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TPIR : Le Président du MRND peut-il être acquitté?

TPIR : Le Président du MRND peut-il être acquitté?

Comme un symbole,  le TPIR, le Tribunal pénal international mis en place par le Conseil de sécurité des Nations Unies pour « juger les responsables du génocide et d’autres violations graves du droit international humanitaire commis au Rwanda du 1er janvier 1994 au 31 décembre 1994 » s’apprête à fermer ses portes 20 ans après la fin du génocide qui a été perpétré au Rwanda d’avril à juillet 1994. La plupart des procès ont déjà livré leurs verdicts et seuls deux grands procès attendent encore les leurs. Il s’agit de celui du « Gouvernement I » mettant en accusation l’ancien Président du MRND, Mathieu Ngirumpatse, ainsi que son Vice-président Edouard Karemera et dont le verdict est attendu d’ici fin 2014, et le procès « Butare » regroupant pas moins de six accusés et dont le verdict, attendu pour 2015, devrait être le dernier verdict prononcé par le Tribunal pénal international.

Mathieu Ngirumpatse

Mathieu Ngirumpatse


A ce jour, les dernières plaidoiries tenues devant le TPIR sont celles de l’ancien Président du  MRND, Mathieu Ngirumpatse qui se sont déroulées les 10 et 11 février 2014. En conclusion  de son plaidoyer, l’avocat de Mathieu Ngirumpatse avait adressé la question suivante à la  chambre d’appel « Le Président du MRND peut-il être acquitté ? », estimant alors qu’en  première instance, Mathieu Ngirumpatse « n’avait pas été condamné pour ce qu’il a fait,  mais pour ce qu’il était » et qu’au vu des éléments du dossier, la seule conclusion possible à  laquelle pouvaient parvenir les juges de la chambre d’appel au delà de tout doute  raisonnable  était « l’acquittement de Mathieu Ngirumpatse »

Condamnation à vie en première instance

En première instance, Mathieu Ngirumpatse avait écopé d’une peine de prison à vie, soit la peine la plus lourde prévue par le statut du TPIR, la chambre de première instance l’ayant reconnu coupable de tous les chefs d’accusations dressés contre lui par le procureur, dont notamment l’entente en vue de commettre un génocide et le génocide.
Pourtant, la chambre de première instance avait qualifié Mathieu Ngirumpatse de  « fonctionnaire paisible et conscienceux » qui avait apporté en tant que politicien « des contributions innombrables et durables au processus politique, aux arts et aux sciences sociales au Rwanda ». Pour retenir la culpabilité de Mathieu Ngirumpatse et le condamner à la peine la plus lourde prévue par les statuts du TPIR la chambre s’était appuyée sur deux concepts, d’une part « l’entreprise criminelle commune » et d’autre part, la « responsabilité du supérieur hiérarchique. »

L’ entreprise criminelle commune» au centre de la condamnation

En droit, pour qu’il y ait « entreprise criminelle commune », il faut que trois conditions soient réunies, à savoir une pluralité de personne (1), qui ont un but commun consistant à commettre l’un des crimes visés par le statut du TPIR (génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre)(2) et enfin, il faut que l’accusé ait apporté une contribution significative à cette entreprise criminelle(3).
Le procureur, qui a été suivi sur ce point par la chambre de première instance, avait plaidé qu’au Rwanda une telle entreprise criminelle commune, dont faisaient partie Ngirumpatse et Karemera et dont l’objet était la « destruction de la population tutsie au Rwanda », avait été mise en place.
Dans son jugement de près de 500 pages, la chambre de première instance a distingué deux périodes, avant le 8 avril 1994 et après le 8 avril 1994.

Avant le 8 avril 1994

Au regard de tous les témoignages et de tous les éléments de preuve qui ont été produits dans le cadre du procès, la chambre avait estimé  que compte tenu des conflits qu’avait le MRND avec d’autres partis politiques et avec le FPR et des assassinats de dirigeants politiques qui se perpétraient,  il était « raisonnable de déduire que les accusés et d’autres dirigeants du MRND cherchaient tout simplement à se protéger et à protéger leurs partisans des attaques venant d’autres partis politiques de l’opposition ou du FPR, en intensifiant le recrutement des miliciens Interahamwe, en leur assurant une formation et en les armant avant le 8 avril 1994. »
De même, pour la chambre, les attaques à grande échelle commises contre les Tutsis à partir du 7 avril 1994,  avaient été lancées « en réponse à l’assassinat du Président Habyarimana et alimentées par la propagande anti-tutsie selon laquelle tous les Tutsis soutenaient le FPR, ainsi que par la croyance populaire selon laquelle le FPR était responsable de l’assassinat. »
La chambre de première instance s’inscrivait ainsi par cette affirmation, dans la lignée des autres jugements du TPIR qui avaient, de manière constante,  écarté l’argument d’une planification du génocide avant le 8 avril.

