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Rwanda-50 ans d’indépendance : récit de Louis Jaspers, Administrateur colonial

Rwanda-50 ans d’indépendance : récit de Louis Jaspers, Administrateur colonial

A l’occasion des 50 ans d’indépendance du Rwanda, Jambonews TV a rencontré Louis Jaspers, ancien administrateur territorial au Rwanda où il a séjourné de 1952 à 1959. Au travers d’anecdotes, de réponses à des questions sur des problématiques précises suscitant parfois la controverse, Louis Jaspers, véritable témoin-acteur de premier plan des événements de l’époque, nous livre son témoignage et  le récit de ce qu’il a vécu, nous permettant ainsi de revivre, à travers son regard, la période pré-indépendance.(1)

1949: Première Visite du Mwami Mutara III en Belgique, ici à l'Université coloniale, dans la haie d'honneur, Louis Jaspers reconnaissable par la croix au dessus de sa tête.

1949: Première Visite du Mwami Mutara III en Belgique, ici à l'Université coloniale, dans la haie d'honneur, Louis Jaspers reconnaissable par la croix au dessus de sa tête.


C’est le 1er avril 1952 que Louis Jaspers arrive au Rwanda, à Kibungo en tant qu’administrateur  territorial assistant après avoir fait des études coloniales ainsi que son service militaire. A l’époque, nous explique-t-il,  « être désigné pour le Rwanda-Burundi était presqu’une faveur ».
Contexte-socio politique de l’époque
Pour commencer, Louis Jaspers nous introduit le contexte socio-politique de l’époque et nous explique  que le Ruanda-Urundi  n’était en réalité pas une colonie mais un territoire sous tutelle sous le contrôle des Nations Unies. Concrètement, le travail était différent de celui qui se faisait au Congo, les Belges n’y exerçant qu’une administration indirecte.
A l’époque, le Rwanda était un Royaume « fort bien organisé, très centralisé au sein duquel  il y avait un Mwami [NDLR, un Roi], qui avait droit de vie ou de mort. Il y avait également des chefs, des sous-chefs, des juges » et  le travail d’un administrateur  de territoire était d’introduire cette administration indirecte, c’est-à-dire, « respecter ce qui existait mais corriger les abus, les injustices  et en même temps apporter  une amélioration de l’organisation notamment dans l’agriculture.»
Hiérarchie du système colonial
A l’époque,  nous raconte-il, le « Rwanda-Urundi » était considéré comme un seul pays et qui était aux yeux des belges une seule entité administrative à la tête de laquelle se trouvait un Vice-Gouverneur général.
A la tête de la partie Rwanda, il y avait un résident considéré comme le représentant de la Belgique auprès du pays.  En dessous, il y avait des territoires avec à leurs têtes des « administrateurs de territoires ». A l’époque il y avait 9 territoires. Chacun avait 1-2 ou 3 adjoints suivant l’importance du territoire.
Le Vice-gouverneur était au-dessus  du Roi. Pour la Belgique, le résident était chef du Rwanda,  il commandait le Mwami qui résidait à Nyanza. Le résident était lui installé à Kigali. Dans les territoires sous l’autorité de l’administrateur, il y avait des chefs, des sous-chefs et des juges qui étaient à cette époque tous Tutsi.
L’Ubuhake
L’une de nos premières questions porte sur le concept de l’Ubuhake, l’une des principales institutions évoquée lorsqu’on pense au système monarchique de l’époque.
1949:  Visite Mutara III en Belgique

