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Rwanda – Belgique : Commémoration du génocide agitée

Rwanda – Belgique : Commémoration du génocide agitée

Alors que la commémoration du génocide rwandais devrait être l’élément qui réunit toutes les victimes de ce génocide qui a frappé le Rwanda en avril 1994, cette année, une fois de plus, ce fut une commémoration agitée.  En effet, une commémoration organisée le samedi 06 avril autour de la stèle commémorative du génocide au Rwanda sise à Bruxelles a suscité des  vives réactions de la part de l’Ambassade du Rwanda et de certains politiciens belges.
Le samedi 06 avril 2013, à la veille de la date officielle de la commémoration du génocide, près de 80 Rwandais se sont réunis à Woluwé-Saint-Pierre autour de la stèle commémorative du génocide au Rwanda afin « de commémorer les victimes de la tragédie rwandaise depuis le 1er octobre 1990 », date à laquelle le Front Patriotique Rwandais (FPR) a attaqué le pays.
Les années précédentes les commémorations du 6 avril autour de cette stèle avaient été interdites, toutefois cette année elle fut « tolérée » car « les rapports de police indiquaient qu’il n’y avait aucun souci à se faire », selon le nouveau Bourgmestre de la commune, Benoît Cerexhe.
Un mémorial pour quelles victimes?

Stèle commémorative sise à Bruxelles

Stèle commémorative sise à Bruxelles


Pour mieux comprendre la problématique autour de cette stèle, retour en 2004, année dans laquelle la stèle fut inaugurée. Sur ce mémorial, on y lit qu’il est dédié aux “victimes du génocide au Rwanda de 1994”.
Dès lors, jusqu’en 2007, une commémoration fut organisée tous les 6 avril par certains rescapés Rwandais, qui estimaient que leur calvaire avait commencé, non le 7 avril, mais le 6 avril lorsque l’avion du Président Habyarimana fût abattu.  En 2007,  le Bourgmestre de la commune dans laquelle se situe le mémorial,   reçut une injonction du ministère des Affaires étrangères ordonnant de refuser  la commémoration à ce mémorial « dans un cadre autre que l’officiel ».
En 2008, malgré l’interdiction de manifester, des Rwandais se sont réunis pour commémorer devant le palais de justice, mais ils furent arrêtés par la police. C’est ainsi que 84 Rwandais, dont des mineurs d’âge, se sont vus menottés et mis en détention pendant quelques heures.
En 2009, mécontents d’une nouvelle atteinte à  leur droit à la mémoire et la commémoration le 6 avril, une cinquantaine de jeunes rwandais ont bloqué la Rue Belliard à Bruxelles, rue qui est quotidiennement empruntée par des milliers d’automobilistes. Ils se sont ensuite dirigés vers la stèle où, à genoux, entourés de policiers accompagnés de chiens, ils ont fait une prière autour de la stèle, en mémoire de leurs proches qui ont succombé pendant ce drame. A la fin de la prière, la police procéda à leur arrestation administrative et ils furent détenus jusqu’à minuit; parmi eux, 12 jeunes filles, dont une mineure d’âge, détenues dans une seule et même cellule.
En 2010 et 2011, la manifestation commémorative eut de nouveau lieu, cette fois-ci sans arrestation, mais avec l’interdiction de commémorer devant le mémorial. En 2012, la commémoration eut lieu à Paris et avait pour but de réclamer « la vérité sur le Rwanda ».
Cette année donc, c’est la première fois depuis 7 ans, que des Rwandais réclamant leur droit de commémorer à la date qui leur paraît la plus appropriée ont pu commémorer autour du mémorial sans entrave.
Dérapage du député Alain Destexhe 
Alerté de cette nouvelle, l’Ambassade du Rwanda a aussitôt décidé de délocaliser la commémoration officielle qui devait avoir lieu le 7 avril autour de la stèle, au motif que cette dernière avait été profanée. S’exprimant sur cet événement, l’Ambassadeur du Rwanda en Belgique, Robert Masozera,  s’est dit « scandalisé » et a qualifié de « négationnistes » tous ceux qui étaient présents à la commémoration du 6 avril.
Joseph Matata, coordinateur du CLIIIR(gauche) et Paul Rusesabagina, héros de "Hotel Rwanda"(droite)

Joseph Matata, coordinateur du CLIIIR(gauche) et Paul Rusesabagina, héros de "Hotel Rwanda"(droite)