Après le 8 avril 1994

Pour la chambre de première instance, le contexte après le 8 avril était celui d’une « guerre contre l’armée du FPR, composée majoritairement de Tutsis, pour le contrôle du Rwanda », contexte dans lequel des meurtres de civils se commettaient.
Pour les juges de première instance, il a été établi que les meurtres étaient « principalement commis » par « des miliciens appartenant à des partis, en particulier les Interahamwe qui étaient supervisés par des responsables du MRND » , par « des militaires et des gendarmes relevant du Ministère de la défense qui était contrôlé par le MRND »,  ainsi que par « d’autres civils participant au programme de défense civile qui était sous la supervision des ministères de la défense et de l’intérieur contrôlés par le MRND et qui était géré par les services de l’administration territoriale relevant de la compétence du Ministère de l’intérieur. »
Sur base de ces faits qu’elle estimait établis par les éléments présentés lors du procès, les juges de première instance se sont dits d’avis que la seule déduction raisonnable qu’on pouvait en tirer est « qu’une entreprise criminelle commune (ECC) s’était formée le 11 avril 1994 lorsque Ngirumpatse, Nzirorera et Bagosora avaient décidé d’un commun accord  de distribuer des armes aux Interahamwe à Kigali » et pour la chambre, cette entreprise aurait été composée – 1) «de responsables politiques, notamment Karemera et Ngirumpatse »- 2) « d’autorités militaires, Interahamwe et responsables de l’administration territoriale » ainsi que -3) d’ « hommes d’affaires influents, notamment Félicien Kabuga, Obed Ruzindana et Alfred Musema. »
Au sujet de la deuxième condition de l’entreprise criminelle commune, à savoir la volonté de perpétrer l’un des crimes visés par le statut du Tribunal,  la chambre s’était dite  convaincue au-delà de tout doute raisonnable que le dessein commun de l’entreprise criminelle commune était de détruire la population tutsie du Rwanda « compte tenu de l’ampleur des meurtres et de leur caractère systématique et public, ainsi que du fait que les victimes étaient principalement tutsies, dont des femmes, des enfants et des personnes âgées qui ne pouvaient certainement pas être considérés comme des combattants actifs ou potentiels ».
Les deux premières conditions de l’entreprise criminelle commune étant, selon la chambre, réunies, cette dernière devait estimer qu’une « contribution substantielle » de Mathieu Ngirumpatse à cette entreprise avait été démontrée par le procureur, afin de pouvoir condamner l’ancien Président du MRND.   Pour la chambre, cette contribution se serait manifestée par une participation à deux faits : Un assentiment donné à une double distribution d’armes aux miliciens Interahamwe, la première « le 11 avril » et qui aurait été effectuée en « présence du Colonel Bagosora » suivie d’une deuxième séance de distribution d’armes «vers le 12 avril 1994  suite à des arrangements entre Bagosora et Nzirorera ». Le deuxième fait auquel aurait directement participé Mathieu Ngirumpatse est une réunion qui s’est tenue le 18 avril 1994 à Murambi, durant laquelle, pour la chambre de première instance, plusieurs ministres du gouvernement intérimaire, dont le Premier Ministre et plusieurs dirigeants nationaux de partis politiques auraient usé de manœuvres d’intimidation à l’encontre des responsables de l’Administration territoriale de la préfecture de Gitarama afin qu’ils n’interviennent pas dans les attaques lancées contre les Tutsis par les Interahamwe et qu’ils permettent plutôt à ceux-ci de poursuivre ces agressions.
Au total toutefois, ce sont 11 faits pour lesquels Mathieu Ngirumpatse sera reconnu coupable, bien que la chambre estime qu’il n’ait personnellement participé qu’à deux d’entre eux. Pour les neuf autres, il n’était pas présent et était même, au moment de la commission de la plupart d’entre eux, hors du Rwanda. Sa culpabilité pour ces faits, comme par exemple les attaques contre les Tutsis sur les collines de Bisesero aux mois d’avril, mai et juin 1994, étant fondée sur le concept d’entreprise criminelle commune.
En effet, lorsqu’il y a entreprise commune, chaque membre de l’entreprise criminelle commune identifié est supposé être responsable de l’ensemble des crimes commis par n’importe quel autre membre de l’entreprise criminelle commune, même pour les faits auxquels il est totalement étranger.
C’est ainsi que par exemple au sujet des viols perpétrés sur l’ensemble du territoire, la chambre a conclu que «  la responsabilité de Karemera et de Ngirumpatse découlant de la forme élargie de l’ECC (entreprise criminelle commune) est engagée à raison des viols et violences sexuelles perpétrés après le 18 avril 1994 par des Interahamwe, des militaires et d’autres personnes, le Procureur ayant établi ces actes au-delà de tout doute raisonnable ». Leur responsabilité pour les viols a donc été retenue bien que selon la chambre ils aient été étrangers à ces viols et n’en connaissaient pas les auteurs.
C’est contre ces conclusions que Mathieu Ngirumpatse s’est pourvu en appel pour voir ce jugement reformé et voir un acquittement prononcé.