1949: Visite Mutara III en Belgique


Louis Jaspers nous explique que l’ubuhake était un « contrat de servage » entre l’éleveur, Tutsi et l’agriculteur Hutu au terme duquel le premier fournissait une vache au second en échange de différents services.
« D’après ce qu’on  disait à l’époque », nous explique Louis Jaspers,  les Tutsi se sont installés au Rwanda au 13-14ème siècle et très vite ils ont été acceptés où ils se sont imposés à la population locale, conquise comme on pouvait le voir sur le Kalinga (tambour royal)  sur lequel «  il y avait les attributs sexuels des roitelets Hutu vaincus ».
Les Tutsi possédaient les terres et les richesses qui étaient principalement le bétail. Le Hutu aspirant également à avoir une vache, signe de cette richesse, passait un contrat avec l’éleveur  qui pouvait être résumé de la sorte : « Je te donne une vache mais en contrepartie, tu es à mon service, tu dois faire des travaux de ménage, entretenir la caféière, c’était un contrat de service. En même temps, l’umugaragu[NDLR : serviteur], avait sa maison et ses propres champs mais il était tenu de fournir des prestations au Sebuja. »
A la longue ajoute-t-il, le pouvoir colonial a considéré que cela était  exagéré, car, « le Hutu ne parvenait jamais à satisfaire complétement son propre chef, par exemple si le chef avait une dispute avec un autre chef, il réquisitionnait son umugaragu, pour combattre. »
Pour lui, parler d’ « esclavage » est exagéré car « il y avait un service de l’un à l’autre, mais le système était quand même toujours à l’avantage du sebuja [NDLR : Patron en Kinyarwanda] ».
C’est pour ça que l’administration de la tutelle, qui « dans un monde qui avançait et au sein duquel le cultivateur était de plus en plus sollicité pour d’autres travaux », avait une tendance à vouloir y mettre fin. Le Mwami lui-même a fini par le comprendre car « sans son accord, on n’aurait pas pu avancer sur ce plan-là ».
Les ethnies existaient-elles avant l’arrivée des Belges ?
Le Kalinga, tambour royal

Le Kalinga, tambour royal


Autre question posée à Louis Jaspers, celle de la préexistence des ethnies avant l’arrivée des Belges  et le pourquoi des mentions ethniques dans les cartes d’identité.
Louis Jaspers nous explique que les ethnies existaient, que « le Mutwa savait qu’il était Mutwa, celui qui était Hutu le savait très bien et le Tutsi surtout le savait très bien comme d’ailleurs on peut le voir dans les écrits de Kagame [Alexis Kagame, historien rwandais]». « Peut-être que les Belges ont exploité les choses et intégré dans leur « indirect rule » mais ils ne l’ont certainement pas inventé ».
A travers des exemples vécus, il démontre comment la réalité et la conscience ethniques étaient profondément ancrées au sein de la population, où la distinction était faite même dans la nourriture qu’on mangeait « la viande de mouton est pour les Batwa » et était inscrite jusque dans l’emblème même du Rwanda, adopté par le Conseil supérieur du pays et le Mwami Mutara, et qui évoquait « un peuple – trois races ».
Autre exemple qui s’est déroulé avant l’arrivée des Belges et dont il a par la suite eu connaissance, Louis Jaspers nous cite un échange entre le Roi Musinga et sa fille Mushembungu dans lequel le Roi évoque cette différence ethnique. « Dans les années 26-28, le Mwami Musinga qui avait des difficultés avec les missions, constate que sa fille Thérèse avait épousé un grand noble, le Chef Rwagataraka qui se faisait catholique,  il lui a écrit une lettre en disant : ma fille si tu fais ça, je ne te connaitrais plus, (…) tu seras pour moi moins que le MuHutu qui est le serviteur. ».
Ces distinctions n’étaient toutefois pas rigides. Des Batwa pouvaient être anoblis et « les Hutu aspiraient au moins à épouser une Tutsikazi. »
Sur l’appui initial des Belges à la Monarchie, Louis Jaspers l’explique par l’occurrence que le Rwanda, était une administration indirecte qui devait par conséquent être respectueuse de l’ordre préétabli. Le rôle de l’administration était dès lors d’appuyer ce qui fonctionnait bien et corriger les abus qu’il y’avait comme par exemple le droit de vie ou de mort du Mwami sur la population qui a été rapidement  enlevé par le pouvoir colonial.
[A l’issue des questions de contexte, l’interview a abordé d’un point de vue chronologique les principaux événements dont il a été témoin de son arrivée (1952) à son départ du Rwanda (1960).]
1952 : Système de conseils auprès des chefs
Comme premier événement important, Louis Jaspers nous cite la loi du 14 juillet 1952 qui a introduit pour la première fois au Rwanda et au Burundi, le système des conseils auprès des chefs et auprès des sous-chefs.
L’idée était que le chef et le sous-chef aient à côté d’eux un conseil de gens de leur commune qui les conseillent et dont ils doivent
Résidence de la Reine mère à Shyogwe