Sur quoi s’est-il basé pour qualifier ainsi enfants, jeunes, parents et de nombreux politiciens de l’opposition rwandaise, dont entre autres Paul Rusesabagina, le Héros de « Hotel Rwanda » ? Quoi qu’il en soit, l’Ambassadeur a exhorté le gouvernement belge à « poursuivre en justice les profanateurs du Mémorial de la Stèle en Commune Woluwe en Ville de Bruxelles, ceux-là même qui trempent dans le négationnisme du génocide des Tutsi dirigés par Joseph Matata et d’autres ayant une idéologie similaire »
Le même jour, Alain Destexhe, député belge connu pour sa proximité avec le FPR, actuellement au pouvoir à Kigali, a directement réagi sur son compte Twitter en qualifiant également les victimes présentes le 6 avril au mémorial de « négationnistes » et a été plus loin en écrivant que « pour [les] rescapés du génocide, c’est comme si 20 nazis avaient été se recueillir à Auschwitz ».
Interrogé par le journal belge La Libre Belgique, il a également déclaré que « laisser ces gens manifester ce jour-là, c’est directement insulter la mémoire des victimes, dont nos dix paras assassinés » et  que «  cet acte a été vécu comme une profanation du monument par les rescapés (nombreux en Belgique) et par les autorités rwandaises ».
« Propos diffamatoires et de nature à nier la réalité du génocide rwandais (…) »
Pour l’association Jambo et d’autres associations qui ont réagi par une lettre ouverte adressée au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles et au MR, le parti auquel appartient Alain Destexhe, les survivants présents lors de la commémoration du 6 « ne doivent en aucun cas être confondus aux milices interahamwes qui ont exterminé des Tutsi sur base de leur ethnie et des Hutu soupçonnés de collaboration avec le Front Patriotique Rwandais, en rébellion à l’époque et au pouvoir actuellement ». Par ailleurs elles ne doivent non plus « en aucun cas être confondus au FPR qui a exterminé les Hutus qui étaient dans les zones qu’il contrôlait à cette époque et ceux qu’il trouvait dans les zones conquises. On se rappelle des 8 000 déplacés de Kibeho, massacrés en une journées sous les caméras des casques bleus de l’ONU”. 
Dès lors les associations signataires de la lettre “demandent au parti MR [parti politique de Alain Destexhe NDLR] de se prononcer sur ces propos diffamatoires et de nature à nier la réalité du génocide rwandais voire à déshumaniser une partie de ses victimes. » 
« Indignation et choc » 
Le  Centre de Lutte contre l’Impunité et l’injustice au Rwanda(CLIIR), organisateur de la commémoration du 6 avril a également réagi à ces différents propos notamment ceux de l’Ambassadeur : « en qualifiant les participants et les organisateurs de cette commémoration de « négationnistes et révisionnistes », M. Robert Masozera a sciemment abusé le public et outrageusement diffamé nos organisations respectives. Il a confirmé son mépris le plus total à l’égard des victimes non tutsies du génocide rwandais, exterminées depuis le 1er Octobre 1990 au Rwanda et depuis octobre 1996 en République Démocratique du Congo ».
Dans le même communiqué, le CLIIR ajoute, « en vérité, M. Masozera, est dérangé par le caractère non discriminatoire de la commémoration du 6 avril 2013, à la différence de celle du 7 avril 2013, qui est à la fois sélective et politique, car elle sert de légitimation du régime politique en place à Kigali, depuis le 19 juillet 1994. »
Pour leur part, plusieurs partis de l’opposition rwandaise qui étaient représentés lors des commémorations ont également dénoncé, dans un communiqué commun du 13 avril, ces accusations de l’Ambassadeur, les jugeant « intolérables, injurieuses et infondées » et visant à « enterrer la vérité sur les crimes de génocide, les crimes contre l’humanité et les autres violations graves du droit international humanitaire imputables » aux dirigeants actuels du Rwanda.
Ces partis ont appelé « les Rwandaises et les Rwandais, ainsi que les autorités de leurs pays d’accueil, à ne pas céder à ces manœuvres d’intimidation et à poursuivre la présente quête de vérité et de justice pour tous, seuls gages de la reconstruction des vies brisées de millions de personnes et de familles rwandaises et étrangères, auxquelles le pouvoir en place à Kigali tente d’imposer le silence des cimetières par tous les moyens. »
Laure Uwase et Jean Mitari
Jambonews.net

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