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Lettre ouverte de Jean-Baptiste Mugimba au ministre néerlandais de la Justice

Lettre ouverte de Jean-Baptiste Mugimba au ministre néerlandais de la Justice

 Jean-Baptiste Mugimba a fait parvenir à la rédaction de Jambonews une lettre ouverte adressée au Ministre de la sécurité et de la justice du Royaume des Pays-bas, Gerard Adriaan « Ard » van der Steur, concernant son dossier juridique. Jean-Baptiste Mugimba est un réfugié rwandais installé au Pays-bas depuis plus de 15 ans. Il est connu comme ancien leader du parti politique Coalition Démocratique Rwandais (CDR). Il est accusé par le régime rwandais d’avoir pris part au génocide des Tutsis en 1994 au Rwanda.
J.B. MugimbaLe 5 juillet dernier, la cour néerlandaise a statué en faveur de la requête d’extradition déposée par la justice rwandaise concernant les cas de Jean Baptiste Mugimba et de Jean Claude Iyamuremye. La cour d’appel de La Haye a renversé la décision rendue par le tribunal du district de La Haye en novembre 2015 qui statuait contre l’extradition des deux réfugiés rwandais. Dans son jugement du 5 juillet dernier, à la surprise générale, la cour d’appel a donc ordonné que les deux réfugiés rwandais soient extradés au Rwanda pour leur procès.
Jean Baptiste Mugimba était le secrétaire général du CDR et est accusé par le régime rwandais d’avoir participé aux massacres de Tutsis à Nyakabanda (Kigali) alors que Jean Claude Iyamuremye est lui accusé d’avoir participer à l’extermination de plus de 3.000 Tutsis qui avaient cherché refuge à l’Ecole Technique Officielle de Kicukiro (Kigali). Tous deux sont accusés de crimes de génocide et crimes contre l’humanité par le régime rwandais, accusations que Mugimba réfute catégoriquement et que l’enquête préliminaire n’a pas confirmées.
La justice rwandaise et la justice néerlandaise se sont fortement rapprochées ces dernières années. Les Pays-Bas ont même financé la modernisation et la mise à niveau de la justice rwandaise. Néanmoins, cette dernière continue d’être régulièrement pointée du doigt par les acteurs de la société civile rwandaise et par les organisations des Droits de l’Homme internationales pour son manque criant d’impartialité.
Face à cette décision vécue comme une réelle injustice par la famille Mugimba et par la communauté rwandaise au Pays-Bas, Jean-Baptiste Mugimba a souhaité s’exprimer par l’intermédiaire d’une lettre ouverte qu’il a fait parvenir à la rédaction de Jambonews.net.
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Monsieur le Ministre,
 
Dans son arrêt du 5 juillet, la cour de la Haye a annulé la décision du 27 Novembre du Juge de prévention qui avait interdit mon extradition vers le Rwanda.
Il est frappant de voir que les deux instances judiciaires dans l’arrêt et dans le jugement se basent sur les observations de Mr M.R. Witteveen, conseiller néerlandais auprès du parquet nationale publique au Rwanda mais qu’elles arrivent à des conclusions différentes. Il est difficile de comprendre comment deux conclusions d’une même affaire dans un même tribunal sur les mêmes faits et dans les mêmes circonstances soient pour l’une le non-lieu, pour l’autre l’emprisonnement à vie.
En revenant sur les conclusions qui apparaissent dans l’arrêt du 5 Juillet 2016, t.w R.O.4.9 et 4.10, le tribunal conclut que les déclarations de Mugimba sur la position de l’Etat hollandais étaient des spéculations.
Mais cela n’est pas vrai (ce ne sont pas des spéculations) car je parle des faits avec d’authentiques preuves sur l’Etat néerlandais sur, l’ambassade des Pays-Bas au Rwanda et sur les éléments découlant des procès prononcés au Rwanda. Le tribunal dans sa séance du 6 juin n’a posé aucune question sur les arguments avancés au tribunal de première instance et pourtant elle a pris la décision en R.0.4.9 et 4.10, alors que la procédure de rapatriement n’offre aucune chance pour des investigations approfondies.
Cela s’est aussi produit dans l’examen de mon dossier auprès du service aux étrangers qui n’a pas voulu examiner les arguments que je présentais. La chambre des étrangers a indiqué que la procédure est arrêtée parce que je refusais de donner l’autorisation pour que mes propos et mes preuves soient discutés lors d’une séance à huis clos entre la chambre des étrangers et le Ministre de la Justice sans ma présence.
Dans la loi néerlandaise, on recourt à une investigation indépendante dans des situations non claires pour chercher la vérité. Les résultats sont acceptés de tous. Ainsi en politique, les autorités sont punies s’il apparait que les affaires n’ont pas été traitées comme cela se devait.
