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Rwanda, ou quand les vélos freinent la croissance

Rwanda, ou quand les vélos freinent la croissance

Interdiction des vélos à Kigali

Interdiction des vélos à Kigali


A la vitesse où vont les choses, on vous dira, au Rwanda, que les pauvres n’existent pas – dans le sens où on l’entend. Les opérations « bye bye Nyakatsi » ; les pratiques de vasectomie en milieu rural ; l’interdiction de marcher pieds-nus dans la ville ; l’envoi dans des “camps de rééducation” (ingando) tous ceux catégorisés comme des “déviants sociaux” comme les enfants de la rue et, voici la dernière loi en date : l’interdiction des vélos de circuler sur les grands axes, en ville.

Oui, les cyclistes sont, à présent, des dangers publics ambulants. Ils créent des accidents là où ils obligent les gros camions de transport et autres 4X4 de luxe d’être moins gourmands en chaussée. Donc exit les vélos ! Et le problème est réglé. La voie publique appartient maintenant aux gros moteurs avides d’essence, donc à la consommation. Parce que les pauvres ralentissent la croissance et l’aisance des puissants et surtout parce que les premiers (et leurs symboles respectifs) n’apportent rien à l’économie de marché, capitaliste. Pire, ils nuisent même à l’image de celle-ci. Un pauvre, à vélo, transportant des pacotilles, en toute quiétude, sur des routes fraîchement rénovées, ça fait sale et anti-moderne. Camille, qui habite au sud du Rwanda, témoigne de son indignation face à cette nouvelle mesure, aux journalistes de Syfia Grands Lacs, notamment que « Maintenant, je dois payer le taxi pour aller acheter des produits à Huye. C’est comme si la ville appartenait aux riches ! ».

La loi capitaliste part du principe que sur le marché, seuls ceux capables de compétitivité féroce et d’innovation ont plus de chances de survie. Une sorte de sélection naturelle empruntée à la théorie darwinienne, où les faibles n’ont qu’à s’en prendre à eux mêmes, s’ils venaient à y être exclus, voire engloutis tout cru par les puissants. Et c’est un peu ce qui se passe au Rwanda actuellement. Après plus de cinquante ans d’influences franco-socialistes, qui se souciaient davantage de la politique (patrimonialisée – pour emprunter le terme de Jean-François Médard) – au détriment de l’économie, le début du XXIème siècle voit quant à lui le pays subir un tournant radical. La fin du communisme, marqué par la chute du Mur de Berlin, en 1989 : c’est le capitalisme anglo-saxon triomphant qui impose son nouveau modèle de développement : le néolibéralisme. Et il est simple: il faut veiller à la liberté (entendez le monopole) des marchés des capitaux. Et quand l’économie va, tout va. Dès lors, la politique se retrouve reléguée au second plan.

Ainsi, au Rwanda, la mondialisation qu’est l’ouverture des marchés des capitaux, s’intègre parfaitement dans la création d’un champ géopolitique et arbitraire. Je parle de la Communauté de l’Afrique de l’Est (anglophone, je souligne). Et le petit pays des Mille Collines en est le moteur, d’autant qu’il se donne pour ambition de devenir la Singapour africaine. Mais pour cela, il faut montrer patte blanche pour accéder à un tel statut, parce que le continent africain a ce défaut de rimer plus souvent avec misère que business. Les investisseurs potentiels sont très exigeants…déjà que la démocratie, dans le cas du Rwanda, fait défaut : il faut trouver alors d’autres moyens pour compenser cette faiblesse. Lesquels ? La sécurité nationale ; une politique dite « anti-corruption » ; la propreté de la ville, des infrastructures tournées vers l’économie et les technologies de communication : tous des mesures externes qui plaisent à la vue et mettent en confiance des investisseurs encore hésitants à prendre le risque.

Mais passé la lune de miel, certains commencent à se poser des questions. En effet, au Rwanda, on se croirait vivre dans un parc Disneyland, tellement tout y semble magique. Tout le monde il est beau, propre et surtout positif en l’avenir. Les sourires sont étincelants et le yeux grands ouverts- comme des automates. Mais derrière le décor (en carton) et ses figurants, qui ne cessent de faire des vas-et-viens, répétant inlassablement les mêmes gestes – puritains – du lever au coucher, le paysage est vide. A savoir : où est le reste de la population, c’est-à-dire ceux qui ne font pas partie du rêve rwandais, la majorité, les « have not » ?

Ils sont terrés chez eux, à défaut de les rendre invisibles! Parce que croissance oblige, on est arrivé à une idéologie utopiste qui s’oblige à croire que les chiffres passent avant les hommes. Une croissance visible, mais qui a le défaut de ne pas être tangible, un peu comme un mirage. Le business, la croissance, le profit : des mots fétiches, des mots rois qu’il faut insérer dans toutes les conversations. Le reste n’est que parasite. Un rationalisme poussé à l’extrême, où seuls le rendement compte : l’Homo œconomicus s’est réincarné au Rwanda.

