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Et s’il suffisait de vaincre la peur ?

Et s’il suffisait de vaincre la peur ?

Article d’opinion soumis pour publication par Jean-Valery Turatsinze
« Plus ils ont peur, plus elle devient puissante » disait d’une voix grave le « Sage de la montagne » au petit Kirikou, héros du célèbre film d’animation de Michel Ocelot. « Ils », c’étaient les gens du village, qui vivaient sous la terreur de la « très puissante » sorcière Karaba. La peur. Un sentiment assez complexe. Elle existe à tout âge, au plus profond de chaque individu et dans n’importe quelles circonstances, à une échelle individuelle ou collective. Elle peut changer le cours d’une vie individuelle ou le cours de l’Histoire ! La peur. On pourrait la définir comme une émotion ressentie généralement en présence ou dans la perspective d’un danger ou d’une menace réels ou imaginés [1]. Elle est une conséquence de l’analyse du danger et permet au sujet de fuir ce danger ou de le combattre. La dynamique de la peur joue un rôle central dans pratiquement tous les domaines qui supposent la confrontation entre plusieurs protagonistes, que ce soit dans le sport, en politique, dans des guerres ou même sur les marchés financiers. La dynamique de la peur a changé l’issue des batailles les plus célèbres et a précipité la défaite des armées les plus puissantes à travers l’histoire de l’humanité. La plupart des crashs financiers qui jalonnent l’Histoire, aux effets parfois les plus dévastateurs, sont entrainés par cette même dynamique de la peur. De plus, c’est un outil constant, mais aussi extrêmement puissant de toutes les dictatures et de tous les systèmes répressifs : la création et le maintien d’un sentiment de peur parmi la population.

Il n’y a que par la peur qu’un seul homme peut maintenir tout un peuple sous l’oppression.

Il n’y a que par la peur qu’un seul homme peut maintenir tout un peuple sous l’oppression.


J’aimerais apporter quelques réflexions sur ce dernier point par rapport à quelques évènements qui se sont passés au Rwanda ces derniers temps. Ces dernières années nous avons assisté à la chute des régimes réputés parmi les plus répressifs du continent africain et ce, souvent, de façon inattendue. Nous avons ainsi vu s’enfuir les présidents tunisien, égyptien et burkinabé. Le point commun entre tous ces changements peut se résumer au changement de la « dynamique de la peur ». Il s’agissait de régimes craints et redoutés, établis depuis plusieurs décennies, reposant, comme tous les systèmes oppressifs, sur un puissant sentiment de peur parmi la population. Mais dès que ce sentiment a disparu, en quelques jours seulement, la peur a littéralement changé de camp et nous avons vu des armées qui ont eu peur de tirer sur la population, des chefs d’états qui ont eu peur et qui ont fui une population qui, elle, n’avait plus peur d’eux. Ça paraît presque trop simple !
Et finalement, s’il suffisait de vaincre la peur ?
Etant un observateur attentif de ce qui se passe au Rwanda, j’y observe la même dynamique. C’est un pays avec un système politique et militaire très oppressif et qui, comme tous les régimes de ce genre, est bâti sur un fort sentiment de peur parmi la population. Mais comme tous ces autres systèmes, le moindre changement dans la dynamique de la peur est susceptible de faire s’effondrer tout l’édifice. Depuis maintenant plus de 20 ans, l’espace politique de ce petit pays d’Afrique centrale est fermé à toute voix discordante, c’est à dire qui n’est pas totalement d’accord avec la ligne tracée et la volonté du Président. Par le passé, journalistes, activistes, hommes politiques ont payé, de leur vie pour la plupart, pour avoir juste osé exprimer une opinion différente de celle de l’Etat. Les prisons sont toujours remplies de personnes dont le seul crime est de penser différemment. Et tout le monde a peur. Plus exactement tout le monde avait peur jusqu’à ce que certains décident de ne plus avoir peur.
Victoire Ingabire. La victoire sur la peur. Menottée mais très combative et libre dans sa tête et son esprit.