Résidence de la Reine mère à Shyogwe


prendre l’avis. « Malheureusement,  comme c’était tout nouveau ça a été exploité par les gens du système en place, tous Tutsi ».
En effet, nous explique-t-il, dans la désignation des gens de la commune qui devaient conseiller les chefs, le système de nomination a été exploité de telle sorte que alors que les Hutu représentaient près de 85% de la population, pas plus de 5% d’entre eux ne sont retrouvés représentés.  C’était supposé être un premier pas vers plus de démocratie dans la prise de décisions mais l’exploitation du système à l’avantage du pouvoir dominant a fait en sorte que ça a été tourné au profit de la classe Tutsi dirigeante et ça n’a, au final, rien eu de démocratique.
1956 : Premières élections
En 1956 ce système a été amélioré suite à des réformes et cela a conduit aux premières  « véritables élections » auxquelles tous les hommes adultes valides étaient invités à prendre part.  Il y a eu plus d’élus Hutu, mais au conseil supérieur du pays, un seul Hutu y était présent.
1956: Louis Jaspers recevant le Roi Mutara à Kibuye

1956: Louis Jaspers recevant le Roi Mutara à Kibuye


Il raconte une anecdote témoignant de la mentalité de l’époque expliquant en partie pourquoi si peu de Hutu étaient élus malgré leur nombre. Alors qu’il s’était rendu sur une colline pour rencontrer un groupe de  400-500 Hutu auxquels il expliquait qu’ils allaient désormais pouvoir voter, il a constaté que ces derniers étaient très méfiants en raison notamment du joug qu’ils subissaient. Ils lui ont alors répondu « Mais Muzungu, tu ne penses quand même pas que je vais voter pour lui, il est Hutu comme moi, il est aussi bête que moi, je vote pour le sous-chef ». Le peuple était « tellement imprégné » par le système, par la notion que « le Tutsi c’est le chef » ; que le paysan n’imaginait pas que son voisin Hutu s’élève au-dessus de lui.
C’est à ce moment-là, ajoute-il, que « quelques Hutu éduqués, tels que Kayibanda et Makuza,ont commencé à se rendre compte qu’un autre système était possible et nécessaire« .
Toutefois, aux yeux du Mwami avec lequel Jaspers,en tant qu’administrateur de Nyanza, la résidence du Roi,travaillait beaucoup et pour lequel il a « un immense respect », il était inconcevable que des Hutu participent au pouvoir et les partis Hutu étaient considérés comme des partis anti-mwami.
1957 : « Le manifeste des Bahutu, »
Quelques uns des principaux leaders Hutu de l'époque, lors de la proclamation de la République, le 28 janvier 1961. Au centre, G. Kayibanda, Président du parti Parmehutu. A sa droite, V. Kayuku. A sa gauche,  D. Mbonyumutwa et B. Bicamumpaka. (Photo Infor Rwanda).

Quelques uns des principaux leaders Hutu de l'époque, lors de la proclamation de la République, le 28 janvier 1961. Au centre, G. Kayibanda, Président du parti Parmehutu. A sa droite, V. Kayuku. A sa gauche, D. Mbonyumutwa et B. Bicamumpaka. (Photo Infor Rwanda).