Ci-après, ma version des faits :
L’état néerlandais a, en 2011, mené une investigation sur ma présumée participation au génocide qui a eu lieu au Rwanda. Le 27 septembre 2011, l’investigateur (désigné ici par Personne de confiance3 ou VP3) a présenté ses résultats. Ceux-ci se trouvent dans le résumé « Production 1 » de la lettre du 3 Mai 2012, que l’ambassade des Pays-Bas au Rwanda a envoyée et dans laquelle on peut lire ce qui suit :
« L’information ci-dessous est un complément au courrier rapport vous envoyé le 27 septembre 2011. »
« Aux dates du 6 février, 21 février et 6 mars 2012, vous avez demandé à VP3 d’ajuster certaines choses mais malgré ses promesses, son rapport ne donne pas de résultat satisfaisant. »
Dans l’e-mail de l’ambassade des Pays-Bas au Rwanda du 3 mai 2012, il est apparu qu’il n’y avait aucune accusation de génocide me concernant. Il est dit en effet que :
« Cette information (aussi appelée allégations de génocide) obtenue par le témoin » 2 » n’apparait nulle part dans le rapport du VP3. »
Mais ce rapport me concernant (et en ma faveur) a été gardé top secret et reste introuvable jusqu ’à présent. Les Pays-Bas se sont crus obligés d’ouvrir une deuxième investigation indépendante sur mon cas (les précédentes investigations n’ayant pas conduit aux résultats escomptés). On engagea alors un autre investigateur.
Le deuxième investigateur (VP4) a déposé son rapport d’enquête sur mon cas le 7. Dans ce rapport, on lit ceci :
« Le nom de Mugimba n’apparait nulle part dans le tribunal Gacaca de Nyakabanda », quartier où j’ai vécu par le passé. Dans ce rapport, il apparait que les autorités de Gacaca de Nyakabanda ont été interrogées sur ce cas. Et même les noms des personnes qui ont donné les informations y apparaissent. »
Donc les deux missions d’investigations initiées par l’état hollandais montrent que je suis innocent. Le rapport de cette 2e investigation a aussi été tenu secret, ce qui fait qu’encore une fois, les normes et valeurs des Pays-Bas ont été bafouées.
Heureusement que nous avons pu nous procurer ce deuxième rapport grâce à nos investigateurs au Rwanda. Nous avons posé des questions sur ce rapport mais les juges restent sur leurs positions : ils disent que l’affaire doit être traitée au Rwanda, qu’ils ne veulent pas examiner le contenu dudit rapport ici en Hollande.
Le 27 avril 2012, le ministère public néerlandais a envoyé une lettre aux autorités rwandaises sur les informations à utiliser dans l’affaire Mugimba. Quelques jours après, soit le 3 mai 2012, le premier investigateur VP3, celui ayant déjà enquêté en 2011, emmena subitement un autre rapport d’investigation me concernant à l’ambassade des Pays-Bas au Rwanda.
Ce rapport est étrange. Il s’agit du rapport de 2011 qui n’avait rien contre moi qui a été ajusté pour m’accabler. Le véritable rapport de 2011 est resté dans les tiroirs de l’ambassade des Pays-Bas au Rwanda et on envoya alors le rapport ajusté.
Une phrase choquante apparait dans le message de l’ambassade sur l’envoi du rapport de 2011 ajusté :
« VP3 a emmené encore un rapport sur les questions que vous avez posées, après que les promesses antérieures pour ajustements du dit rapport n’aient pas pu déboucher sur des résultats salvateurs»
Cette déclaration montre donc que l’ambassade, qui avait demandé à VP3 d’améliorer son rapport, ne comprend pas pourquoi il est cette fois-ci prêt à corriger son rapport.
Vraisemblablement l’ambassade n’avait pas été informée du contenu de la lettre du 27 Avril 2012. Je ne peux, en effet, qu’ainsi conclure car pourquoi les Pays-Bas veulent que ce rapport d’investigation soit revu par VP3 au moment même où une 2e investigation est en cours sur moi, à savoir l’investigation par VP4 ?
L’état néerlandais a par après traduit en néerlandais les résultats salvateurs du deuxième rapport de VP3 et ceci est finalement devenu le rapport officiel sur Mugimba.
La seule preuve et source d’information étant tirée d’une annonce dans un journal sur la vente de ma maison au Rwanda. Or la vente de ma maison n’était pas liée au génocide, comme le disent VP3 et le temoin2, mais plutôt à un complot de vol dont je fus victime.
