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Les Pays-Bas dans le jeu répressif prôné par le régime rwandais

Les Pays-Bas dans le jeu répressif prôné par le régime rwandais

Ces dernières années, le gouvernement néerlandais, à travers ses services d’immigration et de naturalisation (IND) a monté le ton contre des Rwandais qui résident sur son sol. Ainsi plusieurs membres de la communauté rwandaise vivant pourtant de longue date dans le pays, sont menacés de « retrait de nationalité ou du statut de réfugié », voire même d’expulsion du pays. Ces pratiques d’acharnement, essentiellement envers les détracteurs du régime de Kigali aux Pays-Bas, font suite à des dénonciations anonymes au Rwanda accusant les concernés d’avoir participé au génocide, ce que contestent les intéressés. Ceux-ci accusent de leur côté les autorités néerlandaises de renforcer la politique de répression menée par le régime de Kigali contre ses opposants politiques.

Services d’immigration et de naturalisation


C’est l’incompréhension totale parmi la communauté rwandaise aux Pays-Bas, où personne n’arrive à s’expliquer ce que certains n’hésitent pas à appeler « une chasse aux sorcières » menée par les services d’immigration et de naturalisation (IND) de leur pays d’adoption contre plusieurs membres de cette communauté, qui pourtant sont installés dans le pays depuis de nombreuses années.
Ainsi, ces dernières années, les services néerlandais de l’immigration et de naturalisation ont rouvert des centaines de dossiers concernant des exilés rwandais. Selon les estimations, ils seraient entre 15 et 20 Rwandais exilés aux Pays-Bas à être accusés de génocide. Deux sont en prison dans l’attente de leurs éventuelles expulsions, et deux autres sont incarcérés, dans l’attente d’être fixés sur leur sort suite aux demandes d’extradition formulées par le Rwanda. La plupart de ceux qui sont poursuivis, sont des opposants politiques au régime de Kigali ou proches de l’opposition en exil.
Les cas de Lin Muyizere, le mari de l’opposante Victoire Ingabire, Joseph Mugenzi, un ex-président des FDU-Inkingi (le parti de Victoire Ingabire) aux Pays-Bas, et Jean Gervais Munyaneza ont attiré l’attention de Jambonews.
Retrait de passeport de Lin Muyizere
 Le 26 Septembre, Lin Muyizere recevait une lettre des services néerlandais d’immigration et de naturalisation dans laquelle on lui signifiait les procédures en cours pour lui retirer son passeport et la nationalité néerlandaise qu’il a obtenue en 2012. Ces services d’immigration accusent le mari de l’opposante Victoire Ingabire d’avoir participé au génocide de 1994 au Rwanda, accusations qu’il conteste. Il voit dans cette décision la main cachée du régime de Kigali, dont sa femme est l’une des principaux opposants. Ses soupçons partagés par son avocat Jan Hofdijk , qui voit dans cet acte une conspiration du régime de Kigali, résolu à « briser » l’opposante Victoire Ingabire, en s’acharnant sur son mari.

Lin Muyizere


Le parquet rwandais qui s’était refusé à tout commentaire sur ces accusations et renvoyait aux autorités néerlandaises, a fini par déclarer ce samedi 18 octobre par la voix de son porte-parole Alain Bernard Mukurarinda que ses services n’ont aucun dossier sur Lin Muyizere. Même du côté des tribunaux populaires, les « Gacacas », qui ont jugé les crimes de génocide au Rwanda pendant une dizaine d’années, aucun dossier n’a été ouvert sur lui. Le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) n’a non plus aucune accusation contre le mari de l’opposante rwandaise. Il n’y a que les services d’immigration néerlandais qui accusent Lin Muyizere de génocide.
Selon une information rapportée par la RFI, ces services auraient décidé de mener une enquête administrative sur le mari de Victoire Ingabire, à cause de son témoignage en 1997 au Tribunal Pénal International pour le Rwanda lors du procès de Jean-Paul Akayesu.
Lin Muyizere qui fut témoin de la défense dans le procès de Jean-Paul Akayesu, ancien maire de la commune de Taba (centre du Rwanda), condamné à la prison à vie par le TPIR en 1998, aurait été surpris d’apprendre par une lettre des services néerlandais d’immigration et de naturalisation datée du 24 septembre dernier, qu’une enquête administrative est en cours en son encontre, à cause de son témoignage à Arusha, alors que le TPIR est censé garantir l’anonymat des témoins.
Que les services néerlandais aient attendu 13ans pour mener leur enquête reste incompréhensible. En effet, les services d’immigrations néerlandais ont commencé leur enquêté en juin 2010, soit 6mois après la rentrée au pays de Victoire Ingabire pour prendre part aux élections présidentielles, et deux mois seulement après son arrestation, d’où les soupçons des motifs politiques derrière cette affaire. « Je suis accusé injustement parce que je défends la cause de ma femme », a affirmé l’intéressé sur RFI le 13 octobre dernier.
Le cas de Joseph Mugenzi
Joseph Mugenzi