[Le 24 mars 1957, les élites Hutu adressent au Roi un document intitulé « note sur l’aspect social du problème racial indigène au Ruanda » médiatisé sous l’appellation de « manifeste des Bahutu ».]
Louis Jaspers nous raconte que ce document contenait « des revendications qui étaient pour le système tutsi au pouvoir inacceptables. »
A ses yeux, ce document était pourtant relativement « modéré », en ce que « les Hutu demandaient simplement une participation au pouvoir, avoir voix au chapitre, avoir des autorités Hutu vu qu’ils représentent 85% de la population, avoir des juges Hutu. A l’origine, «  le but était d’être libéré de ce joug Tutsi » et accessoirement, ils ne souhaitaient pas la suppression des mentions Hutu-Tutsi.
A la question de savoir pourquoi malgré les élections, il n y’avait toujours pas de chefs Hutu, il y répond en expliquant que le système introduit par la tutelle voulait que les nominations soient opérées par le Mwami et les révocations c’était « la tutelle, le Mwami entendu » c’est-à-dire que si le Mwami refusait, la personne n’était pas nommée. Le blocage dans la nomination de chefs Hutu venait dès lors du Roi.
Pour illustrer ce blocage du Mwami , Louis Jaspers  nous raconte un exemple vécu en 1956  lorsqu’il était administrateur de Nyanza. « Sur 45 chefs de provinces à l’époque, tous étaient Tutsi » et dans les centaines de sous-chefs que comptaient le pays, il n’y avait qu’une dizaine de Hutu.
Dominique Mbonyumutwa

Dominique Mbonyumutwa


Face à la situation, le Résident a écrit aux administrateurs une circulaire confidentielle disant que « le moment était venu de nommer un chef Hutu ». Et chaque administrateur a été invité à proposer des sous chefs pouvant être chefs. Louis Jaspers raconte avoir proposé Dominique Mbonyumutwa, à l’époque sous-chef du Ndiza qui  fut finalement celui retenu par le Résident.
Malgré sa plaidoirie pour convaincre le Mwami notamment l’évocation des retombées positives qu’une telle nomination pouvait avoir sur l’image du Roi, notamment que « le Mwami est progressiste », le Mwami s’est montré furieux que Louis Jaspers ait pu proposer un Hutu comme chef.  « C’était trop et le Mwami a refusé et donc Mbonyumutwa n’a pas été nommé chef » se souvient-il. Pour Louis Jaspers, ce « mouvement hutu » arrivait trop vite, trop tôt pour le Mwami mais il se dit convaincu, que si le Roi Mutara avait vécu plus longtemps, qu’un tel changement aurait pu s’opérer avec lui.
1958 : Réponse de membres de la Cour au « Manifeste »
La réponse au « manifeste » fut, pour Louis Jaspers, donnée avec un extrême mépris pouvant être résumé de la sorte « ces petits Hutu dont nous avons vaincu les roitelets osent venir nous demander de partager le pouvoir avec eux ? »
Ils ont répondu « avec un mépris total et une fin de non-recevoir absolue ». Ce sont, explique-t-il, les grands de son entourage qui ont fait cela et non le Mwami lui-même mais ce dernier était d’accord vu qu’il s’est tu.
Cela a « certainement été un élément déterminant » menant à  la Révolution mais en parallèle, « les quelques leaders Hutu, une vingtaine, essentiellement Kayibanda , Gitera et Mbonyumutwa se rendaient compte que le terrain devait être préparé ».
A côté de cela, d’autres discussions ont abouti à des blocages comme celle qu’il y a eu en 58 au sujet de la redistribution des terres. Il nous explique qu’en réalité, le grand problème du Rwanda à l’époque, n’était pas un problème de races, mais un problème de surpopulation et de manque de terres. Ce qui posait problème était que les Hutu n’avaient pas de terre, alors que les Tutsi avaient de grands pâturages, et les Hutu voulaient le partage. Il y’avait donc une opposition Hutu-Tutsi ou Cultivateur-Eleveur. Lors de la discussion, Rwangombwa, le neveu du Mwami  a déclaré au Conseil supérieur du pays au sujet de ce qui pouvait être fait pour le partage des terres qu’ « il n’y avait rien à faire,  que les terres ne pouvaient être cédées car « La vache dépasse la houe ».
1959 : La mort du Roi
Le cercuiel du Roi Mutara

