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RDC: « L’option militaire ne résout pas tous les aspects de la crise au Kivu »

RDC: « L’option militaire ne résout pas tous les aspects de la crise au Kivu »

Depuis près d’une semaine, les combats entre l’armée congolaise et les rebelles du M23 ont repris de plus belle, occasionnant un renversement spectaculaire de la situation en faveur de l’armée congolaise.
Successivement, les villes de Kibumba, Kiwanja, Rutshuru, Rumangabo et Bunagana ont été reprises aux rebelles à la stupéfaction de tous. Depuis le début de la crise en avril 2012, le M23 avait fortifié ses positions autour de ces villes ; pillant, tuant et vandalisant les populations locales.
L’occasion de faire appel à un spécialiste de la région pour nous éclairer sur cette problématique aux mille facettes.

Adolphe Kilomba Sumaili

Adolphe Kilomba Sumaili


Adolphe Kilomba Sumaili est un chercheur et juriste congolais, spécialiste en questions de justice transitionnelle comme méthode de règlement des différends dans la région des Grands Lacs. Avec nous, il commente l’actualité à l’est de la RDC et nous fait part de ses idées pour l’établissement de la paix dans la région des Grands Lacs.

Q : Comment expliquez-vous le revirement de la situation militaire dans la province du Nord-Kivu ?

« Il est la conséquence de plusieurs initiatives : celle d’abord de la Conférence Internationale de la Région des Grands Lacs (CIRGL). Cette organisation a chapeauté toutes les démarches interétatiques cherchant à résoudre la situation dans le Nord Kivu. C’est ce qui a conduit à la tenue de toutes les réunions successives que nous connaissons, notamment les pourparlers de Kampala. C’est suite au refus du M23 de signer l’accord proposé par la médiation que les échanges se sont arrêtés. Ce mouvement, qui tenait à faire revenir en RDC certains seigneurs de guerre et qui sollicitait une amnistie totale, a, par ces nouvelles revendications, créé une situation qui ne permettait pas que les choses avancent. Face à ce blocage, l’option militaire semblait être la seule voie possible pour décanter la situation. Certaines sources affirment même que pendant qu’ils négociaient, chaque partie aiguisait ses armes de guerre. L’armée congolaise semble s’y être mieux préparée cette fois-ci et les résultats se font voir sur le terrain. »

Q : Ces victoires sont-elles un signe d’espoir pour un retour de la paix au Kivu selon vous ?

 « La question au Kivu a toujours été complexe. C’est depuis quasi 1994 que cette partie du pays est instable et ce n’est pas la première fois que l’armée congolaise engrange une victoire face à une rébellion ou à une milice. Malheureusement, ces succès n’ont jamais apporté une paix durable. Avons-nous de bonnes raisons d’y croire cette fois-ci ? Personnellement, je pense que oui, mais il faudra privilégier encore une fois le dialogue. La voie militaire renforce le gouvernement, mais elle ne résout que les problèmes de tension et de groupes armés. La cohabitation pacifique entre les différentes communautés, la redistribution équitable des terres dans certaines parties du Kivu, les questions identitaires, la poursuite de tous les criminels de guerre, l’impunité, toutes ces questions ne peuvent être résolues par la seule option militaire. Certes avec ces victoires, un espoir de paix est autorisé, car elles permettent à l’État de rétablir son autorité partout, mais le gouvernement doit aussi travailler à assoir ce que j’appelle les déterminants de paix. Il faut trancher les questions de justice, de désarmement, de démobilisation et même celles des réfugiés. Tirer à la canonnade ne suffit pas pour résoudre tous ces problèmes. »

Q : Quelle direction devraient alors prendre les pourparlers de Kampala ?

« Le gouvernement congolais ne devrait pas, selon moi, adopter une attitude triomphaliste. Au contraire, il devrait toujours accepter de dialoguer avec les acteurs de la région. Au-delà des revendications, il y a certaines questions qui nécessitent une véritable discussion, un véritable dialogue. Il ne faudrait pas avoir une vision très courte de la situation. Aujourd’hui, le gouvernement sort renforcé et peut donc ainsi négocier en meilleure position. Sa victoire militaire devrait être la voie ouverte vers une victoire diplomatique et même politique. Pour moi, ces trois options doivent continuer à marcher ensemble. Sans elles, il n’y aura pas de paix stable et durable dans la région. J’estime qu’un accord de paix doit impérativement être signé. Il serait une sorte de gage pour un début de stabilité dans le Kivu. »

Q : La page M23 ne doit donc pas être tournée ?

