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Le Rwanda, modèle de réconciliation ?

Le Rwanda, modèle de réconciliation ?

Ces 08 et 09 novembre, la capitale rwandaise accueillera les dirigeants des grandes institutions internationales et régionales ainsi que des experts et des chercheurs pour une conférence portant sur le thème de «  l’édification de la paix après un conflit : l’expérience du Rwanda ». C’est ce qui ressort d’un communiqué de presse de la Banque Africaine De Développement(BAD).

Mémorial du génocide à Kigali

Mémorial du génocide à Kigali


 
Cette conférence est activement soutenue par la banque africaine de développement et les enjeux de celle-ci sont nombreux et ambitieux. En effet, la réconciliation, l’unité, la reconstruction et le développement après un conflit seront au cœur de cette conférence à travers l’expérience rwandaise.
La BAD rappelle que le Rwanda a souffert de l’un des conflits les plus violents du XXème siècle et connait actuellement « un succès dans la réconciliation, la reconstruction, et le développement depuis la fin du conflit ». La raison de ce redressement reposerait selon la BAD, sur la combinaison de leadership, d’appropriation nationale et de méthodologies innovantes en matière de gouvernance ainsi que dans la création d’emplois avec l’appui de la communauté internationale.
La conférence de la paix comme vitrine de la politique de réconciliation menée par le FPR depuis 17 ans.
 
A travers cette conférence, Kigali tente une fois de plus de s’affirmer sur la scène politique régionale et d’exprimer sa solidarité avec les autres pays sortant de conflit. L’ambassadeur Eugène Richard Gasana, président de la commission des Nations Unies pour le maintien de la paix a exprimé cette solidarité dans son discours inaugural.
Il est à noter que cette conférence débutera juste après la clôture de la semaine d’unité et de réconciliation, célébrée tous les ans au Rwanda du 17 au 22 Octobre depuis 2008 par la population rwandaise qui est appelée à réfléchir et à se prononcer sur la politique d’unité et de réconciliation nationale. Cette année, le thème de cette semaine était : « dignité pour tous, battons nous tous pour la paix, l’unité et la réconciliation ». Cette semaine a été mise en place par la commission nationale d’unité et de réconciliation.
Pour cette commission, l’objectif de cette semaine est d’évaluer les avancées de la politique d’unité et de réconciliation et de protéger les acquis de celle-ci comme le précise le quotidien en ligne igihe.comi.
Quels sont les fondements de cette politique ?
Dans le rapport d’activité de la commission nationale d’unité et de réconciliation (CNUR) de 2009-2010)ii, la politique d’unité et de réconciliation est destinée à construire une identité rwandaise unifiée tout en favorisant la réconciliation entre survivants du génocide et génocidaires. Selon cette politique, le gouvernement doit réapprendre à la population l’unité ethnique qui prévalait avant le colonialisme à une époque où Tutsis et Hutus «  vivaient dans une harmonie paisible et collaboraient dans l’intérêt du pays ».
L’encadrement strict des communications publiques, l’entretien de la mémoire collective du génocide par des lieux commémoratifs et des sépultures communes, l’adoption de nouveaux symboles nationaux et la restructuration administrative du Rwanda sont au cœur même de la politique d’unité et de réconciliation. L’éducation civique et les camps Ingando sont les deux autres mécanismes sur lesquels reposent cette politique selon la chercheuse canadienne Susan Thomson qui s’est illustrée pour ses travaux de recherche doctorale concernant le clivage entre la politique officielle mise en place par le Rwanda après le génocide et la réalité . Elle a publié en 2010 un article intitulé « La politique d’unité et de réconciliation nationale au Rwanda : figures imposées et résistance au quotidien » dans le dossier «  lutter dans les Afriques » de la revue Genèse n°81. Le gouvernement distingue les camps de solidarité Ingando s’adressant aux étudiants admis à l’université des camps de rééducation Ingando s’adressant aux génocidaires avoués et anciens combattants.
Dans le rapport de la société civile sur la mise en œuvre du pacte internationale relatif aux droits civils et politiques publiée en 2009 conjointement par le centre pour les droits civils et politiques ( CDCP) et la ligue des droits de la personne dans la région des grands lacs ( LDGL)iii, la réconciliation est une problématique majeur qui se pose dans l’après génocide de 1994.
 

Camp de réfugiés rwandais en Tanzanie (fin 1994)

Camp de réfugiés rwandais en Tanzanie (fin 1994)


Par conséquent, un arsenal de mesures législatives est mis en place pour réconcilier les rwandais. Citons la constitution de Mai 2003 qui interdit de propager les idées divisionnistes et prohibe les différences d’origine ethnique. La commission nationale d’unité et de réconciliation (CNUR) et la commission relative à la lutte contre le génocide ont été instituées en application des articles 178 et 179 de la constitution. Une autre loi sur la répression des crimes de discrimination et celle réprimant l’idéologie du génocide ont été adoptées. 
 