Le cercuiel du Roi Mutara


En 58, le Mwami fait un voyage en Belgique à l’exposition mondiale, ou il fait plusieurs contacts en vue de réclamer plus de liberté, plus d’autonomie et il n’a pas obtenu en Belgique ce qu’il voulait.
Revenu assez mécontent de la réponse qu’il avait eu des Belges, il a mené la vie dure au gouverneur et au résident. L’un des points de divergence avec les Belges était la question du « problème hutu ». Le Roi n’admettait pas qu’on dise qu’il y’avait un problème Hutu, pour lui il n y’avait simplement pas de problèmes Hutu et les Belges ne devaient dans tous les cas pas s’en mêler.
[Quelques mois plus tard, c’est dans un tel climat que le Roi meurt en voyage à Bujumbura dans des circonstances non élucidées.]
A la question de savoir si ce sont les belges qui ont tué le Roi comme l’affirment certaines thèses et vu le contexte, Il se dit « convaincu » que ce n’est pas les belges qui ont tué le Roi Mutara car « même si il nous menait la vie dure, on n’avait pas intérêt à sa mort au contraire c’est là que nos problème ont commencé ». Il dit avoir été convaincu à l’époque que le changement pouvait venir avec le Roi.
Selon lui et « selon ce qui se disait à l’époque »,  plusieurs thèses ont été avancées pour expliquer la mort du Roi. Parmi les principales, en dehors d’un assassinat opéré par les Belges, se trouve celles d’un suicide qui aurait fait du Roi Mutara un « Mutabazi » (sauveur), ce héros national  dans la tradition rwandaise qui lorsque son pays est en danger doit mourir sur un sol étranger pour sauver sa patrie.
Autre thèse, se trouve celle « des extrémistes de l’UNUAR qui voulaient mettre en place un Roi qui ne soit pas dans leur chemin.»
Et à ce moment encore, «  les Hutu respectaient encore l’autorité du Roi mais exigeaient qu’il soit le Mwami de tous ».
1er novembre 1959 : La Révolution
Suite à la mort du Roi Mutara, Kigeli V a été nommé nouveau Roi du Rwanda. Très vite, raconte Louis Jaspers, il a refusé de traiter avec l’administration et les relations avec les Hutu ont commencé à s’envenimer.  «  A l’I bwami  (la résidence du Roi), on y a maltraité des Hutu et les Belges se sont rendus compte qu’il était impossible de travailler avec le Roi  en raison de l’omniprésence de l’UNAR»et « les Hutu voyaient également de plus en plus de leur côté que ça n’allait pas ».
Avant le premier novembre il y’avait eu toute une série d’incidents provoqués par l’UNAR dont les partisans tabassaient plusieurs Hutu, ceux qui étaient de l’Aprosoma[Association pour la promotion sociale de la Masse] et donc considérés comme étant contre le Mwami. L’administration a eu plusieurs plaintes contre ces exactions mais « les chefs protégeaient leurs gens ».
« Dans un tel contexte, il manquait une étincelle pour que la situation bascule. »
Arrive cette étincelle le 1er novembre 1959, lorsque « Dominique  Mbonyumutwa se rend à la messe de Byimana, en cours de route il est attaqué par plusieurs jeunes Tutsi qui le frappent ».
Très vite le bruit s’est rependu qu’il s’était fait frapper et des Hutu ont été demandé  des comptes à Gashakaza, le chef de Ndiza, province dans laquelle Mbonyumutwa était sous-chef.
Parallèlement à cela,  « il y’a eu un incident à Gitaramana où des Hutu ont attaqué la caféière, et la bananeraie du chef de province, il y’avait un climat d’insécurité ».
D’un autre coté les pro-UNAR menaçaient les Hutu actifs de leur couper la tête s’ils continuaient.
Le 3 novembre 1959, des Hutu se sont rendus en délégation à la maison de  Gashakaza, le chef local pour lui demander où était Mbonyumutwa. La Nkusi, membre de l’UNAR est sorti « vous Hutu, pour qui vous prenez vous, comment osez-vous venir nous demander des explications » ? et c’est là qu’unevéritable révolte a commencé, les Hutu ont jeté des pierres, une bagarre a commencé mais Gashagaza, le chef, n’a pas été touché.
