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Rwanda et mondialisation, ou le cauchemar des Batwa

Rwanda et mondialisation, ou le cauchemar des Batwa


Paysage du Rwanda

Paysage du Rwanda


C’est à plus de 1500 mètres d’altitude, au cœur de l’Afrique, que Dieu exauça l’union miraculeuse entre une colline et un lac. De cette union naquit un enfant, le Rwanda. Bercé à l’ombre du soleil équatorial, oscillant et ondulant entre deux volcans, l’éclat verdoyant de ses joues séduit au premier regard. Des petits ruisseaux viennent titiller les nerfs de cette terre fragile mais oh combien fertile. La fraîcheur des nuits, quand la lune est pleine, les étoiles viennent se baigner dans cet onctueux lait caillé, pendant que la bière de banane se fait attendre, pour chauffer les corps des cultivateurs et cordes vocales des poètes : « Mais qu’il est beau cet enfant des Mille Collines ! » – s’exclame de joie l’Umutwa.
Le préfixe «umu- » est le singulier du préfixe « aba-», il est premier dans la liste des classes nominales du kinyarwanda, une langue bantoue. Il signifie alors : l’Homme en général et ses dérivations. Quant à la racine «-twa», il s’agit d’un groupe d’hommes : les Batwa, c’est-à-dire Twa, en français. Je vous parle des pygmées d’Afrique centrale. Autrefois premiers occupants de ces terres, ils sont aujourd’hui les derniers. C’est le récit d’un peuple en voie d’extinction.
Au delà des fantasmes, la réalité est que les Batwa sont expropriés par les autorités et, tenez-vous bien, la diaspora rwandaise. En effet, le Rwanda Diaspora Global Network (RDGN), ensemble avec le Ministère rwandais des affaires étrangères, ont mis en place, en décembre 2009, une campagne de sensibilisation pour favoriser la diaspora à s’impliquer davantage dans la lutte contre la pauvreté dans son pays natal. A première vue l’idée est brave : coopérer dans le domaine de la santé et de l’éducation en régions rurales, en proposant des stratégies de développement modernes pour améliorer les conditions de vie des paysans. Des membres de la diaspora, invités à titre officiel par leurs ambassades rwandaises respectives, ont pu ainsi venir admirer et confirmer les progrès effectués par le bercail, depuis 1994. Cependant, lors des visites de groupes en campagne, la diaspora fut « choquée » de voir qu’il existe, au Rwanda, des familles (généralement de l’ethnie Batwa) qui vivent encore dans des huttes en paille- sans eau courante et sans électricité. A l’aube du XXIe siècle, c’est le genre de choses qui gâchent toute une vision. A qui le dites-vous ! Cette altérité produit un sentiment mêlé de pitié et de condescendance, en d’autres mots : diaspora, parce que nous le valons bien.
Les Batwa sont marginalisés parce qu’ils n’ont que faire de la civilisation. Par conséquent, il est du devoir de la diaspora et autorités locales d’endosser ce lourd fardeau qu’est celui de la Mission Civilisatrice : la mise en valeur du Rwanda passe par la mise à feu des habitations en toits de chaume. D’ailleurs ils ont symboliquement surnommé le projet d’élévation de « Bye Bye Nyakatsi » (Adieu la paille). Tout un programme ! C’est du moins ce que disent les « Eclairés » et frères-ennemis, Gahutu et Gatutsi. De ces deux groupes, on peut dire que le génocide rwandais les a tristement rendu  célèbres, à l’échelle mondiale. Une notoriété macabre. Aujourd’hui, ils tentent tant bien que mal redorer leurs blasons, entachés de sang, pendant que dans les coulisses, les Batwa plient bagages.
Il est vrai que dans le discours inter-rwandais, les Batwa sont tout simplement absents, voire inexistants. Pour la nation rwandaise, ils font honte, à l’exception peut-être quand ont lieu les expositions culturelles : on les invite alors à venir divertir la Cour, ses visiteurs et le tout sous les applaudissements du peuple. Pauvres parce que méprisés, méprisés parce que pauvres, beaucoup, pour survivre, mendient. Au Rwanda, leur nombre a été divisé par deux ces 15 dernières années: “Lentement, mais sûrement, les Batwa disparaissent au Rwanda. Alors qu’ils étaient 45 000 en 1994, puis 35 000 en 2004, le recensement du ministère de l’Administration locale de 2010 n’en comptait plus que 25 000”. Zéphirin Kalimba, président de l’A.S.B.L Coporwa (Communauté des potiers du Rwanda) affirme que “les mauvaises conditions de vie suffiront pour exterminer ces autochtones”. Coporwa a en effet publié un rapport en juin 2011 qui confirme le pessimisme de Kalimba, notamment qu’au Rwanda, un Mutwa sur trois accède aux soins de santé à travers les mutuelles. D’où le fort taux de mortalité chez ce groupe et malgré la gratuité de la mutuelle de santé.
Maison dans un village des Batwa

Maison dans un village des Batwa


Le véritable problème c’est la malnutrition et habitats inadéquats. Les Batwa sont constamment délocalisés. L’enregistrement des terres, effectué par l’Etat du Rwanda, les prive progressivement de leurs territoires pour que ce même Etat les transforme en champs de cultures d’exportation, en réserves protégées, voire parcs nationaux – ces deux derniers très lucratifs pour le secteur touristique. Quelle ironie de voir que l’ouverture du Rwanda au monde pour l’écotourisme joue, au final, en défaveur de cette communauté, première résidante de la région des Grands Lacs. De plus, ces nouvelles maisons construites (n.d.l.r avec des matériaux importés des Etats-Unis) et fournies avec accès à l’eau et électricité : à qui reviendront les charges ? Ne fallait-il pas plutôt donner aux Batwa d’abord un accès à l’emploi ? Parce qu’une facture d’électricité ne se paye pas en sacs de maïs.
Des organisations gouvernementales comme l’USAID ou encore British Embassy, ainsi que d’autres ONG : Care International, Christian Aid, Trocaire et Norvergen Church, tous partenaires avec Coporwa, dénoncent les multiples formes de stigmatisation dont sont victimes les pygmés. Etant donné que l’Etat rwandais a failli à sa mission, qu’est celle de protéger ces groupes minoritaires, c’est aux organisations étrangères qu’incombe cette tâche. Parce que « la communauté des potiers du Rwanda constitue le groupe le plus vulnérable et le plus pauvre », nous rappelle encore Kalimba.
Au final, les Batwa sont d’une part menacés par le phénomène de mondialisation, à savoir une diaspora paternaliste et déconnectée des réalités rwandaises, un écotourisme agressif en passant par des multinationales vénales. Et d’autre part, un Etat-nation homogénéisant, nihiliste, c’est-à-dire qui refuse de reconnaître l’unicité de cette minorité socio-ethnique en danger, notamment en avançant que l’ethnie au Rwanda « c’est de l’histoire ancienne ». Allez savoir pourquoi, lorsqu’on sait justement que le régime actuel du Rwanda est dirigé par une minorité ethnique (Tutsi), qui a pris le pouvoir par les armes. Par conséquent, toute évocation de minorité/majorité mettrait mal à l’aise leur modèle de gouvernance – absolu et illégitime.

Jean Bigambo
Jambonews.net

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