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Burundi : La crise et la nécessité d’un dialogue

Burundi : La crise et la nécessité d’un dialogue

Rappel des faits

Le 25 avril 2015, le CNDD-FDD, parti au pouvoir au Burundi depuis août 2005, choisissait l’actuel président Nkurunziza comme candidat à la présidence de la République du Burundi pour la période 2015-2020. Cette désignation a soulevé des vagues de contestation car en cas de réélection, ce serait le 3ème mandat présidentiel de Nkurunziza alors que la constitution n’en autorise que deux. Les violences politiques qu’elle a provoquées ont déjà fait une dizaine de morts et contraint des milliers de Burundais à fuir vers le Rwanda, la Tanzanie et la RDC voisins.
Pour une partie des membres du CNDD-FDD toutefois, cette candidature est conforme à la constitution, en ce sens que Nkurunziza n’a jusqu’ici concouru qu’une seule fois au suffrage universel direct (2010). L’article 96 de la constitution burundaise stipule en effet que « Le Président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois ».
En 2005, les conditions politiques et sécuritaires ne permettaient pas l’organisation des élections présidentielles au suffrage universel direct. La constitution avait prévu une élection au suffrage universel indirect pour le premier mandat du Président de la République post-transition. L’article 302 (alinéa 1) stipule en effet que «  à titre exceptionnel, le premier Président de la République de la période post-transition est élu par l’assemblée Nationale et le Sénat réunis en congrès, à la majorité des deux tiers des membres. Si cette majorité n’est pas obtenue aux deux premiers tours, il est procédé immédiatement à d’autres tours jusqu’à ce qu’un candidat obtienne le suffrage égal aux deux tiers des membres du Parlement. »
burundi_drapeauC’est cet article qui est au centre de la controverse juridique, car pour les partisans de Nkuruzinza, cette première élection ne tombe pas sous le coup de l’interdiction de l’article 96 de la Constitution étant donné qu’il s’agissait d’une élection présidentielle indirecte, Nkurunziza ayant été élu par le congrès. Certains membres de la majorité présidentielle mettent également en avant la popularité présumée du Président Nkurunziza dans les campagnes pour justifier ce troisième mandat. Cette candidature a provoqué des fissures au sein du CNDD-FDD même. Plusieurs cadres frondeurs, dont un membre fondateur, Richard Nimbesha, ont été expulsés du parti.
Pour les opposants, la société civile burundaise ainsi que l’église catholique[1], cette candidature est anticonstitutionnelle et ne s’inscrit pas dans l’esprit de l’accord de paix d’Arusha qui a mis fin à une décennie de guerre civile. Pour ces derniers, le président Nkurunziza ayant pris ses fonctions en 2005 conformément à l’article 302 de la constitution, son premier mandat a débuté en juillet 2005, et pris fin en juin 2010. Par conséquent, le mandat actuel de Nkurunziza (2010-2015) est bel et bien le deuxième et dernier autorisé par la constitution burundaise.
Les opposants évoquent notamment dans leur argumentaire l’accord de paix d’Arusha signé le 28 août 2000 sur lequel la constitution actuelle est bâtie et qui stipule que le Président de la République «  est élu pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois. Nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels » (Protocole II, Chapitre I, article 7, para 3).
Fort de ces interprétations juridiques, du soutien de l’église catholique et d’une grande partie de la communauté internationale, un collectif constitué d’une partie de la société civile et de l’opposition organise depuis le dimanche 26 avril 2015 des manifestations dans la capitale Bujumbura. Le bilan officiel (source: police) est de 7 morts côté manifestants, de plus de 44 blessés dont 38 policiers, et de plus 600 manifestants emprisonnés. Un militaire a été tué le 30 avril 2015 par un officier du renseignement. Le lendemain, trois personnes dont deux policiers ont été tuées dans une attaque à la grenade dont les auteurs n’ont pas encore été identifiés.
De son côté, le pouvoir a organisé une riposte juridique. 14 sénateurs issus du parti CNDD-FDD ont adressé une demande à la Cour constitutionnelle pour interpréter les articles litigieux de la constitution. Dans son arrêt du 4 mai, « La Cour constitutionnelle déclare la saisine régulière, se déclare compétente pour statuer sur la requête en interprétation des articles 96 et 302 de la constitution et déclare la requête recevable. Dit de l’article 96 veut dire que le nombre de mandats au suffrage universel direct est limité à deux seulement, et l’article 302 crée un mandat spécial au suffrage universel indirect qui n’a rien à voir avec les mandats prévus à l’article 96. Dit pour droit que le renouvellement une seule et dernière fois de l’actuel mandat présidentiel au suffrage direct pour cinq ans, n’est pas contraire à la Constitution de la République du Burundi du 18 Mars 2005.» Donnant ainsi raison aux partisans du Président.
Rappelons toutefois que le vice-président de cette Cour, Monsieur Sylvère Nimpagaritse n’a pas signé cet arrêt. Il a indiqué lundi dernier à la RFI que quatre des sept membres qui siègent à la Cour constitutionnelle lisent la constitution en défaveur de l’actuel président, mais qu’ils ont subi des pressions pour finalement changer d’avis. L’intéressé a quant à lui refusé de céder et a fui vers le Rwanda.
On peut se poser la question légitime par rapport à la neutralité de la cour constitutionnelle. En effet, le président de cette cour, Charles Ndagijimana, vient d’être nommé au conseil d’administration de la très lucrative Brasserie Brarudi par Nkurunziza (l’Etat burundais est actionnaire à hauteur de 40%) en remplacement du frondeur Léonidas Hatungimana, ancien porte-parole de Nkurunziza tombé depuis en disgrâce. Un autre exemple, Aimée-Laurentine Kanyana est à la fois membre de cette cour et vice-gouverneure de la BRB (Banque de la République du Burundi) sur décret du Président Nkurunziza.
Il est aussi de notoriété publique que la justice n’est pas indépendante au Burundi, selon le président du syndicat des magistrats burundais (SYMABU), Jean-Pierre Munyembari, toutes les nominations et/ou mutations des magistrats sont orchestrés au niveau de l’exécutif[2]. Ceci pose un problème de démocratie, et d’indépendance entre les deux pouvoirs.
Dans son article « Scénarii pour le Burundi[3] », le constitutionaliste belge Filip Reyntjens est d’avis que la constitution interdit à Pierre Nkurunziza de se représenter. Le professeur indique que « Même si ces pro-troisième mandat ont le bénéfice d’une certaine ambigüité constitutionnelle, leur position est intenable pour au moins deux raisons, sans même devoir invoquer les Accords de paix d’Arusha de 2000 comme certains le font. Un: l’article 302 est une disposition temporaire portant uniquement sur la période 2005-2010. Il n’est plus en vigueur, et ne peut dès lors être invoqué aujourd’hui. Deux et surtout : alors que l’article 96 dispose du nombre de mandats, l’article 302 traite simplement de la modalité de l’élection 2005. Il ne concerne en rien d’autres aspects de la fonction présidentielle, notamment le nombre de mandats. Essayons une démonstration par l’absurde: si la modalité de l’élection présidentielle était amendée, cela signifierait-il que Nkurunziza peut se présenter pour un autre mandat ? »
Il est donc probable que la validation de la candidature de Nkurunziza par la Cour constitutionnelle n’arrêtera pas les manifestations. Les élections (législatives et communales) qui commencent le 26 mai 2015 risquent donc de ne pas avoir lieu ou d’être fortement perturbées.