Des témoins dont la crédibilité est sujette à caution »

En appel, Mathieu Ngirumpatse a présenté pas moins de 51 moyens de défense, certains relatifs à la partialité et à l’iniquité de la juridiction de première instance, d’autres relatifs à la crédibilité des témoins de l’accusation, d’autres encore relatifs aux intimidations dont auraient été victimes des témoins de la défense… Mais pour l’avocat de Mathieu Ngirumpatse, l’écrasante majorité de ces moyens sont surabondants, simplement présentés, à titre subsidiaire.
En effet pour Maître Weyl, l’avocat de Mathieu Ngirumpatse, démontrer que celui-ci n’a apporté aucune contribution à une supposée ECC suffit à voir prononcer son acquittement, l’enjeu étant donc de démontrer que les éléments sur lesquels les juges de première instance ont conclu à une « contribution significative à une ECC » sont inexistants.  Dans ses plaidoiries, l’avocat s’est donc longuement évertué à démontrer que d’une part les consentements à des supposées distributions d’armes était imaginaires et que d’autre part, Mathieu Ngirumpatse n’a non seulement pas participé à la réunion du 18 avril, mais de plus, cette réunion n’avait pas un objet criminel comme l’affirme la chambre.
Sur la deuxième distribution d’armes, l’avocat ne s’y est pas attardé, estimant ne pas être en mesure de répondre à une « imputation aussi vague ne comportant l’indication d’aucun lieu » où cette distribution aurait eu lieu. Pour lui, « si cette imputation était aussi vague, c’est qu’il fallait laisser place à toutes les fluctuations de témoins incertains, et interdire toute forme de preuve d’alibi. »
Pour la première distribution, il la qualifie d’imaginaire, regrettant qu’elle se soit fondée sur un témoin dont la crédibilité est sujette à caution ; rappelant que le témoin « HH » à l’origine de cette accusation avait revendiqué avoir faussement accusé Karemera dans une autre affaire devant le TPIR en expliquant que les détenus de la Prison centrale de Kigali  portent « gaiement les accusations les plus fausses, parce qu’ils en retirent récompenses ».
De plus, même dans le propre témoignage du témoin de l’accusation, le consentement de Matthieu Ngirumpatse est déduit du fait qu’il séjournait à l’hôtel dans lequel la distribution aurait eu lieu. L’avocat s’exclame « quelle magnifique création jurisprudentielle que cette corroboration par villégiature, qui expose tout client d’un hôtel à être comptable de ce qui se passe dans chacune de ses suites, quand bien même il est acquis qu’il n’y est pas présent ».
L’avocat de Mathieu Ngirumpatse ajoute encore que le doute aurait dû être jeté sur une accusation aussi tardive, qui n’a même pas été retenue contre le Colonel Bagosora dans son procès alors que ce dernier est supposé être le principal acteur de cette distribution.
Et Maître Weyl de conclure « un juge raisonnable aurait douté de l’existence de la distribution alléguée tardivement par un témoin de l’acabit de HH ; il aurait encore douté que Matthieu Ngirumpatse en ait eu connaissance et y ait consenti. »

« Faut-il ne rien avoir d’autre pour condamner, s’il faut le faire sur du vent ! » 