« Pour tourner une page, il faut d’abord la lire. L’option militaire a permis à l’État congolais d’assoir son autorité et défendre son intégrité. Cette option a malheureusement beaucoup de limites en matière de règlement des différends. La seconde option que je prône est l’option politique. Elle sous-tend les pourparlers de Kampala. J’encourage vivement les différents protagonistes à continuer le dialogue. Ce serait une erreur de vite tourner la page M23. Avant de le faire, il faut bien la lire et tirer toutes les leçons nécessaires avant de passer à la suivante. Cela permettra d’analyser toutes les dimensions de ces perpétuels problèmes qui ne touchent pas seulement le Nord-Kivu, mais le Kivu tout entier. À Kampala, la justice congolaise doit, elle aussi, sortir ragaillardie de tous ces conflits : ces négociations doivent faire en sorte que tous les criminels et auteurs de graves violations de droits de l’homme et de crimes de guerre soient jugés et punis. »
Q : Quel regard portez-vous à l’attitude de la communauté internationale ?
« Il faut reconnaitre que la situation actuelle est aussi la conséquence de l’implication totale de la communauté internationale, notamment à travers le Conseil de sécurité. Pour la première fois dans l’Histoire, l’ONU a créé une brigade spéciale avec un mandant offensif. Aujourd’hui, nous voyons le travail qu’elle a accompli en synergie avec les FARDC. L’attitude de la Communauté internationale pour moi est positive et je m’oppose à toutes ces personnes qui critiquent le fait qu’elle nous recommande de retourner à la table de négociation. Je le redis encore une fois, tous les aspects de cette crise ne peuvent être tranchés par les armes. »

Q : Et l’attitude du Rwanda ? Ses menaces proférées à l’encontre de la RDC doivent-elles être prises au sérieux ?

« Ces menaces peuvent être à la base d’un risque d’embrasement de la situation dans la région, je ne le nie pas. Cependant en droit international, il est légitime qu’un État qui reçoit des déflagrations sur son territoire de réagir. Rappelons-nous qu’en 1997, la RDC avait agi de la même manière lorsque des obus tirés de Brazzaville sont tombés sur Kinshasa. Le problème selon moi se posera si seulement le Rwanda met ses menaces à exécution en envoyant encore ses troupes en RDC : il violerait l’article 2 de la chartre de l’ONU qui proscrit le recours à la force comme moyen de dénouement des différends entre États. »

Q : Quelles peuvent être les solutions concrètes pour une cohabitation pacifique dans la région du Kivu en particulier et dans celle des Grands Lacs en général ?

« Tout d’abord, il faut une coopération franche entre tous les états de la région. La CIRGL pourrait être l’espace qui faciliterait cette démarche, si et seulement si tous les pays des Grands Lacs y collaborent de manière sincère. Elle permettrait ainsi aux États de discuter de tous leurs conflits. Ensuite, les processus de justice transitionnelle doivent être soutenus et encouragés : les victimes de toutes les atrocités devraient être indemnisées et obtenir réparation. C’est pour moi l’option la plus solide. La question de justice aussi doit être résolue : la CIRGL devrait mettre en place un arsenal juridique conséquent pour que tous les seigneurs de guerre de la région soient traduits et jugés. Enfin, il faut des programmes de développement et de reconstruction dans tous les pays de la région. Des écoles, des hôpitaux, des tribunaux de paix doivent être réhabilités et construits. En effet, la paix ne signifie pas l’absence de la guerre. Tous ces efforts combinés à une réelle volonté permettront une paix durable dans cette région de l’Afrique. Ces pays sont condamnés à vivre ensemble, ensemble ils doivent travailler à y arriver. »
 
Propos recueillis par Prince Djungu
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