Dès le 3 novembre au soir, Louis Jaspers reçoit les pleins pouvoirs du résident pour rétablir l’ordre à Gitarama.
Arrivé sur les lieux, il va voir un chef Tutsi, qui lui dit « on a coupé ma bananeraie, les Hutu sont en révolte, je ne sais pas si je peux rester chef » Quant à lui, Reynaerts, l’administrateur territorial en place, était en dépression, dépassé par les événements, apercevant Jaspers, il lui déclare « les Hutu ne se laissent plus faire, il y a eu beaucoup d’incidents ».
Louis Jaspers se rend alors à Nyabikenye où il aperçoit « des flammes de huttes qui brulaient et des Hutu qui célébraient ».
Il y rencontre des chefs Tutsi en panique face à la situation et il les rassure quant au retour imminent des choses dans leur ordre, leur disant qu’ils seront rétablis dans leur pouvoir. Rétablir les chefs dans leur pouvoir était, nous dit-il, la position des Belges, dont sa position personnelle.
Mais très vite la contre-attaque est venue, «  elle est venue de l’i bwami ». L’ordre était donné, il ne faut pas se laisser faire et protéger le pouvoir. Et à partir de là, la révolution s’est accentuée et s’est étendue vers Rugengeri.
Au sujet du nombre des victimes de la Révolution, Louis Jaspers explique « Il n y’a pas eu énormément de morts car les Hutu ne tuaient pas facilement, ils ne tuaient pas pour tuer, ils chassaient les Tutsi pour récupérer les maisons, prendre les bétails,  c’était  une «  jacquerie » disait-on  et La réaction de l’i bwami était beaucoup plus forte. »
Mais il nous explique que c’est toute la population Tutsi qui était visée et non seulement les chefs «  ils tuaient  et volaient les vaches des voisins, la fureur populaire a visé tous les Tutsi ».
Au niveau des chiffres du nombre de victimes, complète-t-il, « on parlait à l’époque de quelques dizaines de morts, mais il est possible que certains faits ne nous aient pas été rapportés ».
« Les Hutu ne voulaient pas tuer en tant que tel », c’est bien la répression qui se voulait plus violente « il faut couper la tête de Kayibanda » avaient notamment décrété les Unaristes et ce dernier a dû être protégé par les Belges ». Durant la répression de la Révolution à « l’Ibwami », « des gens ont été non seulement martyrisés mais aussi tués ».
La Fin de la Monarchie
A la question de savoir ce qui a mis  fin à la Monarchie et qui entre les Belges ou les Hutu[Le Roi Kigeli, toujours en exil aux Etats-Unis,Le Roi Kigeli V, actuellement en exil aux États-Unis a récemment déclaré que pour lui, ce sont les Belges qui ont mis fin à la Monarchie], Louis Jaspers rappelle que l’intention initiale de l’élite hutue était d’obtenir le changement mais avec le Roi mais auquel elle exigeait d’être le Roi de tous les Rwandais et non seulement des Tutsi.
Plusieurs propositions ont été dans le sens d’introduire des Hutu au sein de la classe dirigeante, on avait notamment « pensé à nommer Makuza comme conseiller, et ça a été refusé » et les Hutu se sont rendus compte qu’il n’y’avait rien à faire, qu’aucune évolution n’était possible avec le Roi.
Les Belges quant à eux, « étaient mal pris dans cette situation » car « dans cet esprit de  tutelle, il fallait respecter les autorités existantes mais d’un autre côté ils comprenaient que les Hutu avaient aussi le droit de participer à la direction du pays ».
C’est dans ce climat que la Révolution a éclaté et lorsque Guy Logiest  est arrivé sur le lieu des principaux troubles, notamment avec un détachement de para-commandos belges, il a « analysé la situation avec un esprit militaire et il considérait qu’ils avaient raison d’aspirer à la démocratie et qu’il fallait les y aider ».
