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Made in Rwanda: Un label identitaire complexe

Made in Rwanda: Un label identitaire complexe

Qu’est-ce qu’être un rwandais pour les jeunes nés entre 1989 et 1994 et ayant quitté le pays après les événements tragiques de 1994? Ils ont aujourd’hui entre 17 et 22 ans, entre adolescence et âge adulte. Comment ces jeunes définissent-ils leur identité culturelle rwandaise alors qu’ils n’ont pas grandi au « pays ». Selon Erickson, psychiatre américain, l’identité est « une réalité intime, un ressenti ». Nous avons donc interrogé ces jeunes individuellement entre le 04 et 07 novembre 2011. Ils habitent en France ou en Belgique.
Les jeunes interrogés sur la question : « qui es-tu ? » ont répondu rwandais alors qu’ils ont tous  une nationalité d’un pays

Natacha 17 ans, entrain de preparer un plat typique appris par sa maman: Imvange

Natacha 17 ans, entrain de preparer un plat typique appris par sa maman: Imvange


d’Europe.Pour Daniel Calin, Agrégé de philosophie, écrivain et formateur d’enseignants spécialisés en France, l’identité « doit faire l’objet d’une appropriation subjective, longue et aléatoire, qui ne se consolide guère avant la fin de l’adolescence ». Wafiq 19 ans, arrivé à l’âge de 6 ans en France après avoir vécu en Allemagne, affirme s’être senti rwandais à l’âge de 17ans. En effet, c’est à ce moment où il a commencé à se poser des « questions sur son identité rwandaise ». Dès lors, il est parti à la recherche « d’attaches notamment avec l’apprentissage de la langue rwandaise : le Kinyarwanda, de souvenirs des parents sur le Rwanda ».
Lors d’un débat tenu à l’institut Montaigne le 04 décembre 2010 sur la question : qu’est-ce qu’être français ?, Roger Paul Droit,
philosophe, revient sur la définition donnée par Aristote qui consiste à dire « qu’une chose n’est pas différente d’elle-même en dépit de ce qui arrive ». C’est à dire que l’identité est quelque chose de statique. Hors, Roger Paul Droit émet une autre opinion, d’après lui «  l’identité est du côté du devenir et non de l’être » en effet c’est une « construction ». Ainsi l’identité n’est pas figée, elle se construit à mesure que le contexte change.
Néanmoins, Inès 18 ans, arrivée en France à l’âge de 4ans se dit être rwandaise depuis toujours. À la question : qu’est-ce qu’être une rwandaise, elle répond « Être une Rwandaise c’est d’abord être née au Rwanda, communiquer avec sa famille en Kinyarwanda essentiellement ou en français pour les plus jeunes et respecter ses valeurs, sa culture et ses parents». Anissa, 17 ans, répond simplement par « être rwandais c’est avoir des parents rwandais », cependant elle avoue vivre une certaine confusion quant à son identité.
​La plupart de ces jeunes sont intégrés dans leur pays d’accueil et vivent une biculture. Il s’agit alors de trouver un équilibre, de négocier si l’on reprend l’idée développée par l’article « Cultural identity formation in multicultural contexts »* de Jean S. Phinney, professeur en psychologie.  Leur identité culturelle est née d’un héritage, non seulement, transmis par la famille mais aussi développé par leur seule volonté. De cet éloignement géographique et culturel est née une source d’affirmation. On la voit surtout dans les expressions culturelles rwandaises comme la danse où beaucoup de jeunes entre 17 et 22 ans ont su s’approprier cette partie de leur identité. Elle s’exprime également par la pratique du Kinyarwanda mais aussi dans les comportements de tous les jours.

Ange et Christelle, lors d'un mariage traditionel le 14 février 2010


L’une des raisons pour laquelle ces jeunes répondent tous être rwandais peut s’expliquer par une différenciation de fait. Être noir, dans les pays d’Europe, renvoie immédiatement à un ailleurs. Le « d’où je viens ? » est une question inévitable. La société dans laquelle ils vivent les identifie par leur origine. Lorsque l’on pose à ces jeunes la question de «  qui es-tu ? » la réponse attendue doit faire référence à une contrée lointaine : « personne ne s’attend à ce que l’on dise que je suis française » affirme Hyacinthe, 22ans. Ainsi, l’identité ne peut s’éloigner de l’histoire, ne dit-on pas en Afrique qu’ «  un tronc d’arbre à beau séjourner dans le fleuve, il ne se transformera jamais en crocodile » ?
Malgré une revendication de leur identité rwandaise, Inès et Warda 21ans, se disent également métissées et partagées entre leur culture rwandaise et celle de leur pays d’accueil. La notion d’identité est  « un mot valise ». À la question : « qu’est-ce que ne pas être rwandais ? » on serait tenté de répondre que l’identité culturelle rwandaise s’arrête lorsque l’autre identité dans laquelle on a grandi commence.
Ils emploient aussi le mot « blédard », lorsqu’ils veulent désigner les personnes « fraîchement » arrivées et ayant des caractéristiques d’un Rwandais typique « sans escale ». Chacun se construit sa propre définition face à cette notion complexe.  De la même façon que certains de ces jeunes qui se sont rendus au Rwanda en 2009 sont perçus là-bas comme « abanyarwanda b’abazungu » c’est à dire des rwandais blancs. Pour ces jeunes, être nés au Rwanda, avoir grandi en Europe leur donne « une identité particulière ». En effet, le plus souvent, il y a une partie du Rwanda qui leur échappe. Ils ne connaissent ni le paysage rwandais, ni le vocabulaire des parents, encore moins la famille restée là-bas. Ainsi ils s’adaptent selon l’environnement. À la maison, la culture est omniprésente par les plats, la langue, la décoration «  ibiseke », tout ce qui rappelle le Rwanda.
Lorsqu’ils côtoient la diaspora rwandaise notamment lors de fêtes comme les mariages, les baptêmes ou autres rassemblements, c’est leur identité qui devient instable. Certains de ces jeunes avouent ne pas se « sentir à l’aise ». En effet ils se mélangent à d’autres rwandais ayant une pratique des coutumes, de la langue, des rites rwandais beaucoup plus développée que la leur. Cela s’explique notamment par une immigration plus tardive, ils ont pu se référer à une seule et unique culture.Le Rwanda reste encore « incompris » par ces jeunes du fait de son Histoire. Ils avouent soit ne pas se sentir « concernés » ou ont « du mal à comprendre les problématiques du Rwanda surtout sur la question ethnique ». Toutefois, l’envie de voir le Rwanda reste forte et se ressent dans leur discours. En attendant, ils se contentent du « Petit Rwanda » : la Belgique. Aller en Belgique est devenu comme aller au « village » du fait de l’importante concentration de la population rwandaise dans ce pays qui fut chargée de la tutelle sur le Rwanda. « On est sur de croiser au moins un Rwandais dans les transports » nous confie Nadine, 20ans.
Au final, le label « Made in Rwanda » n’est pas normalisable. Il est revendiqué selon les contextes, il dépend des attentes de ces jeunes ainsi que de la place du Rwanda au sein de la famille. L’identité culturelle de la diaspora rwandaise en général est  facteur de son Histoire, des raisons de sa migration, des relations entre le pays d’accueil et celui d’origine.
Gisèle Nurukundo1
1)Lauréate de la catégorie « Articles écrits » lors de la première édition du Concours webjournalisme du 25 novembre 2011, organisé par l’ASBL Jambo, grâce à cet article désigné meilleur article du Concours par le jury.

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