Victoire Ingabire. La victoire sur la peur. Menottée mais très combative et libre dans sa tête et son esprit.


C’est le cas d’une incroyable dame, Victoire Ingabire, qui, il y a sept ans, a vaincu cette peur qui tétanisait tout un peuple pour aller poser des questions sur place. Arrivée à l’aéroport de Kigali, parmi ses premiers mots elle disait : « Il faut que les gens arrêtent d’avoir peur. » Ce fut l’onde de choc.  Pour un système reposant sur la peur de la population, cette déclaration est une attaque pire qu’une armée combattante. Si les gens n’ont plus peur, c’est la fin, c’est l’effondrement. Ainsi, sans peur, elle a posé des questions que personne jusque-là, par peur, n’avait jamais osé poser sur le sol rwandais, notamment sur la justice. Pour éviter la contagion, synonyme de fin, il fallait la faire taire et elle fut emprisonnée et condamnée à 15 ans de prison. Mais malgré toutes les manœuvres, personnes ne réussit à la faire taire. Elle continue de faire peur. Ainsi, pris de peur suite à son recours devant la cour africaine de justice, le gouvernement rwandais s’est retiré de cette juridiction, pour éviter de devoir l’affronter dans un procès ouvert et surtout pour éviter d’être mis devant ses propres contradictions et ses peurs. Par la suite le même gouvernement est revenu sur sa décision de se retirer de cette cour. Nous devrions assister donc dans les mois à venir à un réexamen du procès qui a eu lieu à Kigali, à priori dans un environnement propice au débat. Entretemps, toujours sans peur, de sa cellule de prison, elle a publié un livre [2] où elle met à nu le système judiciaire rwandais qui l’a jugée et condamnée dans un procès de type stalinien.
Il n’y a pas d’arme plus puissante que la victoire sur la peur. L’ancien président américain Franklin Roosevelt disait que « la seule chose dont nous devons avoir peur, c’est la peur elle-même».
Plus récemment, un autre cas très intéressant, et peut être encore plus révélateur, survenu à l’aéroport Jomo Kenyatta de Nairobi fin novembre 2016, a connu un épilogue complètement différent, relativement à l’abri des caméras des médias internationaux. Quatre citoyens rwandais, l’Abbé Thomas Nahimana et ses accompagnateurs, dont le plus jeune était un bébé de dix mois voulaient   rentrer au Rwanda. Ils partaient en hommes et femmes libres pour s’exprimer et avoir droit à la parole. Mais, pris de peur, le gouvernement rwandais a vu dans cette démarche une nouvelle « agression », encore plus redoutable. Des gens qui n’ont pas peur et … un bébé de 10 mois ! La réaction fut  immédiate mais surtout révélatrice de cet état de panique. Il fut été décidé que le bébé, sa maman et leurs compagnons de route ne pouvaient tout simplement pas rentrer au Rwanda ! Malgré une nouvelle tentative de la délégation menée par l’Abbé Nahimana de pouvoir rentrer au Rwanda en Janvier 2017, la réaction de Kigali fut la même. Un régime basé sur la peur n’a absolument aucune arme contre des gens qui n’ont plus peur.
Arrêtons-nous un peu sur cet évènement et sur cette réaction. Pour un régime qui clame haut et fort que la nationalité rwandaise constitue à elle seule un droit d’entrée, un laissez-passer pour le Rwanda ne nécessitant ni passeport ni visa, il est très étonnant de bloquer des citoyens rwandais à l’extérieur des frontières. Durant plus de deux décennies, ce même gouvernement a clamé haut et fort que le pays était ouvert et accessible à tous ceux qui vivent à l’extérieur, même ceux qui l’ont fui ! Mais ça, c’était avant. C’était aussi longtemps que les gens avaient peur ! Que personne ne posait de questions. Après Victoire Ingabire, qu’ils n’ont jamais réussi à dompter, quand Thomas Nahimana a bravé toutes les intimidations quant à son arrestation et emprisonnement possibles une fois au Rwanda et qu’il a voulu rentrer malgré tout, ça a dû être la panique. La panique car habituellement, le gouvernement est prompt à réagir publiquement au moindre évènement, mais a préféré garder un silence assourdissant cette fois-ci. Un silence surtout révélateur. La très active ministre des affaires étrangères et le très remuant ambassadeur du Rwanda à Bruxelles, tous deux adeptes des réseaux sociaux et toujours prompts à réagir à vif sur tout sujet qui concerne de près ou de loin le Rwanda, ont disparu des radars médiatiques  à ce moment. A ce jour,  ni l’une ni l’autre n’ont encore commenté cet embarrassant épisode malgré de nombreux appels à réagir. Quelques semaines plus tard seulement, le président Paul Kagame lui-même commentait enfin, disant qu’il ne comprenait pas pourquoi on n’avait pas laissé ces gens entrer au Rwanda. Et c’est tout. Une aussi grande entorse à la politique d’ouverture et d’accueil clamée haut et fort depuis plus de vingt et il se contente de « ne pas comprendre ». Entretemps le seul moyen que le pouvoir de Kigali a trouvé pour chasser ces gens indésirables car n’ayant plus peur, a été de discrètement faire pression sur le gouvernement kenyan pour qu’il les expulse .
Thomas Nahimana et ses compagnons de route. Des visages dépourvus de peur et prêts à affronter tous les obstacles.

