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La dette publique du Rwanda peut-elle être annulée?

La dette publique du Rwanda peut-elle être annulée?

Thomas Sankara

Thomas Sankara


Selon certains économistes et experts des questions économiques, le Rwanda pourrait bénéficier d’une annulation de sa dette publique si certaines conditions étaient remplies.
Pour qu’un pays puisse bénéficier de l’annulation partielle ou totale de sa dette, trois conditions doivent être réunies.
Primo, il faut qu’on soit en présence d’une dette odieuse. Secundo, le pays doit prendre l’initiative de demander l’annulation, voire la répudiation de cette dette odieuse. Tertio, le pays en question doit être dirigé par un gouvernement démocratique.
Avant d’examiner le cas particulier du Rwanda, une analyse préalable de ces 3 conditions semble nécessaire.
En économie, on entend par « dette » un engagement de prêt contracté par deux parties. D’une part, nous avons un créancier qui est le prêteur d’argent. D’autre part, un débiteur qui est l’entité demandeuse de liquidité. Dans le chef de la première partie, nous distinguons deux types de créanciers : privés et publics. Ce sont ces derniers qui nous intéressent.
Parmi les créanciers publics, on distingue d’un côté les créances détenues par les organisations internationales telles que le Fonds Monétaire International, la Banque Mondiale et l’ONU, et de l’autre côté celles détenues par des États .
L’accord de prêt passé entre un créancier public et un État est considéré comme un traité, comme l’indique l’article 2 de la Convention de Vienne de 1960 . De ce fait, il est régi par le droit international.
Afin de comprendre le bien fondé de cette éventualité offerte aux pays endettés, une question mérite d’être soulevée.

Quelles sont les dispositions, dans le droit international qui justifient l’annulation d’une dette ?


En droit international, une dette est frappée de nullité si elle est considérée comme odieuse. Cette notion « jurisprudentielle » a été adoptée pour la première fois en 1927 par Alexander SACK, professeur de droit à Paris. Selon lui « Si un pouvoir despotique contracte une dette non pas pour répondre aux besoins et aux intérêts de l’État, mais pour fortifier son régime despotique, pour réprimer la population qui le combat, cette dette est odieuse pour la population de l’État entier (…) Cette dette n’est pas obligatoire pour la nation : c’est une dette de régime, dette personnelle du pouvoir qui l’a contractée ; par conséquent, elle tombe avec la chute de ce pouvoir ».
Néanmoins, l’annulation est appliquée uniquement dans le cas où le nouveau régime témoigne d’une réelle ouverture à la démocratie : un gouvernement ayant reçu le Pouvoir DU peuple, PAR le peuple et l’exerçant POUR le peuple.
Notons qu’il n’est pas nécessaire de prouver que les créanciers avaient connaissance de la mauvaise gérance de leur prêt. Dans chaque prêt sur les marchés financiers, le risque zéro n’existe pas. De ce fait, les créanciers sont responsables de leurs prêts. Comme l’a dit Joseph Stiglitz, ancien économiste en chef et numéro 2 de la Banque mondiale « dans chaque prêt, il y a un prêteur et un emprunteur. Les deux s’engagent volontairement dans la transaction. Si elle tourne mal, on peut penser (…) que le prêteur est aussi coupable que l’emprunteur. En fait, il l’est plus car il est censé savoir analyser plus finement les risques »
Analysons maintenant le cas particulier du Rwanda en soulevant diverses questions.
Actuellement, l’annulation ou la répudiation de la dette rwandaise est elle légitime ?
Pour répondre à cette pertinente question, voyons si le pays des milles collines remplit les trois conditions énoncées dans les lignes précédentes.

L’actuel régime de Kigali a-t-il succédé à un régime non démocratique et corrompu ?