Joseph Mugenzi


Un autre opposant qui fait les frais de cette « chasse aux sorcières » de la part des services d’immigration néerlandais est Joseph Mugenzi, ex-président des FDU-Inkingi (le parti de Victoire Ingabire) aux Pays-Bas. Cet homme est aussi le père de René Mugenzi, un défenseur des droits de l’Homme très virulent envers le régime de Paul Kagame installé au Royaume-Uni. René Mugenzi avait été averti en mai 2011 par la Police métropolitaine de Londres de l’existence de menaces à sa sécurité émanant du gouvernement rwandais. Cette affaire avait suscité des tensions entre le Rwanda et le Royaume-Uni. Londres avait menacé de retirer son aide au Rwanda si ce dernier n’arrêtait pas sa campagne de terreur envers ses ressortissants installés au Royaume-Uni.
Lin Muyizere tout comme Joseph Mugenzi, sont aujourd’hui menacés d’être expulsés vers le Rwanda, sur base de témoignages anonymes et de « on dit ». Les intéressés n’y vont pas par quatre chemins. Ils affirment voir dans ces pratiques, une instrumentalisation des services néerlandais par le régime de Kigali, dans la poursuite de sa politique de répression contre les voix critiques.
 
Jean Gervais Munyaneza, premier exilé rwandais à être déporté vers le Rwanda
 Jean Gervais Munyaneza quant à lui, vivait aux Pays Bas depuis 1997.Contrairement aux autres, il n’était pas particulièrement proche de l’opposition. Par peur de se voir accuser d’être un anti-Kagame, il s’est toujours tenu éloigné des manifestations et autres évènements organisés par les opposants au gouvernement rwandais. Sa carte de réfugié lui a été retirée en 2011, car accusé de génocide lui aussi par les services néerlandais de l’immigration.
Sans domicile fixe depuis lors, Munyaneza n’a pas pu recevoir une assignation des services d’immigration dans laquelle il lui était informé qu’il est accusé de génocide et contre laquelle il pouvait réagir endéans 6 semaines comme l’exige la loi. En effet, tout individu menacé d’expulsion par les services d’immigration peut toujours faire appel, afin que son cas soit examiné devant une cour de justice. N’ayant pas réagi aux accusations des services d’immigrations dans le temps imparti à cause de sa situation, la procédure d’extradition s’est déclenchée et Jean Gervais Munyaneza s’est fait expulser le lundi 13 octobre dernier, devenant ainsi la première personne d’origine rwandaise à être renvoyée au Rwanda par les Pays-Bas, pour y être jugé des faits de génocide qui lui seraient reprochés.
Fait exceptionnel et qui pose question, à son arrivée au Rwanda escorté par deux policiers néerlandais, Munyaneza n’a pas été arrêté, personne ne l’attendait à l’aéroport, et le parquet rwandais affirmait plus tard n’avoir aucun dossier contre lui. Munyaneza est aujourd’hui sans statut fixe au Rwanda. Jean de Dieu, le frère de Munyaneza, est également en prison aux Pays-Bas, accusé lui aussi de génocide. Son cas a été porté devant la Cour européenne des droits de l’homme qui doit trancher. Les deux frères issus d’une famille aisée, seraient selon nos sources victimes d’individus au Rwanda, qui les accusent à tort de génocide pour s’accaparer des biens de leur famille. Les deux intéressés ont toujours affirmé avoir des raisons de craindre pour leurs vies si jamais ils sont renvoyés vers le Rwanda.
Que se cache-t-il derrière cette surenchère néerlandaise ?
 Si les personnes poursuivies par les Pays-Bas pour leur implication présumée dans le génocide rwandais clament leur innocence, les autorités néerlandaises affirment de leur part de vive voix « ne pas souhaiter devenir un havre de paix pour ceux qui ont commis des crimes internationaux« .
