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L’homme africain a-t-il le sens du sacrifice ?

L’homme africain a-t-il le sens du sacrifice ?

Calixte BelayaSelon Calixte Beyala  romancière franco camerounaise,   les africains n’ont pas  d’esprit de sacrifice, et ils devraient eux même se libérer des régimes d’oppression comme l’a fait le peuple Tutsi sans attendre une quelconque aide de l’occident.
Calixte Beyala, connue dans les milieux littéraires et audiovisuels parisiens pour son activisme  en faveur d’une meilleure représentation des minorités visibles dans le paysage audiovisuel français ; s’illustre une fois de plus par ses prises de position fermes. Le 16 septembre 2012, invitée par la SAF TV pour une mise au point concernant les accusations portées contre elle de «  recel de fonds volés ou détournés et de blanchiment de capitaux pendant la crise postélectorale en Côte d’ivoire », elle n’a pas mâché ses mots pour dresser un réquisitoire contre le manque d’esprit sacrificiel qui serait une spécificité africaine.
En effet, Mme Beyala qui est aussi présidente du mouvement des africains français (MAF)  a d’abord critiqué les dirigeants africains francophones qui « manquent de dignité en voulant séduire la France et non leur peuple ». Aux peuples d’Afrique, elle leur reproche le manque d’esprit sacrificiel et de patriotisme. Elle rappelle que « la liberté s’arrache et qu’il appartient au peuple africain de se libérer lui-même ».
A cela, Elle exhorte les africains à « libérer l’Afrique non pas en parlant mais en agissant » et défend la thèse selon laquelle des nations ne peuvent jamais se bâtir sans esprit sacrificiel car selon la romancière « le sacrifice fait parti du processus de construction des nations ».
L’on peut reconnaitre à Mme Beyala le mérite d’inciter à une autocritique des africains par les africains et pour les africains. Le sens du sacrifice est nécessaire et important  dans le processus de création et de consolidation des nations. Cela me rappelle Ernest Renan qui écrivait dans « qu’est ce qu’une nation ? » que : « La nation, comme l’individu est l’aboutissant d’un long passé d’efforts de sacrifices. Une nation est une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu’on a faits et de ceux qu’on est disposé à faire encore ».
Cependant, affirmer sans ambiguïtés que le manque d’esprit sacrificiel est une spécificité purement africaine ; prouve dans un premier cas  une méconnaissance de l’histoire des nations africaines ou  dans un second cas une amnésie sélective.
Ici le premier cas ne s’applique guère lorsqu’on connait l’engagement politique de Mme Beyala.
Quand on analyse l’évolution historique et politique des nations africaines, on peut affirmer que le sens du sacrifice n’est pas  l’apanage des autres peuples dont les africains sont privés. De plus, le manque d’esprit de sacrifice d’une catégorie de leaders africains et d’une frange de la population n’est pas l’essence même de la population africaine dans sa globalité.
Est-il nécessaire de rappeler qu’hier des leaders africains tels que Modibo Keïta, Thomas Sankara, Kwame Nkrumah et Patrice Lumumba se battaient pour l’indépendance des nations africaines ? Est-il nécessaire de rappeler que de 1915 à 1921, de nombreuses révoltes ouvrières s’organisèrent au Mali sous la direction des leaders tels que Diossé Traoré, Tiémoko Garan Kouyaté pour aboutir en 1946 par le vote par l’assemblée nationale à Paris de la fin du travail forcé des travailleurs africains dans les chantiers de grands travaux (chemin de fer Dakar-Niger) ? Est-il encore nécessaire de  rappeler que le 16 juin 1976 des écoliers de Soweto tombaient sous les balles de la police sud-africaine alors qu’ils manifestaient pacifiquement en scandant leur refus d’adopter l’Afrikaans, la langue de l’apartheid ? Hier, c’était Mme Victoire Ingabire chef de l’opposition rwandaise  qui était condamnée à 8 ans de prison ferme pour avoir voulu un combat sur le terrain de la démocratie.   Même en cas d’amnésie sélective, on ne peut pas oublier les martyrs de Marikana qui auront permis à leurs collègues de pouvoir enfin aider leurs familles en passant d’un salaire de 4000 rands mensuel( environ 400 euros) à 11 000 Rands ( environ 1200 euros). On pourra encore citer plusieurs exemples qui réfutent la thèse selon laquelle les africains n’ont pas d’esprit de sacrifice. La maxime qui dit que « tout le monde veut arriver à Dieu mais personne ne veut mourir »n’est pas une spécificité africaine.
Mme Beyala conclue dans l’interview « qu’à des moments précis de l’histoire, tout le monde doit faire des sacrifices ; même donner sa vie» et elle cite comme exemple « le peuple Tutsi ». Elle affirme que « le peuple Tutsi nous avait donné un exemple entre 1994 et 1996. Ils étaient maltraités, avaient subi un génocide. Tous les tutsis du monde étaient obligés de donner le tiers de leur salaire comme don à la révolution. Ils l’ont tous fait ; enfants comme adultes ; vieux comme jeunes ; homme comme femme ; et Kagamé se battait au front».
De juillet 1994 à 1996, nul besoin de rappeler que le FPR de Paul Kagame avait déjà pris le pouvoir donc par conséquent il parait invraisemblable que les tutsis qu’elle cite aient donnés le tiers de leur salaire pour la révolution qu’elle situe de 1994 à 1996.Néanmoins, l’historien français Gérard Prunier qui a étudié la genèse du front patriotique rwandais rappelle que les réfugiés arrivés en Ouganda en 1959-1961  et leurs descendants  fuyant les massacres consécutifs à la révolution rwandaise ont toujours eu comme objectif ultime « le retour au pays et le renversement de la dictature »
Cela passera d’abord par la création d’organisations politiques telles que la RANU (Rwandese alliance for national unity) en 1979 qui se transformera en machine de guerre, connu sous le nom de RPF/FPR en décembre 1987. Pour atteindre son objectif, Gérard Prunier[i] souligne  que dans sa conquête du pouvoir,  le FPR a mobilisé les ressources économiques et le capital humain  de la diaspora tutsi établie à travers le monde ; que ce soit en termes d’argent ou d’hommes sur le front. En son temps, le FPR a su mobiliser ses ressources pour atteindre son but ; aujourd’hui des opposants politiques au régime fort de Kigali sont assassinés ou croupissent en prison et face à cela certains squandent «  S’il vous plait, libérez les prisonniers politiques ! »
Alexis Tocqueville quant à lui disait : « Les hommes ne sauraient jouir de la liberté politique sans l’acheter par quelques sacrifices, et ils ne s’en emparent jamais qu’avec beaucoup d’efforts. »
A bon entendeur !
Marie Umukunzi
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