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Rwanda: Au-delà des chiffres de croissance économique (3ème partie)

Rwanda: Au-delà des chiffres de croissance économique (3ème partie)

La première partie de cet article a dévoilé l’écart entre la croissance économique du Rwanda, acclamée dans le monde entier, et le bien-être de la majorité des citoyens du pays. La deuxième partie a découvert la nature de la croissance économique du Rwanda et les risques contentieux auxquels le pays est de plus en plus exposé. Les deux articles invitaient les parties prenantes à se demander si les réalisations économiques du Rwanda sont irréfutables et durables. Dans cette troisième et dernière partie, les menaces qui pèsent sur le développement économique du Rwanda et qui sont rarement mentionnées seront examinées afin de mieux informer les parties prenantes et les inviter à réfléchir sur la gestion et l’avenir des affaires économiques du Rwanda.
[Cliquez ici pour lire la 1ère partie]  [Cliquez ici pour lire la 2ème partie]

Changement climatique

Le Rwanda est exposé à une variabilité des précipitations et des températures due au changement climatique. Des inondations et des sécheresses extrêmes dans les différentes régions du Rwanda provoquent d’importantes pertes économiques pour le pays. Par exemple, d’importantes précipitations en 2007 ont conduit à environ 20 morts, 706 maisons détruites, 678 maisons endommagées et 2.500 hectares de terres inondées. Une évaluation du coût économique des inondations de 2007, réalisée en 2009 par le Stockholm Environment Institute (SEI), a estimé les dommages pour les foyers, les pertes agricoles et les pertes humaines à un montant entre 4 et 22 millions de dollars US. Ces estimations auraient pu être encore plus élevées si les pertes économiques plus larges tels que les infrastructures, l’agriculture, les dommages du système de l’eau, la contamination de l’eau, érosion des sols, effets directs et indirects aux particuliers avaient été inclus.

En 2013,  le ministère rwandais de la Gestion des catastrophes et des Réfugiés a rapporté que 112 personnes sont mortes à cause de circonstances liées au climat. 3.924 maisons ont été démolies et autour de 2,201 hectares de terre ont été dévastés. Le coût économique des événements climatiques de 2013 au Rwanda est encore à établir, mais il représente certainement une perte financière grave. Il est évident que le changement climatique deviendra une menace primordiale pour le développement économique et humain de la population du Rwanda. SEI a indiqué que les coûts économiques futurs du changement climatique au Rwanda sont très incertains, mais sont susceptibles d’être au minimum de 1% du PIB chaque année d’ici à 2030. Au moment de la publication du rapport (en 2009), l’institut estimait les frais immédiats pour l’adaptation du Rwanda au changement climatique étaient d’environ 50 millions de dollars US par an à partir de 2012. L’institut avait également estimé que des financements supplémentaires de 300 à 400 millions de dollars US par an étaient nécessaires pour répondre à la variabilité climatique du moment. En 2030, le Rwanda aura besoin d’un minimum de 50 à 300 millions de dollars US par an pour l’adaptation au changement climatique. Ces frais sont estimés à un maximum de 600 millions de dollars US par an.

C’est dans ce contexte qu’en 2014 le Rwanda a mis en place un fonds national pour le climat de 22,5 millions de livres sterling (34 millions $ US) financé par le Département britannique pour le développement international (DFID) pour investir dans des projets d’adaptation au changement climatique et la prévention de celui-ci. Cependant, la question reste de savoir comment le Rwanda recueillera les fonds pour lutter contre les problèmes futurs liés au changement climatique. Les pourparlers sur le rassemblement des fonds nécessaires pour aider les pays en développement tels que le Rwanda dans leur lutte contre les impacts du changement climatique sont en cours au niveau international mais ne sont pas encore concluants. Comment le Rwanda recueillera suffisamment de fonds pour faire face aux impacts du changement climatique et en même temps subvenir aux besoins des Rwandais ayant désespérément besoin de développement économique et social reste une énigme. Cette question se pose car malgré la croissance économique du Rwanda, acclamée par le mode entier, cela reste toujours un défi pour le pays de recueillir des fonds publics de sources intérieures. Les preuves montrent également que la perte de revenus est endémique dans le pays. En outre, l’utilisation efficace de l’aide publique au développement du Rwanda est discutable. Le récit ci-dessous fournit des détails supplémentaires pour permettre aux acteurs de réfléchir sur la gestion et l’avenir des affaires économiques du Rwanda.

