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Rwanda : 1er octobre 1990 – octobre 2012: l’absence d’une justice pour tous entrave la réconciliation

Rwanda : 1er octobre 1990  – octobre 2012: l’absence d’une justice pour tous entrave la réconciliation

22 ans après l’attaque du Rwanda par le FPR qui a enclenché une guerre civile qui a mené au génocide des Tutsi en 1994, ensuite au génocide des Hutu en 1996, justice n’a toujours pas été rendue pour toutes les victimes. Or, l’absence d’une justice pour tous est un facteur qui continue à entraver la génération d’une réconciliation entre Rwandais de tous bords.

Au lendemain du génocide, en 1995, plus de 120.000 personnes avaient été arrêtées et détenues pour leur rôle présumé au cours de celui-ci. En 2003, Paul Kagame, décidait de libérer 30 à 40.000 prisonniers soupçonnés pour l’immense majorité d’être impliqués dans le génocide de 1994. En février 2012, l’on apprenait de source officielle que le Rwanda comptait dans ses prisons 39.572 personnes condamnées ou en attente de jugement pour des crimes commis pendant le génocide des Tutsis en 1994.

Par ailleurs, afin d’accélérer le jugement et la condamnation des prisonniers soupçonnés d’actes de génocide, le gouvernement du FPR a instauré les tribunaux Gacaca, inspirés des anciennes assemblées traditionnelles pendant lesquelles les sages du village réglaient les différends assis sur l’herbe. C’est en tout, environ 12.100 tribunaux populaires qui ont jugé près de 2 millions de Rwandais, pour un taux de condamnation de 65%, selon les sources officielles.
Cette justice est néanmoins critiquée, car, d’une part, tous les condamnés  n’appartiennent qu’à un seul groupe ethnique : ils sont tous hutu.  D’une autre part,  les juges Gacaca qui avaient le pouvoir de condamner à des peines parfois très lourdes, sur la foi soit des aveux, soit des témoignages pouvant émaner aussi bien de vraies victimes que d’individus mus par la soif de se venger de leurs semblables ou simplement lorgnant sur les biens de leurs voisins, étaient dépourvus de la moindre formation juridique et certains d’entre eux-mêmes rescapés du génocide.
Mis à part les tribunaux nationaux, le Tribunal Pénal International pour le Rwanda créé par la résolution 955 du conseil de sécurité de l’ONU, a pour sa part condamné plusieurs suspects, exclusivement d’ethnie Hutu, à de lourdes peines pour leur rôle dans le génocide.

L’offensive du 1er octobre 1990

Pourtant, le Front Patriotique Rwandais(FPR), qui a joué un rôle important dans la tragédie rwandaise, et ce dès l’enclenchement de la guerre civile le 1er octobre 1990, reste impuni.  En effet, le 1er octobre 1990,  pour les rebelles rwandais, il était temps de laver l’humiliation subie par leurs parents lorsqu’ils ont été chassés du Rwanda en 1959 par la masse Hutu en révolte[1]. Cette révolte des Hutu était une réaction contre la monopolisation du pouvoir par la monarchie tutsi qui exerçait un pouvoir autocratique, brutal et meurtrier, contre la majorité hutu. C’est ainsi que feu Antoine Nyetera, un tutsi, avait témoigné dans un livre de Charles Onana,  intitulé « Les secrets de la justice internationale », que face au manifeste des Hutu daté de 1957, les notables de la cour avaient indiqué que : « les relations entre nous(Tutsi) et eux(Hutu) ont été de tout temps, jusqu’à présent, basées sur le servage ; il n’y a donc entre eux et nous aucun fondement de fraternité ».

Au début de l’offensive militaire, le chef de l’APR, Fred Rwigema, n’avait pas l’intention de tuer les populations civiles selon plusieurs témoignages d’anciens soldats de l’APR. L’objectif était plutôt d’exercer des pressions sur le régime du Président Habyarimana afin, d’une part, d’accélérer le retour des exilés tutsi dans leur pays et, d’autre part, faciliter l’entrée des Tutsi exilés en Ouganda à des postes importants. Cette approche n’était pas celle de Paul Kagame, ce qui opposa les deux hommes. Fred Rwigema sera finalement, au tout début des combats, tué dans des circonstances mystérieuses.
Lors des combats, a témoigné Abdul Ruzibiza, un déserteur de l’APR ayant participé à cette invasion, dans des localités situées à Byumba « des populations majoritairement Hutu ont été condensées dans une même place et mitraillées indistinctement », des femmes et des filles ont été violées collectivement, les populations ont été chassés, leurs récoltes ont été spoliées et leur bétail a été pillé.  Les villes de Ruhengeri et Gisenyi ont également subies le même sort.
Hormis les exactions contre les Hutu, des massacres de Tutsi ont également eu lieu durant la même période, notamment ceux des Bagogwe(NDLR : une communauté de Tutsi qui vivait au Nord du Rwanda) en 1990.

En 1992 et 1993 des grenades et des bombes explosaient dans des marchés et dans des transports en communs, faisant plusieurs morts et blessés.
Plusieurs assassinats politiques furent également fomentés, entre autres, celui de E. Gapysi, un leader populaire du MDR, qui fut assassiné le 18 mai 1993.

