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Rwanda : la manifestation du 19 novembre, à Bruxelles

Rwanda : la manifestation du 19 novembre, à Bruxelles

Acte I : Le Rassemblement

Samedi 19 novembre. A 13h30 : Station Métro Montgomery, à l’extérieur : l’arrêt de bus situé en face du rond-point éponyme.

Manifestation du 19 novembre à Bruxelles

Manifestation du 19 novembre à Bruxelles


Une foule de rwandais commence à s’assembler sous un soleil franc de fin novembre. Il fait frais mais bon. Des morceaux de tissu rose bonbon en soie synthétique viennent égayer la place. C’est Daphrose qui les distribue. Avec l’affection d’une mère, elle précise qu’il faut les attacher autour du bras. Tout le monde se prête au jeu. Non ce n’est pas la Kermesse. Le rose, dans ce contexte, symbolise la tenue humiliante que portent les prisonniers au Rwanda. Dès lors, le rose devient symbole de solidarité.
Les manifestants, rassemblés, tiennent à montrer leur fraternité envers leurs compatriotes, incarcérés arbitrairement dans les cellules insalubres de la prison 1930, à Kigali. Que le Rwanda ne serait être une démocratie quand il a dans ses fonds des prisonniers politiques, réduits au silence, le crâne rasé et les menottes aux mains. Et les photos brandies de Victoire Ingabire (l’héroïne du jour), Bernard Ntaganda et Déo Mushayidi sont là pour nous en donner la preuve. De la première, les passants questionnent : « quel genre de gouvernement réduit une femme à pareil sort ? »

Le rond-point Montgomery se tient pour place témoin : le monde entier doit savoir que le Rwanda est une dictature et que son dirigeant, le Général Paul Kagame, est un criminel. La majorité des manifestants est composée de citoyens d’origine rwandaise, venus des Pays-Bas, de France et toutes régions de Belgique. Ils se sont spécialement déplacés pour l’occasion. Et de la bouche du métro, sortent davantage d’hommes et de femmes. Ils viennent gonfler les rangs. Une dizaine de policiers sont là pour les encadrer autant que dévier la circulation, car une partie de l’Avenue de Tervuren sera momentanément assiégée.

Les tambours, les sifflets retentissent et réchauffent l’air. Au milieu de la foule, des embrassades. Joseph Matata, l’un des organisateurs de la manifestation, fait des va-et-vient. Je tente de l’approcher, sans succès. Il promet de me retrouver plus tard, une fois arrivé à l’ambassade du Rwanda : destination finale – pour un compte rendu de la Marche. J’accepte, et à peine je me tourne: j’aperçois le colonel Luc Marchal – debout, de pied ferme. Pendant qu’un camarade est occupé à lui attacher le tissu rose autour de son bras gauche, j’en profite pour lui poser quelques questions. Marchal se sent très concerné. Il note, à propos du Rwanda, qu’il « commence à être vu sous un nouveau jour». L’espoir pointe le bout de son nez, avant de terminer par : « les anglo-saxons n’ont aucun intérêt à ce que la vérité soit connue… »

Le monde afflue. Plus loin, une piétonne, accompagnée d’un jeune garçon, prennent le risque d’approcher ces tambours battant, au milieu de la foule. Pendant que le petit garçon observe les instruments avec curiosité, la mère est plus intriguée par les panneaux où sont collés des images embarrassantes des cadavres humains, associées à des personnages. Parmi ceux-ci, elle reconnaît le Général Paul Kagame. Un portrait peu flatteur : des canines longues où coule du sang, faisant allusion à un vampire assoiffé de chaire humaine. Ces images macabres, baignant dans du rouge vif contrastent fortement avec le rose bonbon du début – plus léger – par ailleurs rappelant l’esprit symbolique de la cause du jour. La dame ne tarde pas à demander le rapport avec la manifestation. A sa question, son accent révèle une origine autre. Elle est anglo-saxonne. De Londres plus précisément. Expatriée à Bruxelles, elle s’excuse aux manifestants de connaître si peu sur le Rwanda et son actualité. D’autant que celle-ci, dit-elle, a été occultée par les révolutions dans le monde arabe. « Nous demandons la libération des prisonniers politiques ! » – s’empressent-ils alors de lui répondre.