Les allégations de génocide des points 1 et 2 du ‘individueel ambtsbericht[i]’ sur Mugimba auraient été traitées dans le tribunal de Nyarugunga le 31 décembre 2010 selon le temoin2. En réalité, personne des services de l’Etat néerlandais n’a jamais vu ce jugement de ce tribunal dont il est question, et pourtant c’est la base dont on se sert aveuglément pour m’extrader vers le Rwanda.
J’ai bien démontré (voir Jugement dans l’affaire du 31/ 12/ 2010) que cette affaire ne concerne pas le génocide et il est donc incompréhensible que l’Etat néerlandais utilise faussement ces données en guise de résultats salvateurs (tant recherchés dans ce dossier).
En juin 2012, l’ambassade des Pays-Bas au Rwanda a, de nouveau, essayé de bloquer le rapport officiel.
Nous avons également fait valoir que l’arrêt de la juridiction Gacaca de Nyarugenge du 31 Décembre 2010 n’est pas la seule preuve dans le cas du Rwanda. Il faut, en effet, également tenir compte des échanges de mails du 3 mai 2012 entre l’ambassade néerlandaise au Rwanda et les Pays-Bas.
En plus, le parquet général au Rwanda a fait aussi son enquête et ses résultats furent rendus publics le 25 juillet 2012.
La jugement ci-dessus concernait la vente de ma maison suite à un complot pour fausses accusations de vol. Heureusement, un témoin a, lors de l’audition du 31/12/2010, retiré ses accusations qu’il avait été forcé à aller raconter. Il lui a, d’ailleurs, été infligé une peine d’emprisonnement le 21/02/2013.
En résumé : l’affaire du 31/12/2010 et la procédure d’extradition au Rwanda dévoile deux facettes du parquet général du Rwanda et du tribunal de Nyarugenge, deux institutions cruciales dans le système judiciaire du Rwanda. D’un côté, une enquête est faite et conclut que Mugimba est victime de fausses accusations et le vendeur des faux témoignages est emprisonné pour fausses déclarations. De l’autre côté, le parquet général du Rwanda (c’est lui qui a demandé aux Pays-Bas mon extradition) et la cours de la Haye, ont utilisé la même affaire du 31/12/2010 pour m’inculper, et je deviens une deuxième fois victime car suite à cela, je suis détenu depuis le 23/01/2014 à Almere.
La demande d’extradition fut envoyée aux Pays-Bas le 22/11/ 2012 en réponse à la lettre du 27 avril 2012 que le ministère public néerlandais avait envoyé au Rwanda selon les dires du ministère public lui-même (voir point 11 de la plaidoirie du ministère public du 23 juin 2014 devant la chambre d’extradition)
Le ministère public poursuit en indiquant qu’avant le 27 avril 2012, le Rwanda ne savait pas dans quel pays se trouvait Mugimba. Ici, le ministère public a voulu embrouiller les juges car cela est faux étant donné que le service d’immigration rwandais m’avait accordé à deux reprises un passeport rwandais.
Vraisemblablement, avant le 27/04/2012, le Rwanda n’avait rien contre moi. Et de fait ils étaient en effet au courant du jugement ICTR-99-52-A du Tribunal pénal international sur le Rwanda (TPIR) dans lequel on peut lire ce qui suit:
“881: The Chamber recognizes that a political party and its leadership cannot be held accountable for all acts committed by party members or other affiliated to the party. A political party is unlike a government, military or corporate structure in that its members are not bound through professional affiliation or in an employment capacity to be governed by the decision-making body of the party. Nevertheless, the Chamber considers that to the extent that members of a political party act in accordance with the dictates of that party, or otherwise under its instruction, those issuing such dictates or instruction can and should be held accountable for their implementation. In this case, CDR party members and lmpuzamugambi were following the lead of the party, and of Barayagwiza himself, who was at meetings, at demonstrations, and at roadblocks, Where CDR members and Impuzamugambi were marshalled into action by party officials, including Barayagwiza or under his authority as leader of the party. In these circumstances, the Chamber holds that Barayagwiza was responsible for the activities of CDR members and Impuzamugambi, to the extent that such activities were initiated by or undertaken in accordance with his direction as leader other CDR part”.
“882: In particular, as noted by the Trial Chamber, the leaders of a political party « cannot be held accountable for all acts committed by party members or others affiliated to the party.. .? Although the Appellant doubtless exerted substantial influence over CDR militants and Impuzamugambi, that is insufficient – absent other evidence of control – to conclude that he had the material capacity to prevent or punish the commission of crimes by all CDR militants and Impuzamugambi.”
Le tribunal du Rwanda a mené des enquêtes et a conclu que les deux dirigeants (Barayagwiza et Ngezi) du parti politique CDR sont responsables mais que le comité de gestion du parti ne peut pas être responsable des actes commis par ses membres. Par son écrit du 27 Avril 2012, le ministère public des Pays-Bas offrit aux autorités du Rwanda plus d’arguments pour presser un opposant politique, qui de plus était membre d’un parti mal coté, le CDR, et de neutraliser le jugement du tribunal pénal international sur le Rwanda.