A ce stade, il est opportun de faire un retour en arrière afin de mieux comprendre la situation actuelle. L’ancien président du Rwanda, Juvénal Habyarimana, prit le pouvoir dans la nuit du 04-05 juillet 1973 suite à un coup d’Etat. Comme la plupart des coups d’Etat, il fut suivi par plusieurs emprisonnements et assassinats des personnalités du régime de l’ancien président Kayibanda, mais également d’une partie de la population tutsie . On voit clairement que Juvénal Habyarimana n’a pas pris le pouvoir de manière démocratique (par le peuple). Les auteurs de cet acte justifient leur forfait par la nécessité de protéger la population tutsie et sauvegarder l’unité nationale qui était menacée. (voir communiqué des camarades du 05 juillet le lendemain de la prise du pouvoir en 1973). En effet, certains témoignages nous révèlent que le coup d’état de 1973 fut le résultat de la volonté du peuple, notamment pour protéger les tutsis vivant au Rwanda. A cette époque, on assistait à de violentes manifestations des étudiants hutus contre la minorité tutsi. Beaucoup de tutsis furent exclus de l’enseignement et d’autres perdirent la vie. C’est dans ce contexte chaotique que le Général Juvénal Habyarimana prit le pouvoir pour tenter de remettre l’ordre dans le pays.
Cependant, plusieurs questions surgissent en écoutant ces témoignages. Notamment, on peut se poser la question de savoir s’il n’aurait pas été possible d’instaurer la démocratie sans un coup d’Etat meurtrier ? Récemment, le Niger nous a prouvé que, si c’est la seule solution pour instaurer la démocratie, un coup d’Etat est possible sans verser une seule goute de sang. En clair, si on se réfère uniquement à ces témoignages, rien ne justifiait, après le coup d’Etat, les emprisonnements et assassinats des personnalités politiques ainsi que de la population rwandaise (majoritairement tutsie). Rien ne justifiait également le monopartisme imposé par le régime de 1973 à 1990, de l’abandon des réfugies tutsis ayant quitté le Rwanda depuis 1959 ainsi que l’inégalité des richesses entre régions du pays dû au choix politique du régime de Habyarimana.
Durant l’ère Habyarimana (1973-1994), le pouvoir appartenait à la population du nord (région où le président était originaire). On peut donc penser qu’à cette période le pouvoir profitait majoritairement à une partie des citoyens au détriment du reste de la population. Le terme « Akazu » prend son origine dans cette répartition de richesse. Désignant littéralement « la petite maison », ce mot fait référence aux proches de l’ancien président qui contrôlaient la sphère politique et économique du pays.Ces éléments sont suffisants pour être en présence d’une dette odieuse. Une fois détectée et chiffrée par les économistes, cette dernière doit être annulée, voire répudiée.

Actuellement le Rwanda peut-il demander une annulation d’une partie de sa dette?

Une des 3 conditions nous dit que la nation demanderesse du droit d’annulation nécessite d’être dirigée par un gouvernement démocratique. Or, actuellement le Rwanda a beau affirmer que c’est le cas, quelques zones d’ombres viennent ternir le tableau. En effet, l’autorité rwandaise est pointée du doigt par plusieurs analystes qui l’accusent d’être un gouvernement répressif, dirigé par un dictateur. Dirigeant la nation implicitement depuis 1994 et officiellement à partir du 17 avril 2000, le président Paul Kagame est décrit comme un homme autoritaire, tyrannique, voire machiavélique. Il lui est reproché d’exercer un pouvoir absolu sur le territoire rwandais dans le sens où il fixe et contrôle tout ce qui s’y déroule. Les critiques disent aussi que le pouvoir en place élabore des politiques destinées à favoriser une minorité de la population au détriment du reste de la population . Classé parmi les pays les plus inégalitaires au monde, la croissance de l’économie rwandaise est effectivement loin de profiter à toute la population.
L’APR (l’Armée Patriotique Rwandaise) du président Paul Kagame est également soupçonnée d’avoir commis des crimes contre la population rwandaise, généralement Hutu, à l’intérieur mais aussi à l’extérieur du pays. Selon le rapport Mapping de l’ONU, l’APR serait responsable de certains crimes commis en RDC, des faits qui peuvent être qualifiés de génocide. On reproche également au régime de Kigali une répression active des opposants parmi la diaspora.
Actuellement, il est clair que le Rwanda n’est pas en mesure de bénéficier d’une quelconque annulation d’une partie de sa dette. Au contraire, les emprunts contractés par le régime actuel de Kigali rentrent bien dans la définition d’une dette odieuse : le FPR du président Paul Kagame est un régime despotique. Une partie des dettes qu’il contracte n’est pas faite selon les besoins et les intérêts de la population entière, mais servent à fortifier son régime despotique, pour réprimer la population qui le combat. En vertu du droit international, toute dette n’ayant pas servi à l’intérêt général est qualifiée de dette odieuse : c’est une dette de régime, par conséquent, elle tombera avec la chute du régime.