Pour la journaliste et chercheuse Anneke Verbraeken, ce serait principalement pour des raisons « d’économie » et pour « sauver la face » que les Pays-Bas s’acharnent sur les exilés rwandais. Selon cette journaliste attachée à la Région des Grand lacs d’Afrique, les Pays Bas cherchent à éviter à tout prix que les personnes accusées de génocide par le régime de Kigali soient jugées sur leur sol, les procès qui risquent de couter cher en temps et en argent, alors que le retrait de nationalité ou le statut de réfugié permettraient par la suite de renvoyer les personnes poursuivies vers le Rwanda pour y être jugées. D’autre part, des procès aux Pays-Bas seraient un désaveu formel pour le gouvernement néerlandais, qui est le principal financier du système judiciaire rwandais. En effet, depuis la fin du génocide en 1994, le gouvernement néerlandais a formé des juges, des procureurs, des avocats, et a même financé la construction d’une prison au Rwanda. Ainsi tenir les procès sur le sol néerlandais reviendrait pour le gouvernement à avouer à son opinion l’échec du système qu’ils financent depuis 20ans.
Pour sauver la face, les autorités néerlandaises se lancent à l’aveuglette, dans les manœuvres qui frôleraient même l’illégalité, selon Verbraeken, certains rapports d’enquêtes faites par l’ambassade néerlandaise au Rwanda sur les personnes poursuivies étant des fois oubliés délibérément dans les tiroirs de l’ambassade, quand ils ne vont pas dans le sens souhaité.
Le gouvernement néerlandais au secours de la justice rwandaise
Malgré des nombreux rapports, émanant essentiellement des organisations de défense des droits de l’homme, qui dénoncent l’opacité de la justice rwandaise, le gouvernement néerlandais minimise les faits, et se contente de déclarer que le secteur judicaire rwandais a juste besoin de « s’améliorer ». « Mon gouvernement est naïf ou arrogant et fait semblant d’ignorer que l’appareil judiciaire rwandais est contrôlé par le président Paul Kagame qui l’utilise contre ses détracteurs », rétorque Jan Hofdijk, l’avocat néerlandais de Lin Muyizere et Joseph Mugenzi.
Depuis 2010, les rapports des organisations des droits de l’homme, en premier lieu Human Rights Watch, dénoncent une dégradation du système judiciaire rwandais : arrestations arbitraires, meurtres, actes de torture, témoins disparus ou menacés, harcèlement et intimidation, exécution extrajudicaire, sont des charges fréquemment évoquées.
La découverte de cadavres enfermés dans des sacs de jute et flottant dans le lac Rweru entre le Burundi et le Rwanda ces derniers jours, et cela quelques semaines seulement après que plusieurs cas de disparition aient été signalés au Rwanda, renforce la thèse de la multiplication des exécutions extrajudiciaires dans le pays. Pour sa défense, le gouvernement néerlandais a déclaré mener des « discussions fréquentes » avec Kigali sur des points embarrassants de son système judicaire, notamment les rapports faisant état de « disparitions et de détentions illégales au Rwanda », a rapporté la RFI.
Dans la foulée, force est de constater que même sur ces sujets brulants, les Pays-Bas ne manquent pas d’arguments pour défendre le système judicaire qu’ils ont financé à coup de millions. Dans le souci probablement de ne pas être accusé de laxisme face à ces dérives de la justice rwandaise, le gouvernement néerlandais a déclaré mener des « discussions fréquentes » avec Kigali sur des points embarrassants de son système judicaire, notamment les rapports faisant état de « disparitions et de détentions illégales au Rwanda », a rapporté la RFI.
En effet, pour ces opposants rwandais, ils sont victimes de la politique de répression menée par Kigali, une politique qui vise à neutraliser tous ceux qui portent une voix contraire au régime. Selon eux, La Haye serait instrumentalisé et les accusations portées à leurs encontre n’ont aucun fondement. Ces opposants et leurs avocats ne s’expliquent pas le soutient aveugle accordé par les services judiciaires néerlandais à ceux, pourtant fort critiqué, du Rwanda.
Pour eux donc, les liens entre les deux services étant forts et étroits, malgré les dénégations de Kigali et de La Haye, il ne fait aucun doute que derrière les accusations de l’IND se cache la main du régime de Kagame voulant une nouvelle fois museler toute opposition crédible à son régime.
 
Jean Mitari
Jambonews.net
 
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