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Rwanda, de quelques commentaires sur le Référendum-plébiscite constitutionnel

Rwanda, de quelques commentaires sur le Référendum-plébiscite constitutionnel

Les Rwandais ont voté en masse, plus de 98%, les jeudi 17 et vendredi 18 décembre lors d’un référendum constitutionnel qui doit permettre au général Paul Kagame de se présenter pour un nouveau mandat de 7ans et potentiellement de diriger le Rwanda jusqu’en 2034. Que l’on souligne la violation du principe du caractère général que doit revêtir une norme de loi, que l’on remette en cause le bien-fondé de la procédure, l’indépendance du parlement, les citoyens ont « choisi » et le résultat est sans appel. Avec plus de 98% de voix favorables, Paul Kagame a écarté le dernier obstacle constitutionnel vers une présidence à vie.

La violation du caractère général et impersonnel de la règle de droit 

[Déssin de Saïd Michaël]

[Dessin de Saïd Michaël]

La règle de droit doit rester générale pour être appliquée sur tout le territoire national et pour tous les faits qui s’y produisent. Elle est également impersonnelle car elle vaut pour toutes les personnes qui se trouvent ou se trouveront dans une situation objectivement déterminée, et elle définit alors la conduite à tenir dans cette situation. Dans ce sens, elle n’est pas faite pour régler des cas particuliers connus a priori: elle est formulée en termes généraux et ne s’applique aux cas particuliers qu’a posteriori. Or, il s’avère que toute la procédure de la révision constitutionnelle au Rwanda n’a été enclenchée que pour régler un cas personnel, le cas Paul Kagame. La violation de ce grand principe suffit à elle seule pour délégitimer la procédure qui est en train de s’achever et dans laquelle la soumission du parlement à l’exécutif et la régression de la constitution rwandaise n’est plus à démontrer.
En effet, il est difficile de prétendre le contraire. Dans sa version précédente le fameux article 101 de la constitution rwandaise était libellé en ces termes on ne peut plus clairs : « Le Président de la République est élu pour un mandat de sept ans renouvelable une seule fois. En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux (2) mandats présidentiels ». La dégradation de ce texte l’a tourné en ceci : « Le Président de la République est élu pour un mandat de cinq (5) ans. Il peut être réélu une seule fois ». Le nouvel article 172 règle ensuite le cas personnel du général Paul Kagame et stipule que « Le Président de la République en exercice lors de l’entrée en vigueur de la présente Constitution continue à exercer le mandat pour lequel il a été élu. », avant de préciser : « Sans préjudice des dispositions de l’article 101 de la présente Constitution, compte tenu des pétitions présentées par le Peuple rwandais avant l’entrée en vigueur de la présente Constitution révisée, basées sur des défis sans précédent résultant du passé tragique qu’ a connu le Rwanda et la voie choisie pour les surmonter, les progrès déjà réalisés et le désir de poser une fondation solide pour le développement durable, un mandat Présidentiel de sept (7) ans est établi et prend effet à l’expiration du mandat visé à l’alinéa premier du présent article ».
Les deux changements majeurs concernent les nouveaux articles 101 et 172 qui autorisent potentiellement le général Kagame à se maintenir au pouvoir pendant 17 ans supplémentaires après les 23 ans qu’il aura fait en 2017 en tant que réel homme fort du pays depuis 1994. Le nouvel article 101 a abaissé la durée des mandats présidentiels de sept à cinq ans alors qu’un nouvel article 172 stipule que la réforme de cette constitution n’entrera en vigueur qu’après un nouveau septennat transitoire entre 2017 et 2024. Le président Paul Kagame y sera éligible, de même que légalement aux deux mandats suivants.

Le oui des Rwandais, comment le comprendre ?

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Rugunga (Kigali)


Alors que les changements des constitutions en vue de rester au pouvoir soulèvent des mécontentements dans d’autres pays de la région (Burundi, Ouganda, RD Congo), au Rwanda ce n’est pas le cas. Même l’opposition s’est limitée, jusqu’à maintenant, à faire des déclarations et à publier des communiqués. Aucune manifestation ne s’est organisée, même à l’extérieur du Rwanda, pour protester contre les manœuvres. Fatalisme ?
La faiblesse des institutions rwandaises ne se manifeste pas seulement au parlement. Le FPR, officiellement un parti politique, est une organisation militaire omniprésente qui occupe tout l’espace d’expression et tout le territoire national. La divergence n’est pas permise en son sein, et toute autorité publique rwandaise doit lui prêter allégeance. C’est cette même organisation qui a décidé de la date du référendum dans son congrès du 8 décembre. Il est évident qu’en réalité cette décision avait déjà été prise ailleurs. Où ? Seuls ceux qui fréquentent les hautes sphères du pouvoir peuvent le dire. 10 jours plus tard le peuple rwandais était appelé à se prononcer. Sur quoi ? Le texte des changements devant être opérés a été publié seulement la veille de la tenue du référendum, alors que la diaspora votait déjà. La question à laquelle il fallait répondre par oui ou par non était « Êtes-vous d’accord avec la Constitution de la République du Rwanda telle que révisée pendant l’année 2015 ? ». Les électeurs ont dit OUI sans avoir lu le texte. Pour eux, ils votaient pour que le Président Kagame continue à les gouverner, tout simplement.
Beaucoup ont fait le choix du OUI parce qu’ils étaient convaincus qu’il n’y avait personne d’autre pour les gouverner actuellement, d’autres parce que Kagame a « arrêté le génocide contre les Tutsi », d’autres parce qu’il a développé économiquement le pays, d’autres ont voté oui parce qu’ils croyaient qu’ils n’avaient aucun pouvoir sur ce qui se passe malgré que leur avis soit demandé, le jeu était déjà fait, les autres ont voulu se conformer à la volonté du régime par crainte.