6 avril 1994 : début du génocide

Epave du Falcon 50 de Habyarimana source: Jeuneafrique.com
Epave du Falcon 50 de Habyarimana source: Jeuneafrique.com


Le 6 avril 1994, l’attentat sur l’avion du Président Juvénal Habyarimana entraina la mort de ce dernier ainsi que de son homologue burundais Cyprien Ntaryamira. Un pilote et deux mécaniciens français ont également périt dans ce tragique évènement. Jusqu’à présent la lumière n’a pas encore été faite sur cet attentat, même si le FPR, mené alors par Paul Kagame, en reste le principal suspect.

Lors du génocide des Tutsis, des Tutsi ont été exterminés par des extrémistes Hutu , et des Hutu ont été victimes de massacres systématiques commis à leur égard par le FPR, poussant plus de deux millions d’entre eux à fuir dans les pays voisins. Cependant, quiconque ose mentionner ce dernier élément est taxé de négationniste, divisionniste ou encore de révisionniste et ce surtout par les partisans de l’actuel Président Paul Kagame. Le nombre d’opposants, ou de simples citoyens actuellement emprisonnés pour l’une ou l’autre de ces infractions ne se compte plus. Les crimes du FPR sont donc exclus et restent impunis. De ce fait, la favorisation d’une réconciliation durable au Rwanda est limitée, ce qui a d’ailleurs été également pointé par un rapport de Human Rights Watch du 31 mai 2011.

1996 : le génocide des Hutus

« La nature systématique, méthodologique et préméditée des attaques répertoriées contre les Hutu ressort également : ces attaques se sont déroulées dans chaque localité où des réfugiés ont été dépistés par l’AFDL/APR sur une très vaste étendue du territoire. La poursuite a duré des mois, et à l’occasion, l’aide humanitaire qui leur était destinée a été sciemment bloquée, notamment en province Orientale, les privant ainsi d’éléments indispensables à leur survie. Ainsi les attaques systématiques et généralisées décrites dans le présent rapport révèlent plusieurs éléments accablants qui, s’ils sont prouvés devant un tribunal compétent, pourraient être qualifiés de crimes de génocide. », peut-on lire dans le Mapping Report de l’ONU 2010 détaillant les atrocités commises en RDC durant la décennie 1993-2003. Jusqu’à présent aucun tribunal n’a été mis en place pour jugé les responsables de ces crimes qui pourraient être qualifiés de génocide.

Les autres victimes

Des Twa, des espagnols, des canadiens, des belges et des français ont également périt dans ce conflit qui a commencé en 1990 et qui jusqu’à présent continue encore à faire des victimes essentiellement à l’est de la RDC.
La grande majorité des victimes sont des congolais, dont 6 à 8 millions d’entre eux selon les sources, ont perdu la vie  suite à la déstabilisation régionale, qui a commencé lors de l’offensive de l’APR/AFDL d’octobre 1996 qui a renversé le pouvoir de Mobutu.
La justice, n’a donc été en majorité rendue que pour les victimes du génocide visant la minorité Tutsi.  Aujourd’hui en 2012, deux ans presque jour pour jour après la publication du Mapping Report de l’ONU, les victimes du génocide des Hutu ainsi que les victimes congolaises demeurent les oubliés de la Justice tant nationale qu’internationale.

Le rôle de la communauté internationale

Le rôle de la communauté internationale qui tente de faire oublier ses propres turpitudes du temps, doit également être analysé. En effet, certains observateurs et chercheurs estiment que cette tragédie des Grands Lacs aurait pu être évitée si certains pays Occidentaux n’avaient pas comme plan de faire main basse sur les richesses de la RDC et d’éloigner la France de cette région.
La dégénération de la situation était prévisible et l’ONU en était avertie ; cependant les moyens nécessaires n’ont pas été déployés, bien au contraire, dès les premiers signes d’une recrudescence des violences le 6 avril, l’ONU retirait ses casques bleus suite au retrait du contingent belge justifié par l’assassinat des 10 casques bleus belges. Selon certains, ce serait également une des raisons principales pour laquelle Paul Kagame et son régime jouissent encore du soutien de l’Occident, car les puissances occidentales ne peuvent se prévaloir de leurs propres turpitudes.

Justice par qui ? Justice contre qui ?

Au vu de ces éléments les questions qui se posent sont : qui pourra être garant de la justice pour toutes les victimes en ce qu’il s’agit de la tragédie qui s’abat sur la région des Grands Lacs depuis le 1er octobre 1990 ? Qui sont les véritables bourreaux ? Combien d’années devront encore s’écrouler avant que la lumière soit faite sur toutes les exactions commises ? A quand une paix durable dans la région ?
Ce qui est certain c’est que sans justice équitable, sans justice pour toutes les victimes, une réconciliation durable n’est pas garantie. Or, sans réconciliation, sans un apaisement des esprits, le risque que les maux du passés reviennent est très élevé. Il serait regrettable de constater un jour, qu’au final, l’histoire n’a servi d’aucune leçon.


Laure Uwase(Twitter : @LaureUwase)
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[1] Charles Onana, « Les secrets de la justice internationale »

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