi, Victoire Ingabire

La présidente des FDU Inkingi (au millieu en robe rose), Victoire Ingabire


De même, la DGD se retrouve à porter le fardeau de la politique étrangère du Rwanda même lorsque cela s’avère déplacé au vu de la mission qui est la sienne. Ainsi, à l’automne dernier, les principales capitales européennes ont eu droit à la visite de la délégation dite « Inyumba » dont faisait partie Robert Masozera[1], le directeur de la DGD. Cette délégation s’est principalement attachée à expliquer aux expatriés conviés, que le Mapping Report sur la RDC sorti en octobre 2010 était fondamentalement erroné et que Victoire Ingabire, leader des FDU empêchée de participer aux élections et emprisonnée, méritait son sort de prisonnière. Au delà de l’incompréhensible défaut d’intelligence projeté sur les expatriés, incapables de décrypter le Mapping Report au point de nécessiter un éclairage de Kigali, il est difficile de faire le lien entre cette mission et la facilitation des transferts de capitaux et du savoir érigée par la DGD en mission.
Cette initiative a en réalité levé le voile sur la vocation réelle de cette institution à savoir de se constituer en faiseur d’opinion face à des communautés expatriées mises au pas par les autorités rwandaises.

Enjeux éminemment politiques

Leadership dans les communautés expatriées

La volonté affichée d’approcher les communautés expatriées va dans le sens de les associer au développement de la nation. Cela dit, la réflexion sous-jacente aux programmes de la DGD parle d’elle même. Le constat mené est celui d’une diaspora divisée et manquant d’organisation et de structures à mêmes de défendre les intérêts des expatriés. Aux yeux des autorités, ce manque empêche toute émergence de leadership ou constitution d’un réseau efficace de communication au sein de cette diaspora.
Partant de ce constat, les autorités ont flairé l’opportunité d’une mise en place de structures rassemblant les expatriés favorables dans les pays hôtes. Soutenues et financées par le gouvernement rwandais, ces structures seraient à même de ravir toute crédibilité ou pouvoir de représentation notamment aux exilés politiques. Ces derniers ne disposant pas d’une telle capacité financière et matérielle auraient en effet de sérieuses difficultés à rivaliser. Si l’on ajoute à cela les dissensions traditionnelles qui minent les communautés en exil, on obtient une situation où ceux qui, parmi les expatriés, seraient partisans d’initiatives collectives dans leurs pays hôtes, en dehors des canaux « officiels » auraient la tâche particulièrement ardue.
C’est notamment dans ce cadre que l’ambassade du Rwanda en Belgique a récemment organisé plusieurs rencontres dans les différentes grandes villes belges visant à fonder de nouveaux organes de représentation des « banyarwanda ». Le même phénomène est observé en Angleterre, en France et aux Pays-Bas.

Le statut de réfugiés

En réalité, cette stratégie vient en complément de celle qui est déployée depuis quelques années concernant la question des réfugiés. En effet, dans la continuité de la destruction des camps lancée, par le FPR actuellement au pouvoir au Rwanda, en 1996 en RDC, ainsi que dans la même ligne que les rapatriements forcés effectués en Tanzanie, Burundi et en Ouganda, les institutions rwandaises tentent aujourd’hui de parachever un processus visant à éradiquer la problématique des réfugiés à l’étranger.
Ainsi, si l’on examine les déplacements du président Kagame dans la région pendant les 3 dernières années, la question des réfugiés apparait en haut de la liste parmi les sujets de discussion. Cela s’est vérifié au Malawi, en Zambie et plus récemment au Congo Brazzaville. A chaque étape, la perplexité des autorités rwandaises face à la résilience des communautés de réfugiés s’est vérifiée. Difficile pour Kigali d’admettre que ces communautés qui avaient été pourchassées et persécutées dans les forêts de la RDC, massacrées en grand nombre, puissent survivre dans ces pays et même faire émerger des classes commerçantes à succès ou des diplômés universitaires.  Cette perplexité s’est manifestée dans la volonté systématique des autorités rwandaises de voir ces réfugiés soit rapatriés soit déchus de leurs statuts de réfugiés pour la nationalité rwandaise ou celle du pays hôte. L’initiative « Come and See », qui a récemment défrayé la chronique, organisées par la DGD se veut par ailleurs un incitant pour un retour volontaire à la mère patrie.

