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La reddition de Ntaganda ou l’énigme des Grands Lacs

La reddition de Ntaganda ou l’énigme des Grands Lacs

Le lundi 17 mars 2013, nous apprenions que l’un des criminels les plus recherchés de la région des Grands Lacs, Bosco Ntaganda, venait de mettre fin à sa cavale en  se rendant  à l’ambassade américaine de Kigali. Cependant, cette reddition surprise soulève plusieurs questions qui restent malgré plusieurs expertises sans réponse.
Il est vrai que les récents évènements  autour du M23,  ont précipité  la fuite de Ntaganda vers le Rwanda mais personne n’aurait pu prédire un tel dénouement.
L’attitude de différents protagonistes semble alimenter ce flou.
1)      La RDC
Depuis avril 2012, Joseph Kabila semblait décidé à arrêter son ancien allié de la majorité présidentielle pour, disait-il, rendre justice à la population après l’avoir longtemps protéger[1].
Il faut dire qu’après les nombreuses pressions de la part de la communauté internationale, Kinshasa s’est vu contraint de renoncer à cette alliance avec le chef rebelle, alliance conclu pour préserver la paix en RDC, justifiait-il en 2009.
Après donc presqu’un an de traque, l’attitude de Kinshasa, maintenant que Ntaganda s’est rendu, laisse perplexe.  Depuis en effet cette arrestation, aucune déclaration de Kinshasa n’est allé dans le sens de réclamer  le transfert de Bosco Ntaganda à Kinshasa.  Pourtant, il y a presqu’un an, Joseph Kabila s’adressant aux représentants de la société civile du Nord-Kivu, affirmait en swahili, «  nous n’avons pas besoin de le remettre à la CPI,   nous-mêmes, nous avons des raisons de l’arrêter et de le juger chez nous ».
Le gouvernement congolais s’était alors empressé de relever le principe de la subsidiarité contenu dans le Statut de Rome portant création de la CPI. Ceci pour dire que les crimes les plus graves peuvent être de la compétence tant de la CPI que des juridictions internes de la Rd Congo. Dans ce cas, la CPI ne peut intervenir qu’en cas de défaillance ou mauvaise volonté de la part de l’Etat congolais.
Cette absence soudaine de pression de la part de Kinshasa au détriment du sacro-saint principe de subsidiarité soulève donc de nombreuses questions.
2)  Le Rwanda
Le rôle du Rwanda dans la reddition cet ancien chef rebelle  surnommé « Terminator » en raisons de sa cruauté reste très ambigu. Si la version officielle du Rwanda comme celle du département d’Etat américain affirme que « le « Terminator » se serait rendu librement à l’ambassade des Etats-Unis à Kigali où il aurait demandé à être transféré à la CPI , différents éléments rapportés par des nombreux analystes,semblent indiquer que c’est Kigali qui aurait escorté Bosco Ntaganda de son entrée en territoire rwandais jusqu’à l’ambassade américaine à Kigali. Le gouvernement rwandais affirme toujours ne pas savoir comment il est parvenu jusqu’à l’ambassade des Etats-Unis. Néanmoins, il paraît peu évident qu’il ait pu parcourir les centaines de kilomètres séparant la frontière de   Kigali sans qu’il ait été repéré par les services de renseignements rwandais qui au passage sont réputés être parmi les  plus informés d’Afrique.
Un autre élément qui sème la doute, c’est que Kigali n’a confirmé la présence du chef rebelle sur son territoire que lundi 18 en fin de journée, alors que depuis samedi 16 mars, Kinshasa affirmait que Ntaganda avait franchi la frontière. D’ailleurs, le porte-parole du gouvernement congolais Lambert Mende, avait appelé Kigali à ne pas l’héberger.
 Des questions encore enigmatiques
Pourquoi Ntaganda s’est-il rendu alors qu’il risquait des lourdes peines à la Cour pénale internationale (CPI)? Pourquoi le  gouvernement rwandais longtemps accusé de soutenir le M23 et de protéger Ntaganda a-t-il risqué d’envoyer le chef rebelle à la CPI en sachant qu’un procès médiatique  à cette Courle mettrait certainement à mal ?  C’est toute une autre série de questions qui ne cessent de ressurgir auprès d’analystes et de commentateurs.