Pourquoi certains pays ne revendiquent-ils pas leurs droits ?

Deux raisons peuvent expliquer la non application du droit d’annulation de la dette odieuse.
D’une part, dans un pays dirigé par un dictateur, le peuple a peur de demander le droit à la démocratie craignant la réaction violente du régime. Comme mentionné plus haut, une des conditions permettant de bénéficier de l’annulation de la dette odieuse est que le pays soit dirigé, au moment de la demande, par un régime démocratique. Le problème avec les pays détenant une dette illégitime est qu’ils sont, pour la plupart, dirigés par un gouvernement tyrannique. La terreur exercée quotidiennement sur le peuple fait que les dictateurs continuent à se maintenir au pouvoir. Dans notre exemple, le régime en place continue à se maintenir au pouvoir en mettant en prison les opposants politiques (Victoire Ingabire, Deo Mushayidi,…), voire en tuant les revendicateurs d’une réelle ouverture à la démocratie (André Kagwa Rwisereka, Jean Léonard Rugamage,…).
D’autre part, lorsqu’enfin le pays s’est libéré du régime dictatorial, la réaction des marchés financiers reste une barrière redoutable à la libération du poids de la dette. Depuis ces 30 dernières années, les marchés financiers ont pris une place importante dans la vie, non seulement économique, mais aussi politique et sociale. L’exemple typique pour décrire le poids occupé par les marchés financiers a été fait par Damien Millet et Eric Toussaint dans leur livre intitulé « La Dette ou la Vie », sorti en juin de cette année-ci.
Ayant comme fondateurs Ronald Reagan, Margaret Thatcher, le FMI, la Banque Mondiale, mais également les multinationales, depuis les années 1980, une nouvelle religion fût créée : la religion du marché. Cette dernière a la particularité d’avoir su attirer des milliards de fidèles en peu de temps. « Presque tous les dirigeants politiques, qu’ils soient de la gauche traditionnelle ou de la droite, qu’ils soient du Sud ou du Nord, vouent un véritable culte au marché, aux marchés financiers en particulier (…). Jusqu’aux coins les plus reculés de la planète, des centaines de millions d’êtres humains, à qui on nie le droit de satisfaire leurs besoins élémentaires, sont conviés à célébrer les dieux Marchés ».
Comme toute religion, les fidèles se comportent de manière à ne pas offenser les dieux Marchés financiers. Les pays ayant une dette illégitime ont la peur de répudier cette dernière dans la crainte de se faire sanctionner par les dieux marchés. Deux punitions sont appliquées pour punir un comportement non conforme à la logique de la religion Marché.
Primo, un durcissement du crédit au cas où un pays menacerait les intérêts des dieux Marchés. Actuellement les pays démocratiques portant un fardeau de la dette odieuse refusent de faire valoir leurs droits d’annulation de la dette par crainte d’une sanction des marchés par une hausse des taux d’intérêts sur les emprunts, voire être exclus des marchés financiers.
Secundo, les dieux marchés sont même capables de verser du sang dans le seul but de préserver leur religion. A titre illustratif, prenons l’ancien président du Burkina Faso. Anti-impérialiste et panafricain, le président Thomas Sankara fut l’un des premières dirigeants à lutter contre la dette odieuse. Dans son discours prononcé le 29 juillet 1987, il appela tous les dirigeants africains à répudier leurs dettes illégitimes. Conscient de la lourdeur de son discours, il annonça explicitement sa crainte de se faire punir par les dieux marchés. Ses prédictions furent réalisées moins de 3 mois après son speech, il fut assassiné.

Quelques recommandations pour le Rwanda :