Il estimait que l’obstacle à cette démocratie c’était le Mwami, avec derrière lui l’UNAR, et il considérait qu’il fallait obtenir du Roi, qu’il devienne un Roi constitutionnel. Pour ce faire, un conseil devait être nommé autour de lui qui allait prendre les décisions qui seraient ensuite signées par le Mwami. Des réunions ont été faites, avec Kayibanda, le Rader, l’UNAR en vue de fournir des noms pour la constitution du conseil mais l’UNAR a refusé prétextant un manque de temps et le conseil ne fût finalement pas mis en place.
Voyant que l’évolution de ce côté n’était pas possible, Kayibanda et les autres leaders Hutu ont préparés la fin de la monarchie sans que les Belges ne s’y opposent.
Louis Jaspers résume, « La royauté abolie, ce n’est pas les Belges qui le voulaient, mais ils ont été dans l’optique de « laissez faire », c’était « une décision de Kayibanda, du groupe de Gitarama ».
1960 : L’Ouganda
Après la Révolution Louis Jaspers est envoyé en Ouganda pour « travailler sur la question de l’ « ennemie extérieur » pour reprendre le terme du Colonel Guy Logiest ». Il s’agissait pour Logiest, des anciens dirigeants de la monarchie qui souhaitaient attaquer le Rwanda pour rétablir l’ordre ancien.
Le Mwami avait préparé le terrain en vue de l’indépendance et de l’autonomie et avait déjà créé un cercle de relations en Ouganda non seulement avec le Kabaka (Roi du Buganda)», mais aussi avec les « banyarwanda » expatriés en Ouganda.
Il a été chargé par Logiest de se rendre Ouganda de surveiller ce que faisaient ces personnes qui s’étaient réfugiées en Ouganda car jusque-là, il n’était informé de leurs activités que par l’UNAR qui était en très mauvais terme avec les Belges, qu’elle accusait notamment d’avoir tué le Roi Mutara.
Son deuxième but était d’encourager les réfugiés Tutsi qui avaient pris la fuite avec leur bétail à s’installer en Ouganda. Plusieurs rois ougandais locaux refusaient que ces réfugiés s’installent mais sur l’un des territoires ayant des vastes étendues de terres, le Toro, dont le Roi,  a accepté que les réfugiés s’installent.
« Les réfugiés eux ne voulaient pas s’installer, car ils voulaient retourner au Rwanda »se souvient Louis Jaspers. Face à ses plaidoiries dans les camps visant à convaincre les réfugiés de s’installer et l’aide qu’il leur promettait pour ce faire, certains disaient un jour qu’ils allaient considérer la solution et le lendemain c’était un non catégorique, car « les leaders ne voulaient pas que la situation soit calmée car il fallait maintenir cette possibilité de revenir et reconquérir leur place au Rwanda ».
Selon notre interlocuteur, dans le Ruanda surpeuplé, comme d’ailleurs le Burundi,qui ne pouvait nourrir sa population de cultivateurs(Hutu), ce problème de manque de terres arables, bien plus que l’antagonisme racial,a été la source, et le sera encore, des guerres fratricides.
Entretien réalisé par
Ruhumuza Mbonyumutwa,
Jambonews.net
(1)Les passages entre crochets […] correspondent à nos ajouts visant à contextualiser les questions. Le reste du texte exprime le point de vue de Louis Jaspers.
Principaux sigles :
-Aprosoma[Association pour la promotion de la masse] : Parti créé en février 1959 par Joseph Gitera et qui visait l’émancipation de la masse.
-UNaR[Union Nationale Rwandaise] : Parti royaliste créé pour la sauvegarde de la monarchie.
-RADER[Rassemblement démocratique Rwandais].
Les vidéos: 

Rwanda-50 ans d’indépendance : Le point de vue de Louis Jaspers, l’ex Administrateur colonial 1/3

Rwanda-50 ans d’indépendance : Le point de vue de Louis Jaspers, l’ex Administrateur colonial 2/3

Rwanda-50 ans d’indépendance : Le point de vue de Louis Jaspers, l’ex Administrateur colonial 3/3

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