Ce nouveau positivisme a un autre grand défaut qui est celui d’être exclusif. Toute cette accumulation de richesse est tenue par une élite peu scrupuleuse : la nouvelle bourgeoisie anglophone. Le peuple, la masse participent très peu voire pas du tout au processus économique. Ils tiennent rôle de figurants, non d’acteurs. Et la personnification de cette économie exacerbée, traduite en l’image du visionnaire Paul Kagamé, est dangereuse. Ce type d’associations n’est pas sans rappeler le déchu et feu Mouammar Kadhafi. En effet, quand toute l’image d’un pays en plein essor est vue comme l’œuvre d’un leader – mégalomane, on a à faire à une château de cartes – et ce peu importe les efforts économiques effectués.

Mais quand a lieu cet effondrement des cartes exactement ? A vrai dire il survient quand il y a rupture d’un contrat socio-économique, d’une règle, même tacite, entre deux ou plusieurs acteurs. Que celle-ci soit déclenchée par le pouvoir en place (le haut), la masse prolétaire (le bas), voire l’Occident et alliés (forces externes), importe peu, ici, parce qu’aujourd’hui, rien ne laisse présager une telle voie, à moins, peut-être, de se pencher plus sur cette élite bourgeoise en exil: celle écartée du champ de pouvoir, donc (et ça ils ne vous le diront jamais) aux privilèges. Ne fantasme-t-elle pas de briser le haut, qui l’a exclu? Ne maintiendrait-t-elle pas le reste de la structure, à savoir le bas et l’extérieur, si elle venait à renverser son rival? Je parle du RNC (Rwanda National Congress). Et Théogène Rudasingwa tend à se profiler (consciemment ou inconsciemment) comme tel, à travers ses critiques et états-d’ âmes. Mais aussi longtemps que Paul Kagamé reste solvable, tout en sauvegardant les intérêts et contrats de ses créanciers, à savoir les Etats-Unis, l’Angleterre, la Belgique, même la Chine…mais aussi de la classe bourgeoise rwandaise et enfin la sécurité nationale, bref : le statu quo, son règne reste assuré. Donc créer des institutions dites « fortes » ce n’est rien d’autre que préserver la stabilité d’un système et ses intérêts propres. Et aussi longtemps qu’ils sont assurés, c’est-à-dire maintenus : le chien aboie, la caravane passe. En d’autres mots, les opposants politiques ont beau s’immoler, même à tour de rôle, pour demander un « changement », ils ne savent pas, hélas, de quoi ils parlent. Parce que justement, dans le champ des puissants et leurs privilèges: personne n’aspire véritablement au changement ! Car cela implique trop d’efforts, trop de sacrifices…sauf, peut-être, ceux qui n’ont rien à perdre…

Cela étant dit, la question est de savoir maintenant quel candidat se dit prêt, c’est-à-dire capable, de renverser Paul Kagamé et/ou le FPR, sans perturber le statut quo ? Quel candidat peut faire mieux, tout en maintenant le capitalisme en place ? C’est là tout l’enjeu. Théogène Rudasingwa,  suivi de Paul Rusesabagina, on ne peut nier qu’ils concurrencent Paul Kagamé dans la course des « bons élèves ». Et qui pense élève, pense au Maître.

La démocratie et les droits de l’homme (concepts occidentaux !) ne sont que des mots vides de sens si l’on n’a pas compris les enjeux derrière, à savoir le monopole du marché par ceux là mêmes qui défendent ces valeurs nobles ! Donc, encore une fois, quand Barack Obama prend la peine de se déplacer sur le continent africain pour prêcher que celui-ci a besoin d’«institutions » fortes, non d’«hommes forts », il veut dire implicitement : nous voulons des institutions stables, érigées et sponsorisées par nous, uniquement pour sauvegarder nos intérêts (un marché, un champ). Quant aux hommes (leurs représentants ou gérants, peu importe), on les change comme bon nous semble, c’est nous les puissants après tout. C’est l’empire Coca-Cola. On t’installe des automates compatibles qu’avec les produits Coca Cola. Jusque là c’est logique. Donc je résume : le costume, le scénario, l’idéologie institués restent identiques et l’acteur lui est interchangeable, à travers le temps et l’espace. L’homme physique meurt, l’institution (c’est-à-dire la loi), restent. Et la police (l’OTAN) –  pouvoir exécutif  de l’Occident – et là pour assurer cet ordre établi.

Conclusion, Paul Kagamé, pour “certifier” cette tâche “difficile” qu’est de maintenir la satisfaction des investisseurs, des créanciers et enfin du marché, il ne peut que s’en prendre aux pauvres, aux faibles – les sans-capitaux, les sans-actions. C’est eux et leurs symboles futiles (vélos, pieds-nus, l’agriculture vivrière, mais aussi opposants politiques, etc.) qui deviennent le sacrifice de la modernité. Et comme les droits de l’homme sont inexistants au Rwanda, sa population ne peut manifester son indignation – sous peine de répression. Ainsi va le monde.

Par Jean Bigambo

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