Selon les  sources rapportées par la RFI, la réddition de Ntaganda était sa seule option. En effet, il semblait que le chef rebelle était acculé de toutes parts. Toujours  selon les mêmes sources, en débâcle suite aux affrontements avec l’autre faction de M23 dirigé par Sultani Makenga , le « terminator » et ses hommes avaient tenté de rejoindre la zone de Masisi en passant par le parc des Virunga.  Néanmoins, ils auraient été stoppés dans leur progression par les Forces démocratiques de libération du Rwanda(FDLR). Le « terminator » n’aurait donc eu d’autre choix que de rebrousser  chemin pour aller participer aux combats contre la faction de Sultani Makenga. Faute de munitions et de logistique suffisante, lâché par une grande partie de ses hommes, et poursuivi par le groupe de Makenga qui menaçait de le tuer, Ntaganda aurait fini par traverser la frontière rwandaise,  dans la nuit du 15 ou 16 dernier, sachant que le Rwanda sous pression de la communauté internationale risquait de l’extrader à La Haye pour y être jugé. « Il avait le choix entre la mort et la CPI et il a choisi la CPI, ce qui semble plutôt logique » affirmait le spécialiste de la RDC Séverine Autesserre sur les ondes de la RFI le 20 mars dernier.
Sous pression et sous sanctions de la communauté internationale à cause de son soutien à la rébellion de M23, Kigali ne se serait pas permis d’héberger son ancien protégé, d’autant  plus que sa présence au Rwanda avait commencé à faire la une des médias. La seule option pour Paul Kagame, n’a été que de lâcher son poulain, puisque de toute façon, ce dernier privé de pouvoir, et sous le coup de mandats d’arrêt ne servait plus à rien.
Pourquoi l’ambassade des Etats-Unis ? Washington était le pays qui pressait le plus le Rwanda d’arrêter le chef de guerre il avait  même promis une récompense de 5 millions de dollars américains pour toute information conduisant à son arrestation.Selon RFI, le Rwanda, de son côté, avait à gagner en se débarrassant d’un protégé devenu trop encombrant, sans prendre la responsabilité de son arrestation ou de son transfert à La Haye. « Une position très en retrait », même si le Rwanda avait annoncé être prêt à faciliter le transfert de Ntaganda vers La Haye.[2]
Bonne nouvelle pour Kigali et Kinshasa
Kigali vient ainsi de se débarrasser d’un protégé devenu trop encombrant. Le gouvernement congolais peut aussi se féliciter de cette réddition du « Terminator », dans la mesure où il a un chef de guerre en moins avec qui il faut négocier. En plus, pour la RDC, cette reddition a valeur d’exemple : Ntaganda serait le premier responsable du Nord-Kivu à être jugé par la CPI, avec l’espoir que cela décourage ceux qui souhaiteraient à l’avenir défier Kinshasa. Il faut tout de même préciser que le général Ntaganda est un homme qui en sait sans doute beaucoup, à la fois sur le Rwanda et sur le Congo. Les deux pays l’avaient protégé jusque-là. Depuis le premier mandat d’arrêt en 2006, il n’avait jamais été réellement inquiété.
Un espoir de paix à l’est du Congo après la réédition de Ntaganda ? 
Ce n’est probablement pas la reddition de Bosco Ntaganda qui amènera une paix durable à l’Est du Congo. Rappelons que Ntaganda n’est qu’un  chef de guerre qui a juste remplacé l’ancien. Il y a eu le général Mutebusti, remplacé par Nkunda, lui aussi remplacé par Ntaganda. Ainsi, le « terminator  » n’était pas encore à La Haye qu’un autre seigneur de guerre avait déjà occupé sa place : le général Sultani Makenga.
Néanmoins- il faut tout de même reconnaitre que-   Bosco Ntaganda à la tête du M23 et déjà sous le coup de deuxmandats d’arrêt de la CPI, n’avait pas vraiment de raisons d’arriver à un accord de paix avec le gouvernement  congolais, puisqu’il n’aurait jamais pu avoir une position officielle confirmée à la tête de l’armée ou un poste gouvernemental. Pour Sultani Makenga par contre, cet obstacle n’existe pas.
Bosco Ntaganda est arrivé au quartier pénitentiaire de la Cour pénale internationale à La Haye ce mardi 26 mars à 11h. Il comparaîtra mardi devant ses juges. La première audience de comparution vérifiera son identité, puis le tribunal lui présentera les charges qui pèsent contre lui. Pour confirmer la tenue d’un procès et une autre audience, celle de confirmation des charges, il faudra attendre encore plusieurs semaines, voire plusieurs mois.
 
Jean Mitari et Charis Basoko
Jambonews.net

 
 



[1] http://www.rfi.fr/contenu/20091030-kinshasa-refuse-livrer-bosco-ntaganda-cpi

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