Au sujet de la réunion du 18 avril, Mathieu Ngirumpatse conteste sa présence, et  affirme qu’en plus c’est à tort que la chambre de première instance a jugé que la réunion avait un objet criminel.
Pour conclure sa présence, la chambre s’est basée sur les témoignages du témoin « FH » et de Fidèle Uwizeye.
Pour FH,  la chambre souligne dans son jugement que ce témoin a « expressément déclaré qu’il ne connaissait pas Ngirumpatse et que, par conséquent, il n’aurait même pas été en mesure de le reconnaître si celui-ci était assis dans le prétoire dans le cadre du présent procès. » et que c’est cela qui explique « pourquoi il n’aurait pas pu identifier Ngirumpatse parmi les personnes présentes à la réunion. »
Pour l’avocat de Ngirumpatse, il est invraisemblable, qu’un Bourgmestre ait pu à cette époque ne pas connaître Ngirumpatse qui « aurait nécessairement été introduit par le président de séance avant qu’il ne prenne la parole » estimant que la conclusion à donner à cet élément est que si FH n’a pas vu Matthieu Ngirumpatse, « c’est que Matthieu Ngirumpatse n’était pas là ». Ainsi l’avocat s’étonne-t-il qu’on puisse déduire la présence de Ngirumpatse à une réunion du témoignage d’une personne qui se dit incapable de l’identifier car « s’il indique qu’il n’aurait pu l’identifier, la conséquence nécessaire est qu’il n’atteste pas sa présence. »
Comme témoignage corroborant celui de « FH » sur la présence de Ngirumpatse à cette réunion, la chambre a cité celui de Fidèle Uwizeye que l’avocat de Ngirumpatse qualifie de «témoin tellement inconsistant et incontrôlable que ses déclarations ne peuvent se suffire. »
Après avoir rappelé que devant une autre chambre, Fidèle Uwizeye avait, sous serment, renié sa propre voix dans un enregistrement radiophonique où il félicitait le gouvernement intérimaire pour son action, avant de reconnaitre avoir menti suite à une expertise, l’avocat déclare « s’il ne se reconnaît pas soi-même, on peut admettre comme conclusion possible qu’il se soit trompé sur Matthieu Ngirumpatse et sur Edouard Karemera, ce qui explique encore qu’il ne sache plus quels propos attribuer à quel orateur, au gré de ses déclarations fluctuantes. »
C’est sur foi du témoignage de Fidèle Uwizeye que la chambre avait conclu que Ngirumpatse était présent à la réunion du 18 avril et que cette dernière avait eu un objet criminel, et l’avocat de Ngirumpatse s’interroge « que faire alors des témoignages d’Akayesu, de Niyitegeka, de PR, de T-24 et de Mporanzi lus a contrario, qui ont prouvé son absence, n’ayant vu ni entendu Matthieu Ngirumpatse, ni à la réunion ni à ses abords ?»
« Ils le démentent sur tout le reste : tous ont donné, ensemble,  des preuves concordantes que l’objet de la réunion était le rétablissement de la paix, et que les participants à la réunion ne blâmaient pas le Gouvernement  de son inaction, mais se désolaient de son manque de moyens ; ensemble, ils ont rappelé les actions entreprises au service de la Paix, et les dispositions prises, au cours de cette même réunion, pour porter secours aux réfugiés de Kabgayi »
Et comme pour davantage jeter le discrédit sur les déclarations d’Uwizeye, Maître Weyl rappelle que ce dernier avait reconnu pointer à  la police de Kigali,  « avant comme après ses témoignages à Arusha, pour en rendre compte et ne pas s’exposer au risque de retourner au secret d’un cachot, comme il y a été maintenu plus de vingt mois pour avoir eu l’audace de témoigner à décharge au procès Akayesu. »
Et sur les déclarations d’Uwizeye, l’avocat conclut « C’est sur la foi des déclarations d’un tel témoin, que la Chambre a averti deux fois, seul contre tous, que le jugement retient la présence et la culpabilité de Matthieu Ngirumpatse, à une réunion où il n’était pas, et dont tout démontre en outre qu’elle avait un objet excluant toute dimension criminelle. »
Sur la réunion du 18 avril, l’avocat ajoute, paraphrasant une partie du jugement de première instance « La réunion aurait été criminelle en raison de ce qui ne s’y serait pas dit : aucun orateur n’aurait appelé à sauver les Tutsis ! » et qualifie cette conclusion d’ « ethniciste »,  « inexacte », et de nature à « encore instaurer une forme nouvelle de responsabilité ». Certes, ne pas désavouer des propos incendiaires, ne pas réagir, cela peut être condamnable dans des circonstances données ; « mais ici, la chambre incrimine le fait de ne pas désavouer des propos, en ce qu’ils n’ont pas été tenus. »
Et l’avocat de conclure sur la réunion du 18 avril 1994 « faut-il ne rien avoir d’autre pour condamner, s’il faut le faire sur du vent ! »

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