Le Rwanda doit tendre vers une démocratie. Comme souligné plus haut, un gouvernement légitime est celui qui a reçu le Pouvoir Du peuple, Par le peuple et l’exerçant Pour le peuple. Contrairement à ce que certaines personnes prétendent, du point de vue humain, économique, social et politique, aucun pays, dirigé par un tyran, n’a su garantir le bien-être de Tous ses citoyens. Aucun motif ne peut justifier une dictature qui opprime une partie de la population. Selon l’article 22 de la déclaration universelle des droits de l’homme, « toute personne, en tant que membre de la société, a droit à la sécurité sociale; elle est fondée à obtenir la satisfaction des droit économiques ; sociaux et culturels indispensable à sa dignité et au libre développement de sa personnalité ».
L’article 2 de la déclaration de l’ONU sur le droit au développement va même plus loin en disant que « les Etats ont le droit et le devoir de formuler des politiques de développement national appropriées ayant pour but l’amélioration constante du bien-être de l’ensemble de la population et de tous les individus (…) et à la répartition équitable des avantages qui en résultent ». En vertu du bien-être de la population rwandaise, du droit international et des droits de l’Homme, la dictature imposée par le Président Paul Kagame n’a pas lieu d’être. Une lutte contre l’oppression doit être engagée par la population rwandaise pour réclamer le droit qui leur est dû. La vague de révolutions dans le monde arabe nous a montré qu’aucune dictature n’est intouchable. Aucun peuple ne devrait accepter de vivre dans la misère causée par l’autorité publique. L’article 19 de la déclaration des droits de l’Homme nous dit que « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit ».
Une fois que la vague de révolutions aura atteint le Rwanda, le nouveau régime doit identifier et détecter la totalité de la dette odieuse. Ce gouvernement ne doit pas hésiter à négocier l’annulation d’une partie des prêts contractés par le régime Habyarimana et celui de l’actuel Président du Rwanda. L’histoire nous a prouvé à plusieurs reprises qu’une répudiation de la dette odieuse est possible : « la répudiation de la dette russe, l’argentine a refusé de rembourser sa dette entre 2001 et 2005, le Paraguay a répudié avec succès en 2005 une dette illégale contracté auprès de banques suisse. En novembre 2008,l’Equateur a décidé de suspendre le remboursement de titres de la dette venant à échéance les uns en 2012, les autres en 2030 ,(… )». Vous pouvez trouver quelques autres exemples des pays ayant répudiés leur dette odieuse dans le livre « La dette ou la vie » écrit par Damien Millet et Eric Toussaint. Contrairement aux prédictions, les dieux marchés financiers n’ont pas réagi à cette répudiation : quelques jours après chaque répudiation, les marchés ont pardonné et ces pays ont pu contracter d’autres prêts dans des conditions normales (aucun de ces pays n’a été exclu des marchés financiers et pas de hausse significative des taux d’intérêt suite aux différentes répudiations).
En conclusion, pour des raisons politiques et économiques qui impliqueraient des entités internationales, rares sont les pays, même s’ils remplissent les conditions nécessaires, qui osent réclamer cette annulation de dette. L’analyse du cas particulier du Rwanda révèle clairement qu’on ne peut envisager une quelconque annulation. La condition d’avoir un régime démocratique n’étant pas remplie, le Rwanda ne peut pas prétendre aujourd’hui accéder à l’annulation ou la répudiation de sa dette sous prétexte que l’ancien régime aurait contracté une dette « odieuse ».
Néanmoins, certaines dettes rwandaises ont été annulées par le club de Paris. Ce dernier est composé de 19 pays industrialisé notamment la France, l’Allemagne, la Belgique, les États-Unis, le Japon,… Ce groupe de 19 a pour but premier d’accorder un allégement de la dette public des pays pauvres très endettés ( PPTE). Le Rwanda n’a pas été le seul à bénéficier de cette allégement de sa dette : le club de Paris a conclu plus de 420 accords avec 88 PPTE. Cette annulation ne doit pas être vue comme une reconnaissance de la part des créanciers d’une dette odieuse. Primo, cet allégement est susceptible d’être accordé à tous les PPTE, y compris les pays dirigés par un dictateur. Secondo, l’allégement consiste ,pour la plus du temps, a un rééchelonnement et non à une annulation de la dette.
Pourquoi demander un rééchelonnement alors qu’il est possible d’annuler la totalité de la dette odieuse ? Pourquoi continuer à avoir la position de mendiant alors que, selon des textes légaux, le peuple rwandais peut sortir de cette mendicité ? Voilà deux questions que chaque rwandais devrait se poser.
Cette analyse ne s’adresse pas qu’au peuple rwandais. Elle vaut également à d’autres nations souffrant d’un fardeau de la dette odieuse : le Congo sous le régime de Mobutu et celui de Joseph Kabila, l’actuel président de la RDC, en Zimbabwe avec le président Robert Mugabe, en Tunisie avec l’ancien président Ben Ali, en Egypte avec Moubarak.
Clément Cyiza
Jambonews.net

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