Faible recettes fiscales et pertes de revenues  

Le niveau de mobilisation des recettes fiscales reste faible malgré la croissance économique du pays. « …A 16 % du PIB, la part des impôts perçus {au Rwanda} est encore faible par rapport à celles des pays comparables d’Afrique et nettement inférieure à l’objectif de 25 % fixé par la Communauté d’Afrique de l’Est » a déclaré Mme Christine Lagarde, la directrice générale du Fonds monétaire international (FMI) aux parlementaires rwandais et d’autres à Kigali le 27 janvier 2015, au cours de ses trois jours de visite au Rwanda. La raison principale qui empêche le Rwanda de mobiliser assez de recettes fiscales est que sur une population active de 5,8 millions disponibles au Rwanda, seuls 348 000 sont employés dans l’économie formelle et donc payent l’impôt[1]. Une grande partie de la population active du Rwanda est concentrée dans l’économie informelle qui ne paie pas d’impôt. Le gouvernement rwandais reste le principal employeur dans l’économie formelle du pays car le secteur privé est faible. Pour des raisons expliquées  dans la deuxième partie de cet article, le Rwanda a du mal à développer un environnement efficace qui pourrait favoriser un secteur privé florissant capable de créer des emplois décents susceptibles d’augmenter la mobilisation des recettes fiscales dans le  pays.

Le Rwanda perd également des revenus substantiels par les opérations financières illicites et les dépenses irrégulières et non autorisées des entités publiques. Un récent rapport sur ​​les flux financiers illicites en provenance des pays en développement par le Global Financial Integrity de 2013 révèle qu’en moyenne, le Rwanda a perdu 211 millions de dollars dans des transactions financières illicites entre 2002 et 2011 (c’est-à-dire 23 millions de dollars par an). En outre, sur base des rapports du bureau du vérificateur général au Rwanda, il a été établi que les dépenses publiques qui n’ont pas été justifiées par des documents vérifiables s’élèvent approximativement à 46 milliards de RWF (63 millions de dollars) entre 2003 et 2013, un montant qui serait plus élevé si on y ajoutait les dépenses publiques inutiles & non autorisées. Tous ces fonds sont sans aucun doute une perte énorme de revenus pour un pays pauvre et en voie de développement comme le Rwanda qui pourraient être utilisés pour soutenir le Fonds national pour le financement climatique ou aider à résoudre certains défis de développement social auxquels le Rwanda est aujourd’hui confronté, tels que la manque d’éducation de qualité dans les écoles publiques entre autres.

Aide publique au développement

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L’aide publique au développement (APD) ou, plus simplement, le flux d’aide étrangère, a été le principal pilier de la croissance économique du Rwanda après 1994, mais son utilisation continue de susciter des questions. En moyenne, le Rwanda est la deuxième pays à avoir reçu le plus d’APD nette par habitant entre 2005 et 2013 en comparaison avec les pays qui apparaissent sur la liste des 10 premiers bénéficiaires de l’APD en Afrique de 2011 à 2013 (voir graphique ci-dessus) Néanmoins, l’utilisation de l’aide par le Rwanda a de plus en plus soulevé d’inquiétude auprès des pays bailleurs de fonds d’aide pour le développement au Rwanda, amenant certains de ces pays à suspendre ou à retarder l’aide promise au Rwanda. En 2008, la Suède a suspendu l’aide d’un montant de 14,5 millions de dollars et les Pays-Bas ont retenu 4,2 millions de l’aide prévue au Rwanda. En 2012, les États-Unis, la Banque africaine de développement, le Royaume-Uni, l’Allemagne et la Suède ont retenu l’appui budgétaire d’un montant de 128,1 millions de dollars. La suspension de l’aide pendant les deux périodes était due à l’implication présumée du Rwanda dans le conflit de l’Est de la République démocratique du Congo. En 2014, la Belgique a annulé 40 millions d’euros d’aide au Rwanda parce que le pays n’avait pas atteint les objectifs de la liberté des médias et de la bonne gouvernance. Comme mentionné  dans la deuxième partie de cet article, cette annulation de l’aide au Rwanda par la Belgique pourrait indiquer que la poursuite de la suspension de l’aide par les pays donateurs est possible si la constitution du pays est modifiée pour permettre au président sortant de briguer un troisième mandat. Les Etats-Unis, qui fournissent le plus d’aide au Rwanda, ont récemment annoncé qu’ils ne soutenaient pas un troisième mandat présidentiel au Rwanda. Le mode de gouvernance au Rwanda a progressivement évolué vers un mode qui n’est plus à la hauteur des principes que la communauté internationale de développement valorise pour l’assurance d’une bonne gouvernance dans n’importe quel pays. Ces principes sont des préalables obligatoires pour les pays sollicitant l’APD auprès de la communauté internationale pour le développement. On peut ainsi arguer que la politique qui influence l’orientation actuelle de la gouvernance du Rwanda met le développement social et économique du pays à risque.