HCR

HCR


Pour les pays limitrophes au Rwanda, le gouvernement a pris un chemin plus direct en priant le HCR d’invoquer la clause de cessation pour les réfugiés rwandais demeurés dans ces pays. La clause de cessation est actuellement examinée par le HCR et pourrait être appliquée dès la fin 2011. La cessation du statut de réfugié s’applique lorsque le réfugié ayant obtenu ou pouvant obtenir une protection nationale, soit du pays d’origine, soit d’un autre pays, n’a plus besoin de protection internationale.
Pour les réfugiés établis en Occident, le gouvernement n’a pas eu à se préoccuper de cette question car les nationalités y sont relativement aisées à acquérir contrairement à l’Afrique. Pour prendre l’exemple de la Belgique, la grosse communauté de réfugiés de départ s’est peu à peu désintégrée pour voir émerger une communauté d’expatriés que l’on tente d’affubler du qualificatif flou de diaspora. Nul besoin dès lors, d’y invoquer la clause de cessation puisqu’il existe des situations de cessation de fait.
La question du statut de réfugié est loin d’être anodine. Il suffit par exemple de se rappeler que cette question a été une des justifications principales de l’offensive du FPR en octobre 1990. Le régime actuel le sait. Les manœuvres du gouvernement pour « régler » cette question visent donc à priver à tout acteur politique la possibilité de pouvoir l’invoquer pour une quelconque revendication.
Lorsqu’on rapproche le phénomène croissant de la « Diaspora » et l’activisme autour de la question des réfugiés, l’image que le régime de Kigali aimerait  présenter au monde se profile à l’horizon. Celui d’un Rwanda stable et donc sans réfugiés à l’extérieur à l’exception des terroristes aux idéologies génocidaires, disposant d’une diaspora forte et unie derrière son gouvernement et lui servant de porte parole dans le monde entier.
Cependant, cette image cadre mal avec le passé encore récent des tragédies qui ont frappé les rwandais dès 1990, en 1994 et de 1996 à 1998. Comment croire que toutes ces événements ont été encaissés, compris et digérés par les rwandais en général au point de voir disparaitre toute revendication politique au sein des communautés expatriées. Toute personne au fait de la situation rwandaise serait en droit d’avoir des doutes.

Diviser pour régner ?

Les autorités ont livré un diagnostic plus ou moins exact dans leur analyse de la diaspora dans leur ensemble à savoir un manque d’union et de structures fortes de représentation. Dans les différentes communautés en effet, l’entente et la coordination ne fut-ce que sur des sujets précis relèvent parfois du défi.
Le diagnostic étant posé, les remèdes proposés par le gouvernement rwandais laissent quant à eux perplexe. Puisque cette diaspora est désunie, le gouvernement envisage de les mettre au pas à coups d’ « Itorero », de « Ngwino Urebe » et autres « Urugaga rw’Abanyarwanda » financés par le contribuable rwandais et surtout par l’aide extérieure. Ces mesures sont-elles à mêmes de soigner les maux identifiés ?
Passons outre les enjeux sous-jacents et regardons les conséquences possibles de ces mesures. D’un coté il y aura donc une diaspora officielle, organisée, coordonnée et soutenu par le régime et de l’autre côté une communauté de personnes d’origine rwandaise éparpillée, non coordonnée et passible de toutes sortes de stigmatisations. Il y aura donc des « Abasobanutse » d’un coté et les « Ibigarasha » de l’autre.
Là où des ponts pouvaient se forger au fil du temps, on s’apprête à y agrandir les fossés séparant les rives. Une situation polarisée propice à des tensions futures qui vraisemblablement ne serviront ni les expatriés ni le développement du Rwanda.
Par Ernest Murindahabi
JamboNews.net


[1] Robert Masozera a été nommé ambassadeur en Belgique par le conseil ministériel du 11/02/2011

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