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Rwanda, Charles Ingabire

Rwanda, Charles Ingabire
Charles Ingabire

C’est le choix le plus absurde, dira-t-on, qu’avait fait feu Charles Ingabire – qu’est celui d’écrire. Pourtant il n’ignorait pas que ce verbe se conjuguait, au Rwanda, avec mourir. Le droit le plus fondamental, à savoir l’expression, s’est retrouvé dans ce petit pays des Grands Lacs transformé en peine capitale. Mais Ingabire savait, aussi, qu’écrire c’était être un homme libre. Et sa plume lui en donnait l’espoir. Il était humain après tout. Notamment que l’humanité allait le sauver de sa solitude – née de l’exclusion, parce que n’adhérant point au discours démagogue du régime totalitaire dont il en était la virulente critique. Aujourd’hui c’est trop tard. Il est mort.

Charles Ingabire

Charles Ingabire

Ingabire était journaliste. Pire, il était mortel rwandais, témoin – à distance – des injustices perpétrées par le régime totalitaire FPR (Front Patriotique Rwandais). Que de celui-ci, la simple évocation de son franc nom, dans les bas-fonds des Mille collines, les visages se voilent, les lèvres deviennent des tombes et les cœurs implorent à la raison de cesser de battre.

-La Bête est là ! Murmure-t-on.

-Tu la sens? Oui. Comme si elle me saisissait déjà! J’entends mes yeux se dilater au point de faire éclater les veines. Je disparaîs alors dans la végétation, le silence et l’obscurité macabres. Quand je m’arrête, à bout de souffle, c’est pour implorer le Pardon à quiconque m’entendrait, pendant qu’un froid glacial et fugace me pénètre et fige mon corps. L’espoir de s’échapper s’amoindrit à mesure que les extrémités de la Bête, aux yeux multiples, tournoient passionnément, comme possédées, au-dessus des collines.

C’est pourtant méticuleusement qu’elle choisit sa victime, et celle-ci où qu’elle soit ici bas sur Terre. Elle ne connaît point de frontières. Assurément que le carnassier, aux tentacules sans limites, a le pouvoir d’ausculter les fonds des océans autant que les profondeurs des corps même les plus pudiques. C’est la force du gouvernement FPR. A vrai dire même, il ne force pas, il séduit. Pour un temps on se plaît à y croire. En effet, ses paroles ne sont-elles pas douces et mielleuses? Le corps, succombant, se donne alors tout entier aux charmes étatiques. C’est là qu’entrent en action ses tentacules : doigts fins au toucher chaud-velours, comme pour s’ajuster à la chaleur corporelle de la future victime, ils se faufilent partout et te voilà enveloppé, prisonnier tel une proie prise au piège dans une toile d’araignée – avant le coup fatal. Une invitation au monde des Ténèbres.

Ingabire a été assassiné. Trente-et-un ans, dans la fleur de l’âge, rédacteur en chef du journal web rwandais Inyenyeri News.org, il a succombé à deux blessures par balle, tirées à bout portant, au thorax, la nuit du mercredi 30 novembre au 1er décembre, à 2heures du matin, à la sortie d’un maquis – du quartier Bukese-Kibari : une banlieue de Kampala, en Ouganda. Tout porte à croire que la Machine Répressive aurait de nouveau envoyé ses mercenaires – en 4×4 Pajero – pour faire la triste besogne : que l’âme de Charles ne puisse point voir l’aube, et ce à jamais. Et sûrement que les élections présidentielles et législatives se déroulant actuellement chez le voisin, en République Démocratique du Congo, se chargeront à eux seuls de camoufler l’affaire. C’est vous dire le calcul machiavélique.

En attendant, le corps froid d’Ingabire laisse en pleurs toute une communauté en effroi, à commencer par la jeune veuve et son bébé, ce dernier âgé d’à peine cinq mois. Les funérailles ont eu lieu vendredi de la même semaine, dans l’après-midi. Selon le journal ougandais The Daily Monitor, du lendemain : seule une vingtaine de personnes sont venues se recueillir auprès du cercueil, recouvert de bouquets de fleurs. Le service a duré vingt minutes. Les endeuillés fuyaient tout regard, tout contact. Bien plus que la tristesse, c’est la peur qui a rendu témoignage, ensemble avec deux pasteurs. Au sein même des rassemblés, il y avait des hommes tenant en main des Talkie-Walkie et semblant communiquer durant l’office…non avec Dieu, hélas, mais avec, semble-t-il, la Bête. Faisant que ceux venus rendre hommage au défunt se sont effacés aussitôt le service fini. Toujours d’après le journal : aucune photo d’identité n’a été prise. Dès lors le deuil s’est fait fugitif. La dépouille a été enterrée sommairement au cimetière de Lusoze, dans le département de Rugaba, en Ouganda. Toujours.