Acte II : La Marche

14h30: le cortège prospère sur l’Avenue de Tervuren, au son des tambours, toujours, comme pour guider le pas – plutot lent. On distribue des prospectus aux passants. Les voitures sont immobilisées. Pas un klaxon. La police surveille. Il fait beau et l’humeur est collégiale. Les tissus roses intriguent tout autant, d’autant que certains, plus audacieux, n’ont pas hésité à les serrer autour du front. Voilà que l’automne arbore les couleurs du printemps. Mais ne vous fiez pas à la couleur – tendre. Le rose se veut ici militant ! L’Avenue de Tervuren appartient aux assoiffés de Justice. On crie tout le long: « Libérez Ingabire ! Libérez Mushayidi ! Libérez Ntaganda ! » Un défilé estimé à 300 personnes. Et malgré le nombre, la police fédérale ne peut que saluer la discipline au sein de la mobilisation.

Marche de soutien à Victoire Ingabire Umuhoza du 19 Novembre 2011

Marche de soutien à Victoire Ingabire Umuhoza du 19 Novembre 2011


Durant la marche, je reconnais, au loin, Raïssa : la fille de Victoire Ingabire. Avant toute communication, je supplie d’abord la dame à ses côtés de stopper avec son Vuvuzela. Je reviens à Raïssa, 22 ans: la peau claire et la sérénité du cœur. Elle préfère répondre soit anglais soit en kinyarwanda. J’opte pour la première option. On parle du procès en cours intenté contre sa mère, de son caractère biaisé – dénoncé par la défense et société civile.  En effet : « ma mère a été arrêté pour des motifs politiques ». Mais la fille est confiante, grâce notamment à l’attention et soutien de la communauté rwandaise et étrangère – qui ne cessent de grandir. Or, la dernière fois qu’elle a parlé avec sa maman c’était le 14 octobre 2010 : date de sa deuxième arrestation (la première étant le 21 avril 2010). Bref, un seul mot d’ordre: l’espoir.

Acte III : l’Ambassade

15h30 : le cortège est accueilli par des banderoles au fond blanc, accrochées aux arbres qui longent l’avenue verte médiane et piétonne. L’une des plus belles avenues de Belgique, là voilà à présent envahie par une masse d’indignés. Celle-ci n’a pas hésité à ériger une tente (sit-in), aussi éclatante que légère, comme pour dénigrer l’ambassade intransigeante, en briques rouges, qui lui fait face. D’ailleurs, à travers les vitres entrouvertes de la cathédrale, sortent de petits flashs timides et dérisoires, que la foule préfère les narguer – comme pour dire que l’heure du terrorisme kagaméen vit ses dernières heures ? En tous cas, sur les grandes banderoles, les messages sont clairs, notamment : « Rwanda : le monde doit sortir de l’immobilisme sauvage ». Au delà de l’euphorie et du beau temps, il semble y régner dans la foule un esprit de solidarité. Il faut rappeler que la majorité des partis d’opposition était présente. A savoir le parti d’Ingabire, le FDU-Inkigi (Forces Démocratiques Unifiées) – représenté par Joseph Bukeye ; le PDP-Imanzi (Pacte de Défense du Peuple) de Déo Mushayidi, représenté par Gérard Karangwa ; le RNC (Rwanda National Congress), représenté par Joseph Ngarambe et le PS-Imberakuri lancé par Bernard Ntaganda et représenté par Jean-Baptise Ryumugabe. Tous appellent à la libération des prisonniers politiques cités plus haut: Victoire Ingabire, Bernard Ntaganda, Déo Mushayidi, mais aussi d’autres moins connus, rappelés par Joseph Matata : Charles Ntakirutinka et Théoneste Niyitegeka.

Justement, Joseph Matata en profite pour rappeler que la mobilisation ne connaît pas de répit. En effet, tous les mardis, devant l’ambassade, le combat continue. Il demande également une mobilisation financière à la hauteur de la mobilisation physique de ce jour. C’est la voix d’un homme d’expérience qui parle à travers le mégaphone. Matata connaît bien ce lieu, lui qui vient souvent camper les mardis devant l’ambassade. C’est surélevé sur un petit tabouret qu’il appelle à un véritable « changement de mentalités ». La peur n’a plus lieu d’être, même quand on sait la nature très méfiante des rwandais. Son discours est applaudi chaleureusement. Il est aussitôt suivi par celui de Joseph Bukeye, cité plus haut. Il est venu faire entendre haut et fort l’historique du procès d’Ingabire, à Kigali. Que l’ambassade du Rwanda entende lui aussi : Ingabire ne se laissera pas intimider par les fausses accusations et humiliations quotidiennes lancées contre elles.