La diaspora : les chiffres de la commission nationale des élections suscitent la polémique 

Récemment mis à jour1La diaspora rwandaise, loin de la réalité locale interne au Rwanda, ne s’est pas assez mobilisée malgré la présentation de chiffres très positifs par les représentations rwandaises à travers le monde. Le cas de la Belgique est illustratif. Selon Faustin Musare, chargé d’affaires à l’ambassade du Rwanda à Bruxelles, qui a accordé une interview à Théophile Kagabo en date du 18 décembre 2015: « sur la liste électorale envoyée par la Commission Nationale Electorale , il y a plus de 3000 personnes inscrites et en ordre pour voter« . Bien que le vote n’était pas obligatoire, et bien que le nombre exact de ressortissants rwandais en Belgique ne soit pas connu avec exactitude, d’après les chiffres diffusés par l’Ambassade seules 911 personnes ont voté et donc plus de 2000 n’ont pas répondu à cet appel. La participation fut donc de 30% à peu près.
Ce qui est étonnant est que les résultats publiés par la Commission nationale Electorale (NEC) au lendemain de l’élection et présentés comme finaux montrent que seules 1498 personnes (35,978 votants sur 37,476 appelés à voter) inscrites sur les listes de la diaspora (dans le monde entier) n’ont pas voté. Pourtant le cas de la Belgique à lui seul compterait d’après l’Ambassade plus de 2000 personnes inscrites sur les listes qui n’ont pas rempli leur devoir de citoyen.
Alors que certains observateurs avisés commençaient à faire remarquer l’incohérence des chiffres donnés par l’ambassade du Rwanda en Belgique et ceux donnés par la Commission Nationale Electorale, coup de théâtre, le 21 décembre au soir, de nouveaux résultats sont publiés sur le site de la NEC. Les nouveaux résultats sont identiques en tout point à ceux du 19 décembre sauf en ce qui concerne la diaspora, qui cette fois ne compte plus 1498 personnes qui ne seraient pas venues voter mais plutôt 17,343 (20,133 votants sur 37,476 appelés à voter). La stupéfaction fut grande pour beaucoup d’observateurs qui ne s’expliquaient pas une telle différence à deux jours d’intervalle. Ni la NEC ni le Ministère de l’Administration locale n’ont communiqué pour expliquer la différence majeure entre les deux chiffres. Certains ne manqueront pas d’y voir une nouvelle « technication » (terme utilisé au Rwanda) des résultats de la part du régime, autrement dit une nouvelle manipulation des résultats en faveur du pouvoir en place.
Environ 100.000 Rwandais ont osé dire NON
Ce fait mérite d’être mis en évidence. Malgré l’absence de campagne qui aurait pu permettre l’affrontement des arguments, 1,6 % des votants (environ 100 000 Rwandais sur les 6 millions d’électeurs) ont osé dire non à la continuation de Paul Kagame en tant que président du Rwanda après 2017. Alors que ceux qui ont voté oui le disent ostensiblement, très rares sont ceux qui ont voté non qui oseraient le dire. Car ils sont vus comme les ennemis du régime, voire du Rwanda selon la rhétorique gouvernementale. La divergence des idées politiques est interdite au Rwanda, tout le monde peut penser ce qu’il veut mais doit exprimer ce que le FPR veut, ce que ses idéologues veulent, ce qui plait au chef suprême de l’armée. Dire non dans ces circonstances relève d’un courage exceptionnel.

Un référendum sans suspens

Le FPR et ses satellites ont recueillis 98% des voix lors de la dernière élections législative.

Le FPR et ses satellites ont recueillis 98% des voix lors de la dernière élections législative.


Ainsi ce référendum n’avait rien d’étonnant quant aux résultats qui étaient attendus. Sa portée fût symbolique : le pouvoir est dans les mains du peuple souverain du Rwanda. Souverain comme son parlement l’est, avec ses membres nommés par le FPR, car, faut-il le rappeler, personne ne devient parlementaire au Rwanda sans la volonté du FPR. L’on devient représentant du peuple après que l’on ait été choisi par le parti au pouvoir, et ce quelle que soit l’appartenance politique, car en effet tous les partis de la mouvance sont contrôlés par le tout puissant FPR. Il était certain que le oui devait l’emporter largement. La révision est présentée comme une initiative populaire par les autorités, 3,7 millions de Rwandais ayant « spontanément » demandé par pétition le maintien au pouvoir de Paul Kagame après l’expiration son mandat, en 2017. Les mêmes qui avaient voté pour l’article 101 en 2003 !
La question des dirigeants qui s’accrochent au pouvoir après la fin de leurs mandats provoque des tumultes, voire des révolutions en Afrique. Monsieur Kagame s’ajoute à la liste, mais à la différence des autres, il le fait dans un pays encore traumatisé, où la peur règne en maîtresse, rivale des textes écrits, et où personne n’ose prononcer le nom Kagame pour critiquer son pouvoir, ne parlons même pas de descendre dans la rue pour protester. Tandis que le Burundi se déchire après le passage forcé de Pierre Nkurunziza, au moment où la situation reste tendue dans les deux Congo de Joseph Kabila et de Sassou Nguessou comme dans l’Ouganda de Yoweli Kaguta Museveni, les Rwandais sont bien encadrés pour s’accorder avec leur gouvernement militaire, de gré ou de peur.

Le référendum est fini, il n’y avait aucun suspens, le oui l’a largement emporté. Les assoiffés de la liberté le sont encore plus.

Emmanuel Hakuzwimana

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