 
 
Cependant, après 17 ans, cette politique qui est le chef d’œuvre du régime peine à bâtir une véritable réconciliation pour plusieurs raisons.
La commission nationale d’unité et de réconciliation n’apparait que comme une émanation du gouvernement et n’offre pas à la société civile une large possibilité de collaboration selon le CDCP et la LDGL. Ces deux ONG rappellent que malgré ces mesures législatives le Rwanda doit évaluer le fonctionnement de ses structures et engager un débat ouvert sur le processus de réconciliation. Les enseignements de la rééducation Ingando constituent un instrument de consolidation du contrôle par l’Etat plutôt qu’un effort sincère pour favoriser la réconciliation parmi les rwandais ordinaires selon la chercheuse S.Thomson. S.Thomson constate des actes de résistance de la population rwandaise face à la politique d’unité nationale et de réconciliation.
Dans son article précédemment cité, elle s’intéresse à la manière dont les rwandais s’accommodent de cette politique censée viser la réconciliation et l’unification mais qui dans les faits entraîne des problèmes de toutes sortes et la population est à nouveau traumatisée. Elle distingue également 3 formes de résistance au quotidien : «  le positionnement en marge, le conformisme irrévérent et le mutisme détaché »iv. Elles sont adoptées par certains quand ils interagissent, évitent ou se confrontent aux exigences étatiques liées à cette politique. Pour certains rwandais, cette politique ne produit qu’un semblant d’unité et de réconciliation au quotidien.
La question de l’identité ethnique est manipulée pour préserver le pouvoir de l’Etat. Le gouvernement de l’après génocide a évacué la notion d’appartenance aux différents groupes ethniques traditionnels : Hutus, Tutsis et Twas afin de favoriser la réconciliation. Mais dans les faits, on constate que les identités existent toujours que ce soit lors des célébrations de la commémoration du génocide Tutsis le 07 avril ou lors des procès gacaca. S.Thomson explique que tous les hommes Hutus sont présumés coupables de génocide et doivent se défendre contre ces accusations. Un accusé peut perdre son droit de vote.
Sur la question de la légitimité des tribunaux gacaca les rwandais ne sont pas unanimes. Pour certains, ils étaient pratiques pour des raisons logistiques mais tous n’apprécient pas le système, notamment à cause de la difficulté de témoigner à cause des menaces et intimidations. Amnesty International et Human Right Watch (HRW) soulignent que les tribunaux gacaca ne relèvent pas d’un procès juste selon les standards internationaux car les accusés ne bénéficient pas de défense légale. De plus, les juges étant des anciens du village, ils peuvent prendre parti.
HRW déplore «  des fausses accusations dont certaines basées sur la volonté du gouvernement rwandais de faire taire les critiques, le détournement du système gacaca pour régler des comptes personnels ; l’intimidation des témoins à décharge par des juges ou par des autorités ».
« Dans de nombreux cas, des témoins potentiels ne se sont pas exprimés pour la défense de suspects du génocide parce qu’ils craignaient des poursuites pour parjure, complicité dans le génocide ou idéologie génocidaire ».
HRW reproche également la non-inclusion dans la compétence des gacaca des crimes qui ont été commis en 1994 et dans l’après 1994 par des éléments du front patriotique rwandais (FPR) actuellement au pouvoir.
La mise à l’écart des Hutus des cérémonies de commémoration constitue un frein important à une véritable réconciliation. Claudine Vidal, sociologue et directrice de recherches émérite au centre national de recherche scientifique (CNRS) a étudié avec attention ce problème dans l’article « la commémoration du génocide au Rwanda »v et montre que depuis 1996 le statut de victime est refusé à tout Hutu, quand bien même il n’aurait aucunement participé au génocide. La logique ethniste demeure au cœur du discours officiel : « tout Hutu est suspect puisque son ethnie s’est rendue coupable du génocide ». La qualité de victime n’est reconnue qu’aux seuls Tutsis alors que de nombreux Hutus ont été tués par des responsables du génocide car ils étaient des opposants à la politique des massacres. Dans certaines régions, des Hutus ont sauvé des tutsis au péril de leur propre vie et les projets visant à rappeler cette vérité sont taxés de « négationnistes ».
Le refus d’accepter publiquement que des hutus aient été aussi victimes du génocide s’ajoute à la négation des massacres massifs de populations hutues perpétrés par le FPR avant et après sa victoire de juillet 1994. Enterrer publiquement les seules victimes du génocide prive les hutus dont les familles ont été tuées par le FPR de mener eux aussi leur deuil. La privation de deuil subie par la population hutue et les contraintes de silence contribuent à ce que pour une partie d’entre elles, les populations hutues n’acceptent pas de partager la douleur des survivants tutsis du génocide.
Enfin, l’enseignement de l’histoire officielle qui se donne la prétention d’être la vrai histoire du Rwanda et qui argue comme causes premières du génocide la haine interethnique est un autre frein à la réconciliation.
D’après l’histoire officielle, c’est «  la haine interethnique qu’éprouvent les hutus envers les tutsis qui est la racine du génocide. La paix et la sécurité ne sont possibles que si les hutus se débarrassent de cette haine ».
Finalement, le gouvernement de Kigali a construit une politique d’unité et de réconciliation qui soulève d’autres problèmes et que le gouvernement ne résout pas véritablement. La réconciliation forcée, et la propagande de l’histoire officielle sont les fruits de cette politique. La population est de nouveau traumatisée. Cette conférence sur la paix apparait jour après jour comme une simple et pure communication politique de grande envergure qu’une réelle volonté politique de réflexion sur l’unité et la réconciliation après un conflit.
 
En octobre 2000 à l’occasion du sommet de l’unité et de la réconciliation à Kigali, un participant avait déclaré :«On ne le dit pas assez fort, mais le problème de la mémoire des Hutus est un préalable pour que les gens puissent s’asseoir ensemble et discuter sincèrement sur les vrais problèmes du pays, parce que tant qu’une seule partie de la population du Rwanda sera autorisée à pleurer ses morts, à crier sa détresse, sans que l’autre partie puisse faire son deuil, la réconciliation devra attendre ». Ceci résume bien le fond du problème qui reste toujours un tabou 11 ans après.
Marie Umukunzi
Jambonews.net
 
 

v Claudine Vidal, « La commémoration du génocide au Rwanda », Cahiers d’études africaines [En ligne], 175 | 2004, mis en ligne le 30 septembre 2007, consulté le 27 octobre 2011. URL : http://etudesafricaines.revues.org/4737
 

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