Acte IV : Le Dénouement

16h00 : la police fait signe. C’est l’heure de remballer. Après tout l’essentiel a été dit. Le public applaudit à son tour la police pour sa collaboration. La foule commence à se disperser, laissant apparaître, dans son sein, un homme à la peau ébène, dans une veste noire, austère : Joseph Ngarambe, du RNC. Il est pourtant aimable et à vrai dire, il ne cache pas son enthousiasme quant au bon déroulement de la mobilisation. Je lui demande qu’on s’éloigne pour répondre à quelques questions très brièvement. Il accepte volontiers. Se joint au duo, Gérard Karangwa, du PDP. Mais ce dernier je le perds de vue. Je me retourne vers Ngarambe. Le message du jour est le même, notamment que « la liberté des prisonniers – c’est une lutte ». Le RNC est là pour représenter (la nouvelle) unité rwandaise. Il loue les actions  récentes du RNC à Rouen, à Bruxelles, à Pittsburg et même à Perth (Australie) – qui toutes se voulaient une protestation contre les visites du Général Kagame. Le RNC veut en finir avec le système, monopoliste, du président rwandais. Et Ngarambe me rassure que les rwandais n’ont rien à craindre de son parti (né d’anciens cadres du FPR). Notamment que le RNC collabore étroitement avec le FDU-Inkingi et qu’il est derrière Ingabire, à 100%. Qu’il est temps, pour ceux qui critiquent encore le RNC de ne pas « tout dire », de se retourner  la question : à savoir si eux aussi ont tout dit ? Parce que en ce qui concerne le RNC : la messe est dite. L’heure est à l’action.

16h15 : on nous oblige sérieusement à dissoudre le rassemblement. Reste seul Joseph Matata et quelques uns de ses compagnons de route. La police apporte son aide, en rappelant la présence d’objets oubliés. Matata est toujours occupé. Il doit démonter la tente, les banderoles et mettre le tout dans sa petite voiture grise – déjà pleine. Le froid, le calme sont réapparus. La chaleur des corps s’est éparpillée, évaporée. Pensant trouver un homme satisfait de sa journée, c’est un homme plutôt déçu qui accepte, enfin, de m’accorder quelques mots, en kinyarwanda. Tout en étant occupé à nouer les paquets, Matata, d’un ton lassé me confesse : « les opposants politiques sont des cancres (abaskwa) ! Et si veux tu peux l’écrire tel que je te le dis ». A moi de lui demander pourquoi. Il me répond : « il manque une solidarité, une cohérence, une union…et tout ça ca renforce la dictature ». Il continue : « il n’y a eu aucun communiqué du FDU ; de Rusesabagina à propos d’Eric Nshimyumuremyi ! » Matata parle du jeune cadre du PS-Imberakuri dont la brigade anticriminelle de Kigali a tiré une balle dans la poitrine, alors même qu’il rentrait de l’audience de Victoire Ingabire (FDU), le 15 septembre 2011. Aujourd’hui personne ne sait déterminer son état de santé, parce qu’incarcéré, entre la vie et la mort, dans son lit d’hôpital. « Et Rwisekera…on en parle pas ! ». Matata est fatigué et en colère. Pour l’alléger…je lui demande si le RNC est légitime dans la course à l’opposition. Il me répond que « eux au moins ils nous ont aidé à monter les tentes »…

Le soleil baisse. Me voilà entre deux républiques : la République des flashs, honteusement cloitrée derrière les murs de l’avenue des fleurs, et derrière moi, une tente démontée : celle de la République des opposants politiques. Deux mondes, imperméables l’un à l’autre, séparés par une route où des voitures roulent à toute allure, toujours sous surveillance des policiers.

Finalement, dans les deux mondes : tout n’est pas rose.

Jean Bigambo

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