Le journal BBC écrit pour titre de l’article du 2 décembre : « Un journaliste rwandais, Charles Ingabire, assassiné en Ouganda ». En effet, Ingabire avait fui Kigali (alors journaliste pour le journal Umuco) en 2007, pour se réfugier dans le pays voisin comme exilé politique, parce que craignant sérieusement pour sa vie. Malgré les menaces évidentes, même en Ouganda, sa demande de réinstallation en tant que réfugié politique lui avait été refusée par le HCR (Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés). Or son cas était légitime – quand la BBC elle même écrit, toujours dans le même journal, que : “Plusieurs détracteurs de M. Kagame ont été attaqués ou assassinés ces dernières années”.

Quant à Human Rights Watch, il se veut encore plus clair. Son directeur de la division Afrique, Daniel Bekele, affirme: « La persécution des détracteurs du gouvernement peut dépasser les frontières du Rwanda ». L’ONG témoigne plus loin que “Des amis de Charles Ingabire ont affirmé à Human Rights Watch que celui-ci leur avait confié avoir été menacé à plusieurs reprises dans les mois qui ont précédé sa mort. Environ deux mois avant son meurtre, il a été attaqué et battu à Kampala, et son ordinateur volé. Les assaillants — qu’il n’a pas reconnus — lui ont dit qu’ils voulaient qu’il ferme son site Internet.

Bien qu’il soit encore trop tôt pour tirer des conclusions quant au motif du meurtre de Charles Ingabire, sa mort s’inscrit dans un schéma de répression de journalistes indépendants, de membres de partis d’opposition et de militants de la société civile au Rwanda déjà bien documenté (…) Les Rwandais vivant en Ouganda sont particulièrement exposés, étant donné la proximité géographique et les liens étroits entre les deux pays (…) Les réfugiés rwandais à Kampala signalent fréquemment être menacés et suivis par des gens qu’ils pensent être des agents des services de renseignement rwandais”

Il est étonnant de voir le HCR, dont le but est de protéger des réfugiés persécutés, fermer les yeux à ce point, devenant, de facto, complice d’un régime sanguinaire. On sait également que la même organisation risque de décider la suspension du droit au statut de réfugié aux exilés rwandais, et ce à partir du 30 juin 2012. Kigali jubile.

Inyenyeri News, celui-ci, après l’annonce de la mort de leur rédacteur en chef, a fait un communiqué sur son site, notamment qu’il dénonce la fourberie, les menaces et assassinats chroniques du kagamisme dont sont victimes les journalistes, les opposants politiques et défenseurs des droits de l’Homme. Des premiers, Reporters Sans Frontières écrit: “Il s’agit du deuxième journaliste rwandais tué en l’espace d’un an et demi, après le meurtre, à Kigali, en juin 2010, de Jean-Léonard Rugambage”. Toutefois, ces intimidations, accouplées aux autres victimes de l’ère Macabre, ne découragent pas le Journal en deuil Inyenyeri News. Au contraire. Ils continueront à informer le peuple, bon gré mal gré.

En tout état de cause, c’est en hommage à Charles Ingabire, journaliste, que je dédie les vers suivants, du poète homonyme, Charles Baudelaire (1821-1867). Qu’entre espoir et désespoir, une ligne imperceptible les séparent, mais que seul la parole est capable de les distinguer. Écrire pour mourir ? Non. Mourir pour écrire. L’illustre écrivain français composera dans son recueil « Les Fleurs du Mal » ce sonnet, intitulé “l’Ennemi”:

Ma jeunesse ne fut qu’un ténébreux orage,
Traversé çà et là par de brillants soleils ;
Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage,
Qu’il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils.Voilà que j’ai touché l’automne des idées,
Et qu’il faut employer la pelle et les râteaux
Pour rassembler à neuf les terres inondées,
Où l’eau creuse des trous grands comme des tombeaux.

Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêve
Trouveront dans ce sol lavé comme une grève
Le mystique aliment qui ferait leur vigueur ?
Ô douleur ! ô douleur ! Le temps mange la vie,
Et l’obscur Ennemi qui nous ronge le cour
Du sang que nous perdons croît et se fortifie !

Par Jean Bigambo              

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