Pierre Nkurunziza

Pierre Nkurunziza

La position ambiguë de Kigali

En 2005, le pouvoir rwandais avait financé de bout en bout la campagne électorale du CNDD-FDD. Ce dernier avait reçu de la part de Kigali plusieurs dizaines de Toyota pick-up et plusieurs centaine de milliers de dollars pour battre campagne. Ce soutien financier de taille, ainsi que l’encadrement musclé des campagnes par les démobilisés ex-FDD a permis au CNDD-FDD de rafler la majorité des sièges au parlement, et par voie de conséquence la Présidence de la République (selon l’article 302).
Depuis, le parti au pouvoir au Rwanda, le FPR (Front Patriotique Rwandais) est régulièrement invité aux congrès du CNDD-FDD en tant que parti « frère » (avec le Chama Cha Mapinduzi Tanzanien).
Depuis, les opposants au régime rwandais sont indésirables à Bujumbura ou risquent d’être extradés à Kigali s’ils mettent le pied à Bujumbura. L’opposant Déo Mushayidi a notamment payé les frais de ce rapprochement entre Kigali et Bujumbura[4].
Entre temps, tout le monde sait que le président rwandais Paul Kagame sera très prochainement confronté au même problème de limitation de mandats comme Nkurunziza, même si Kagame semble anticiper cette question via un très probable amendement de la constitution. La logique voudrait que Kagame se montre solidaire avec Nkurunziza pour éviter que cette « tâche d’huile »  démocratique burundaise ne se répende dans une région réputée peu démocratique.
D’un autre côté, le président Kagame a une certaine « sympathie » au sein d’une partie de l’opposition burundaise. Dans ce front hétéroclite contre le 3ème mandat, certains aimeraient recevoir un coup de main du président Kagame pour faire pencher la balance en leur faveur. D’où certains slogans pour plaire Kigali, et le signalement non encore confirmé de rebelles rwandais du FDLR (Front démocratique pour la libération du Rwanda) aux côtés de Nkurunziza[5].
Certains à Kigali caressent également l’idée d’installer un nouveau poulain à Bujumbura à l’instar de ce qu’ils ont fait en 2005 avec le CNDD-FDD.
Dans cet imbroglio, les Burundais dits souverainistes risquent d’être les premiers perdants, car dans les deux cas, le Burundi risque de perdre son indépendance politique par rapport au Rwanda. Tout soutien extérieur a un prix. Il faut savoir que peu d’intervenants agissent par philanthropie, ils ont en général leurs propres agendas, et présentent très souvent une facture extrêmement lourde à celui qui a bénéficié de l’intervention. C’est pourquoi les meilleures solutions sont celles qui seront initiées, formulées et exécutées par les Burundais eux-mêmes à travers un dialogue inter-burundais.