Enfin, dans cette demande d’extradition, on retrouve les noms des victimes de génocide dans Nyakabanda. L’enquêteur VP4 a fait une deuxième enquête en visitant les familles des victimes pour voir si Mugimba est responsable de leur mort. Dans son rapport l’enquêteur VP4 indique avoir été surpris de constater que personne ne pouvait m’accuser de la mort des siens ou de ses proches et que mon nom ne figure nulle part dans les gacaca. Ils ont même dit être prêts à donner les vrais noms de ceux qui ont tué les leurs et à dire comment cela s’est passé.
Mes déclarations sur la position de l’Etat hollandais ne sont donc pas des spéculations mais c’est la pure réalité contre laquelle je ne peux rien faire actuellement si ce n’est d’en encaisser les conséquences.
Le ministère public a sollicité cette demande d’extradition pour éviter que mon affaire ne soit traitée ici aux Pays-Bas, étant donné que les proches des victimes qui nous ont donné leurs témoignages en confiance ne pourront pas répéter devant un tribunal rwandais ce qu’ils ont dit. De même les proches et les autorités judiciaires de mon ancien quartier (voir rapport VP4 de 2012 Production 3) comme dans les enquêtes déjà menées, ne peuvent et ne pourront déposer leur témoignage dans une affaire de génocide, et cela les Pays-Bas et le ministre de la justice le savent.
Ma question est de savoir si l’ambassade des Pays-Bas au Rwanda est prête à venir témoigner dans mon affaire étant donné qu’ils ont en leur possession tous les éléments fabriqués de toutes pièces.
La presse et d’autres publications sur la Rwanda, notamment celles d’Amnesty International et de Human Rights Watch, montrent que la réalité au Rwanda est toute autre que ce qui en est présenté officiellement.
Je sais que l’Etat a le droit de déclarer « persona non grata » un étranger indésirable mais cela ne devrait pas se faire au détriment des normes et valeurs de ce pays. Les normes et valeurs des Pays-Bas ne doivent pas être bafoués avec pour but d’obtenir un résultat salvateur et laisser disparaitre un présumé, que toutes les enquêtes réhabilitent, tout simplement parce qu’il est sans importance face aux intérêts du pays.
Ma conviction est que si vous, Ministre de la justice, vous aviez été au courant du contenu de toutes les enquêtes menées par les Pays-Bas et du contenu de la lettre du 27 avril 2012, vous auriez pris une autre décision dans l’affaire Mugimba, notamment l’opposition à l’extradition jusqu’à ce que il soit établi si je suis responsable ou non des actes dont je suis accusé. Je suis victime d’un complot politique dans lequel les accusations portées contre moi ne sont que des mises en scènes et j’en ai les preuves.
Depuis le début, nous avons montré qu’il n y a aucune raison d’essayer de contourner le vrai problème en disant que les enquêtes ont été menées dans le cadre du traitement de mon dossier au service aux étrangers et non dans le cadre de la procédure d’extradition. L’essentiel de cette enquête est d’étoffer les éléments de la procédure de mon extradition.
Mes probables derniers mots en Hollande sont :
J’ai choisi de m’exprimer par lettre ouverte parce que l’arrêt de la cours de la Haye est aussi public et est sur internet. Bien plus, je n’ai rien à cacher parce que je suis à 100% innocent.
Au Rwanda, je n’aurai pas un procès équitable étant donné que je suis un opposant politique au régime actuel. Aussi, je trouve que la population néerlandaise (y compris mes amis néerlandais qui ont toujours crû que je ne serais pas extradé avec un cas comme le mien dans lequel beaucoup de fautes ont été faites) ont le droit de savoir la réalité dans cette affaire afin qu’ils puissent eux-mêmes juger si les Pays-Bas sont un pays de paix et de droit.
Sincèrement,
Jean-Baptiste Mugimba
Cc:

  • Mark Lutte, Minister-President,
  • Le ministre des Affaires Etrangères , Mr Koenders
  • La Deuxième Chambre du Parlement
  • La Cour de la Haye
  • Amnesty International
  • Journaux et Televisions
  • Mon avocat Bart Stapert
  • Mr C.M. Bitter et A. Th. M. ten Broeke
  • Nationale ombudsman
  • Les media sociaux
  • Le bourgmestre de Leusden
  • Coorn Hert Liga

 
[i] Aux Pays-Bas, « een algemeen ambtsbericht », est un rapport du ministre des affaires étrangères au ministre chargé des Etrangers et de l’Intégration donnant des informations sur la situation dans le pays d’origine d’un demandeur d’asile

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