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Rwanda : qui commémorer et quand ?

Rwanda : qui commémorer et quand ?

Pendant que les Rwandais de par le monde se préparent pour le tristement célèbre mois d’avril, des pensées et des émotions indescriptibles leur viennent à l’esprit lorsqu’ils se remémorent l’horrible génocide qui a eu lieu en 1994. Il n’y a pas un Rwandais qui n’a pas été touché par les massacres qui ont frappé le pays à partir du début du mois d’avril. Mais, au lieu de partager la douleur et de se rassembler pour commémorer ceux qui sont morts lors de cette tragédie, les Rwandais semblent ne pas trouver un terrain d’entente pour une commémoration appropriée de leurs victimes.  Les étiquettes et les définitions font obstacle à une date de commémoration commune,  que ce soit le 6 ou le 7 avril, et la guerre des mémoires entrave la reconnaissance des victimes hutu et tutsi, tout en oubliant les Twa et les non-Rwandais.

Refugees from Rwanda

Les réfugiés rwandais à Goma, en RDC, après le génocide de 1994. Photo : Jon Jones/Sygma/Corbis


A l’heure où le monde entame pour la 19ème fois les sensibles commémorations du mois d’avril, on peut se demander : pourquoi les rwandais n’arrivent pas à se mettre d’accord sur qui commémorer et quand le faire en ce qui concerne le génocide de 1994.
Avant d’aborder une problématique aussi compliquée, il est important de noter que les dynamiques sociales rwandaises, comme dans les autres sociétés, sont très complexes. Il y a des tensions saines et malsaines entre les différents groupes de personnes, allant de groupes ethniques, régionaux et politiques à des groupes de personnes pauvres et riches. Ces tensions ont caractérisé la vie sociale depuis la période d´avant la colonisation. Bien que la majorité des médias essaient de réduire le problème rwandais à celui de l’ethnicité uniquement, la problématique est beaucoup plus large et elle implique plus des problèmes politiques qu’ethniques.
Etiquettes et définitions
Chaque année le 7 avril, le gouvernement actuel du Rwanda  préconise la commémoration du «  génocide contre les tutsis », qui, pour le gouvernement, fait référence  aux massacres ethniques qui sous-tendent le caractère génocidaire des « extrémistes hutus » qui ont tué leurs voisins pour être simplement né Tutsi. La brutalité des faits et les témoignages de ces événements ne sont pas là pour être questionnés, mais plutôt pour être reconnus et regrettés par tous les rwandais.
Cependant, en déviant du terme « génocide rwandais » de l’ONU et en choisissant  d’étiqueter le génocide comme « génocide contre les tutsi », le Gouvernement a, intentionnellement ou non, exclu les hutus et autres victimes non-tutsi de la commémoration annuelle officielle qui concerne uniquement les victimes tutsi. Ce ne serait pas un problème si il n’y avait pas eu de victimes hutu ou si très peu de hutu étaient morts, mais l’exclusion de centaines de milliers de morts est quelque chose qui ne peut être ignoré pendant que leurs proches désirent aussi de l’espace pour pleurer ceux qu ’ils ont perdu.
En outre, le problème se complexifie lorsque des représentants du Gouvernement prétendent  que les victimes non-tutsi n’ont pas été visées par le génocide mais parce qu’elles étaient « malheureusement prises entre les feux croisés des Forces armées rwandaises (FAR) et le Front patriotique rwandais (FPR) », alors en conflit. C’est ainsi que s’est exprimée Immaculée Uwanyiligira, Ambassadrice du Rwanda aux Pays-Bas, lors d’une commémoration.
La question qui se pose alors est de savoir comment faire la différence entre les différents types de victimes et la façon de les classer en fonction de quelle échelle de gravité.
La guerre de mémoire
Il n’est donc pas surprenant que la politique du Rwanda actuelle en matière de victimes est à l’origine de ce qu’on pourrait qualifier de « guerre de mémoire » pendant que beaucoup de hutu soutiennent le fait que, comme les tutsi, ils sont des victimes du génocide et que beaucoup de tutsi affirment que les hutu et les victimes non-tutsi n’étaient pas ciblé en tant que groupe ethnique et qu’il n’est pas nécessaire de les inclure dans les commémorations  officielles.   Par exemple, lors de la cérémonie de commémoration du 7 avril 2006 organisée par l’association Ibuka à Bruxelles, Déogratias Mushayidi, ancien membre du FPR et président du parti d’opposition PDP-Imanzi qui a perdu toute sa famille en 1994 et qui purge actuellement une peine à perpétuité dans la prison de Kigali, a été agressé par un employé de l’ambassade du Rwanda à Bruxelles parce qu’il s’était rendu à la commémoration qui avait eu lieu la veille, le 6 avril, et incluait les victimes hutu. Après avoir assisté à la commémoration pendant 30 minutes, l’employé lui a interrogé sur sa présence et lui a demandé : « Comment peux-tu oser venir ici commémorer le génocide des Tutsi alors que tu étais hier à Woluwé-Saint-Pierre aux côtés des Bahutu? ».