Le Rwanda dépense également de grosses sommes prises de ses maigres recettes fiscales intérieures et de l’aide publique au développement pour des activités douteuses en dépit des difficultés économiques et sociales du pays. Une partie du budget national a ete depensee aux entreprises spécialisées en relations publiques (RP) et à l’organisation de grands événements publics au Rwanda et à l’étranger tels que le dialogue national, le Rwanda Day ou le Forum pour la jeunesse Rwandaise. En outre, le Rwanda a récemment acheté quatre missiles de défense aérienne TL-50 de la Chine, faisant du Rwanda le pays le plus avancé d’Afrique de l’Est en matière de défense aérienne. Pour éviter toute ambiguïté, il n’y a pas de doute que le développement du Rwanda peut bénéficier de renforcement de la sécurité du pays, l’engagement des sociétés de RP, ou l’organisation d’événements périodiques qui rassemblent les Rwandais à travers le monde pour débattre des questions du pays. Cependant, les décideurs politiques à la tête de la gestion des affaires économiques devraient hiérarchiser les dépenses du pays en fonction des besoins prioritaires pour le développement du pays. Par exemple, une partie des fonds dépensés pour les activités mentionnées pourraient être plus efficacement utilisées ailleurs, pour les avantages à long terme du Rwanda, si elles étaient consacrées à la lutte contre les problèmes urgents tels que la malnutrition. Un rapport sur le cout de la faim au Rwanda de 2013 révèle que le Rwanda a perdu l’équivalent de 11,5% du PIB en raison de la malnutrition, soulignant que 49,2% des adultes au Rwanda ont souffert d’un retard de croissance quand ils étaient enfants et par conséquent n’ont pas été en mesure de réaliser leur potentiel. Le rapport ajoute: « Au Rwanda rural où la plupart des gens sont engagés dans des activités manuelles, il est estimé que, en 2012 seulement, 40,4 milliards RWF (55 millions de dollars) ont été perdus en raison d’une plus faible capacité de ce groupe ». Le rapport indique que les causes de la malnutrition sont environnementales (des causes naturelles ou entropiques), socio-culturelles économiques (liée à la pauvreté et aux inégalités) et institutions politique.

Augmenter les finances pour le développement

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Suite à de successives suspensions de l’aide par les pays donateurs et aux contraintes de la faible capacité à collecter des impôts, le Rwanda a commencé à explorer les possibilités de recueillir des finances pour le développement par des sources locales et internationales. En vue de récolter les fonds des sources locales, en 2012, le Rwanda a lancé un fonds de solidarité sous le nom de «Agaciro  Fonds de développement » (AGDF). Le but du fonds est de permettre au gouvernement du Rwanda, aux Rwandais et aux amis du Rwanda d’y contribuer en faisant don de leur propre argent. Toutefois, compte tenu de la très faible base du revenu intérieur (voir la première partie de l’article) et du petit secteur privé, l’on peut se demander si les seules sources nationales permettent la récolte de suffisamment de fonds pour le développement. L’article intitulé «Rwanda : Qu’est-ce que le Fonds de développement Agaciro » fournit des solutions alternatives et viables pour l’AGDF.