Thomas Nahimana et ses compagnons de route. Des visages dépourvus de peur et prêts à affronter tous les obstacles.


Et si avec cet épisode c’était en réalité la dynamique de la peur qui était en train de changer ? Qu’avaient ce bébé, sa maman et leurs compagnons de voyage pour effrayer autant un régime aussi « redoutable » que celui de Kigali ? Une seule arme. Ils ont juste vaincu la peur. Et comme je l’ai évoqué plus haut, cette victoire sur la peur est l’arme la plus redoutable de tous les combats et de toutes les batailles contre un tel régime. Quand le peuple n’a plus peur, le système s’effondre de lui-même. Et c’est ce qui arrivera. Comme en Tunisie, comme au Burkina Faso, comme en Egypte. Mais le peuple, c’est plusieurs individus, et généralement tout commence par un, puis deux, puis trois, et puis c’est la contagion. C’est cette contagion qui est tant redoutée par les systèmes oppressifs comme celui de Kigali. Les régimes répressifs n’ont pas grand-chose à opposer et n’ont aucune solution face à  des gens qui ont vaincu la peur comme Victoire Ingabire,  les « quatre de Nairobi », ou les centaines d’activistes à l’intérieur du Rwanda, en prison ou pas. Ce ne sont ni les menottes, ni les menaces de mort ou d’emprisonnement qui vont stopper cette dynamique. Car la victoire sur la peur est un phénomène irréversible, d’autant plus quand il s’agit d’un combat pour la justice, la paix et la liberté. Un combat contre l’oppression.
Alors, s’il suffisait vraiment de vaincre la peur ?
Comme le dirait alors le grand-père du petit Kirikou, le Vieux Sage de la montagne qui avait bien compris que la sorcière n’avait en réalité aucun pouvoir si ce n’est par la peur des gens, « plus la dictature a peur, plus le peuple devient puissant ». Il faut noter que dans ce conte, la sorcière qui connaissait l’existence du Vieux Sage, faisait absolument tout pour empêcher les gens de communiquer avec lui. Il ne fallait pas que les gens sachent car ça aurait été synonyme de libération, de fin. C’est à mon avis cette même dynamique qui est à l’œuvre au Rwanda. Et on peut difficilement l’arrêter.
Jean-Valery Turatsinze
www.jambonews.net
 
 
References:
[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Peur
[2] Entre les 4 murs du 1930. Par Victoire Ingabire Umuhoza
 
 

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