La porte de sortie possible

Face à un très probable enlisement du conflit, et à l’impossibilité d’organiser des élections crédibles dans ce contexte de crise, une seule voie de sortie est possible : le dialogue.
Cette idée de dialogue est aujourd’hui reprise par Nkosazana Dlamini Zuma, la présidente de la commission de l’union africaine qui, dans sa déclaration du 30 Avril 2015 « souligne la nécessité du dialogue entre les parties prenantes burundaises, en vue de résoudre pacifiquement leurs différends et de créer des conditions propices à la tenue des élections paisibles, inclusives, libres, régulières et transparentes». De même, l’envoyé spécial d’Obama, Tom Malinowski a martelé le même jour que « des mesures concrètes seront prises, dont des sanctions ciblées contre les responsables des violences, si les autorités refusent le dialogue au Burundi. »

Quels seraient les points de négociation ?

Le premier point de négociation serait de prévoir une sortie honorable pour Nkurunziza et son système[6] : Il s’agit d’offrir une amnistie provisoire qui devra être confirmée après les élections. Cette amnistie serait offerte en contrepartie d’un retrait de la candidature de Nkurunziza.
Le deuxième point de négociation serait la mise en place d’un gouvernement de transition inclusif (CNDD-FDD+ Opposition + Société civile) à l’instar du Burkina Faso. Pour éviter l’enlisement des négociations, ce gouvernement de très courte durée (12 mois au maximum) aurait comme feuille de route :

  1. De pacifier le pays, en particulier les campagnes contrôlées par la jeunesse du parti au pouvoir Imbonerakure ;
  2. D’indemniser toutes les victimes de cette crise (manifestants, policiers et militaires tués ou blessés) ;
  3. De rapatrier tous les réfugiés y compris les personnalités politiques de premier plan (Alexis Sinduhije, Pancrace Cimpaye, Léonard Nyangoma, Hussein Radjabu,…);
  4. De mettre en place une nouvelle CENI (commission électorale nationale indépendante) inclusive non-inféodée au pouvoir;
  5. De distribuer des cartes d’identité biométrique gratuites à tous les Burundais en âge de vote ;
  6. De corriger le fichier électoral sur base du point 5 ;
  7. D’organiser des élections libres, inclusives et crédibles.


[1]
Déclaration de l’église catholique du 9/03/2015.
[2] Emission ‘Kabizi’ de la Radio Publique Africaine (RPA) début 2015.
[3] Article paru le 26/04/2015 sur le site web www.iwacu-burundi.org
[4] Déo Mushayidi est un ancien cadre du Front Patriotique Rwandais qui a fui le Rwanda en 2000. Il a été arrêté au Burundi le 4/03/2010, puis extradé le lendemain au Rwanda où il est emprisonné à perpétuité.
[5] Certaines rumeurs font état d’une présence des FDLR aux côtés de la jeunesse du parti au pouvoir Imbonerakure. D’après les informations dont nous disposons, il n’y a aucun mouvement important des FDLR vers le Burundi à l’heure actuelle. Cela n’exclue pas la présence de quelques FDLR à titre de mercenaires au Burundi.
[6] Il s’agit essentiellement des généraux ex-FDD dont les noms reviennent régulièrement dans les rapports des associations de droits de l’Homme. On citera entre autres Adolphe Nshimirimana, Gervais Ndirakobuca (alias Ndakugarika) et Guillaume Bunyoni.
 
Cl-Olivier Ivanovitch
Jambonews.net
 

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