Le Rwanda a levé 400 million de dollars US par emprunt via les marchés internationaux de capitaux en 2013. De même, 21.90 million de dollars US d’emprunt ont été recueillis sur le marché intérieur en 2014. Les fonds levés sur les marchés de capitaux étaient destinés à être investis dans des projets d’infrastructure au Rwanda. Les obligations émises pour ces deux emprunts ont été sursouscrites parce que les obligations offraient un rendement élevé. Par ailleurs, le faible niveau de la dette extérieure du Rwanda ainsi que le succès de la transformation économique du pays rapporté par les medias rwandais et internationaux ont attiré les investisseurs. La capacité du Rwanda à lever des capitaux sur le marché international est en effet une grande réussite. Cependant, en cas de manque de prudence dans la gestion des emprunts accumulés pour investir dans le développement du Rwanda, ils pourraient être une bombe à retardement et non une solution durable pour le Rwanda. Dans le long terme, la collection de fonds par l’émission d’obligations augmente toujours le fardeau de la dette du pays, ce qui expose progressivement le Rwanda à des facteurs de risques externes tels que les récessions mondiales ou les crises financières ou de change. Sur base de l’annonce faite par les représentants officiels du Rwanda que le pays prévoit de lever jusqu’à 1 milliard de dollars US à travers une deuxième émission obligataire cette année, l’Economist Intelligence Unit a mis en garde dans son rapport de septembre 2014 qu’une émission obligataire de ce niveau, qui équivaut à 13% du PIB du pays, augmenterait considérablement le fardeau de la dette extérieure du Rwanda qui se situe actuellement à 25% du PIB. Depuis le début de l’année 2015, le Rwanda continue de lever des fonds sur le marché intérieur, sûrement pour se protéger contre le risque de change. Cependant ce sont toujours plus de dettes que le pays accumule, dettes qui devront être remboursés à un certain moment dans l’avenir. A moins de réaliser des progrès économiques rapides et interrompus qui permettent une augmentation des recettes fiscales et des produits en devises au Rwanda, les parties prenantes devraient rester prudents quant à la manière dont le pays respectera ses obligations sur l’argent emprunté. En effet, le Rwanda est exposé à des risques contentieux (voir la deuxième partie de l’article) qui l’empêchent de réaliser pleinement une transformation et un succès économiques solides.

La voie à suivre

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Il est expliqué ci-dessus les raisons pour lesquelles les parties prenantes doivent réfléchir sur la gestion et l’avenir des affaires économiques de Rwanda. En fait, la combinaison de la hausse de la population, qui devrait atteindre entre 15,4 millions et 16,9 millions d’habitants en 2032, les fortes pluies et températures élevées prévues avec un effet sur l’écosystème du Rwanda, vont intensifier la déforestation et l’érosion des sols dans un pays qui est déjà considéré comme parmi les plus densément peuplés d’Afrique sub-saharienne. La croissance démographique et l’impact du changement climatique diminueront la productivité agricole et affecteront d’autres secteurs liés au développement humain et à la croissance économique au Rwanda tels que la santé, l’éducation et l’infrastructure. Voilà pourquoi le Rwanda doit encore révolutionner la façon dont il gère ses affaires économiques s’il veut vraiment parvenir à un développement durable pour les générations à venir.

Cela devrait commencer par le développement d’un environnement économique plus efficace qui attire un secteur privé florissant capable de créer un taux décent d’emploi afin d’élever la capacité de mobilisation des recettes fiscales dans le pays. Le premier engagement des dirigeants en place et à venir doit être d’apporter des solutions aux problèmes les plus urgents qui empêchent le secteur privé de se développer dans le pays, comme indiqué dans la deuxième partie de cet article. Les risques internes sociaux et politiques ainsi que géopolitiques auxquels le Rwanda est exposé sont parmi les autres facteurs qui empêchent le pays d’attirer des investissements privés. Par conséquent ces risques devraient sérieusement être adressés. En outre, les finances publiques du Rwanda doivent être gérées avec prudence, en donnant la priorité aux projets SMART qui ont des impacts économiques solides et à long terme sur la majorité de la population vivant dans la zone rurale du Rwanda. Quant à la frénésie du Rwanda pour les emprunts sur les marchés de capitaux locaux et internationaux, rappelons les conseils de l’ancien président de la Banque africaine de développement, M. Donald Kaberuka, sur son compte Twitter : “La crise en Grèce est un rappel de la nécessité de préserver la stabilité macroéconomique durement gagnée en Afrique. Emprunter attentivement, dépenser sagement« .

[1] http://www.ulandssekretariatet.dk/sites/default/files/uploads/public/PDF/LMP/lmp_rwanda_2014_final_version.pdf

Écrit par Aimé Sindayigaya édité par Jules Niyibizi
Traduit de l’anglais par Gisèle Uwayezu
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