Lorsqu’on regarde les définitions, l’article II de la Convention de 1948 des Nations Unies sur la prévention et la répression du crime de génocide définit le génocide comme  « l’un des quelconque actes ci-après, commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux ; comme le meurtre de membres du groupe; une  atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe; une soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle; des mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe; un transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe. »
Dans le cas du Rwanda, les victimes hutu ont le sentiment de remplir les critères qu’on retrouve dans la définition ci-dessus, notamment en ce qui concerne les atrocités commises par le FPR lors de leur entrée au Rwanda en 1990 et les massacres répandus dans les camps de réfugiés au Congo en 1996 comme le rapporte le rapport Mapping de l’ONU. Ainsi, à leurs yeux, l’argument de l’exclusion est une question de discrimination et de nivellement qui ne laisse aucune place pour une mémoire collective pacifique.
En outre, pour beaucoup de victimes hutu, l’utilisation du terme « extrémistes hutu »  tend à stigmatiser l’ethnie Hutu dans son ensemble. Ils affirment qu’alors que les victimes ont été tuées du fait de leur origine ethnique, les malfaiteurs n’ont pas tué en raison de leur origine ethnique.
Commémoration nationale: le 6 ou le 7 avril ?
Ainsi, ceux qui sont exclu par le Gouvernement actuel cherchent une justice en organisant leur propre marche de la paix et leurs commémorations en choisissant le 6 et non le 7 avril, parce que pour eux, le 6 avril est le jour qui marque le commencement des massacres de masse, lorsque le président rwandais Habyarimana et le président burundais Ntaryamira ont été tué au cours d’un attentat contre leur avion. Au cours de ces dernières années beaucoup de participants et de sympathisants, pour la plupart Rwandais, ont manifesté dans les rues de Paris et Bruxelles en recherchant et en appelant à la « justice » et la « vérité » afin que « toutes les victimes puissent être commémoré » et inclues dans le mémorial du génocide.
Dans le cas spécifique de la Belgique, cela a conduit en 2007 à une interdiction de la  commémoration du 6 avril à la stèle commémorative du génocide rwandais à Bruxelles, par le bourgmestre de Woluwe saint-pierre, commune où se trouve ce mémorial. Le ministre belge des Affaires étrangères interpellé par  une association rwandaise, Communauté Rwandaise de Belgique (CRB), proche du Gouvernement, a affirmé que « l’autorisation d’une telle commémoration a été sujette à provoquer des incidents qui ont eu des conséquences sur les relations entre la Belgique et le Rwanda, en particulier celles entre la commune de Woluwé-Saint-Pierre et le district de Kamonyi, secteur de Musambira. ».
Malgré l’interdiction, plusieurs Rwandais se sont rassemblés autour du monument en 2008 et en 2009, et les deux rassemblements ont conduit à des arrestations par la police belge.
Bien que les manifestations et cérémonies de commémoration aient déménagé loin du monument depuis 2010, elles ont encore lieu chaque année.
Joseph Matata, un militant rwandais des droits de l’homme résidant en Belgique, a expliqué, à Jambonews en 2012, les raisons sous-jacentes au choix de la date du 6 avril comme date de commémoration. Lorsque nous avons demandé pourquoi le 6 avril et non le 7 avril ou une autre date plus « neutre », il a répondu «  le 7 avril n’est pas une date choisie par les Tutsi, c’est une date qui a été imposée par le président. Il (NDLR Kagame) ne pouvait pas choisir le 6 avril, parce qu’il est accusé du crime commis contre les chefs d’Etats Juvénal Habyarimana et Cyprien Ntaryamira. Le 6 avril effraie Kagame. Il n’y a pas de date neutre, on a choisi la bonne date. La date à laquelle le chaos a été créé doit être choisie, c’est-à-dire le 6 Avril ».
De la même manière, Déogratias Mushayidi, dans son témoignage sur l’importance de la commémoration de cette date, a exprimé que l’attaque de l’avion le 6 avril « avait déclenché les événements qui ont tout fait basculer dans sa propre vie et celle de millions d’autres Rwandais et dans la région ou dans le monde » « .
Tous unis ?
Et donc, pendant que des nuages assombrissent l’atmosphère rwandais dans le sillage des cérémonies de commémoration, les Rwandais de par le monde font écho aux mêmes cris de douleur et de plaies non cicatrisées, mais, malheureusement, cela se fait dans différents camps ou la principale séparation est basée sur le6 contre le 7 avril, respectivement en mémoire de toutes les victimes et en mémoire des victimes tutsi uniquement.
Aujourd’hui, 19 ans après les massacres, rien n’indique que les commémorations de cette année seront différentes. Cela rappelle la question interpellante de Joseph Matata dans une interview sur la guerre des mémoires: « Avec tous les éléments que nous avons maintenant,  ne pouvons-nous [NDLR Rwandais] pas nous mettre d’accord sur une date pour commémorer tous nos morts ensemble’? » Comme on dit en kinyarwanda, « Celui qui vivra assez longtemps le dira. »
Version originale en anglais par Jane Nishimwe
Traduit par Emmanuel Hakuzwimana
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