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Rwanda – juillet 1994 : que sont devenus les « Hommes d’union nationale »? (2ème partie)

Rwanda – juillet 1994 : que sont devenus les « Hommes d’union nationale »? (2ème partie)

Deuxième partie : le lieutenant-colonel Alexis Kanyarengwe, vice-Premier ministre, ministre de la Fonction publique et président du FPR [1]

Dans l’ordre de gauche à droite : Asiel Kabera (Préfet de Kibuye), Théogène Rudasingwa (secrétaire général du FPR), Rose Kabuye (Préfet de Kigali), Aloysia Inyumba (Ministre de la famille), Kayumba Nyamwasa (chef d’Etat-major), Alexis Kanyarengwe (Vice-premier Ministre et Président du FPR), Laurent Munyakazi (chef de Brigade), Patrick Mazimpaka (Ministre de la Jeunesse), Paul Kagame (Ministre de la Défense et vice-Président), Pasteur Bizimungu (Président de la république), Joseph Sebarenzi (Président du Parlement (investi en 1997), Faustin Twagiramungu (Premier Ministre), Seth Sendashonga (Ministre de l’intérieur), Jean Mutsinzi (Président de la Cour suprême) , Jacques Bihozagara (Ministre de la Réhabilitation), Charles Ntakirutinka (Ministre des travaux publics), Alphonse Marie Nkubito (Ministre de la justice), Emmanuel Habyarimana (Secrétaire d’Etat à la Défense), Augustin Cyiza (Président de la Cour de Cassation), Protais Musoni (Préfet de Kibungo)


Né en 1938 dans la préfecture de Ruhengeri, le lieutenant-colonel Alexis Kanyarengwe était un officier rwandais qui avait occupé les fonctions de directeur de la Sûreté nationale puis de recteur au séminaire de Nyundo sous la première république dirigée par le président Grégoire Kayibanda.
En février 1972, la Sûreté nationale qu’il dirige est pointée du doigt par certains auteurs[2][3], comme étant derrière les « Comités de salut public », un mouvement populaire qui, en réaction à un afflux massif de réfugiés hutus fuyant le génocide commis contre eux quelques mois plus tôt au Burundi[4], a affiché dans les institutions d’enseignement secondaire et supérieur du Rwanda, des listes d’élèves « pratiquement tous tutsis » priés de « déguerpir », « faute de quoi des « commandos » de l’école en question ou d’une école voisine s’occuperaient d’eux.[5] Touchant initialement les écoles, le mouvement s’était rapidement étendu à la fonction publique, aux sociétés ainsi qu’au monde rural, toujours selon le même procédé de listes.[6] Au cours de ces épisodes, «un bon nombre de tutsis furent tués » et beaucoup d’entre eux durent quitter leurs emplois ou leurs écoles pour trouver refuge à l’étranger[7], ce qui avait considérablement affaibli le président Kayibanda.
Quelques mois plus tard, le lieutenant-colonel Kanyarengwe fait partie des « camarades du 5 juillet », un groupe d’officiers qui sous la houlette de Juvénal Habyarimana mène un coup d’Etat le 5 juillet 1973 et s’empare du pouvoir au détriment du président Kayibanda. Après avoir joué un rôle de premier plan dans ce coup d’Etat, Kanyarengwe est nommé ministre de l’Intérieur sous le premier gouvernement Habyarimana et il est officieusement considéré comme le numéro deux du régime.
En décembre 1980, soupçonné à son tour de fomenter un coup d’Etat contre le président Habyarimana, son ancien compagnon de lutte, Alexis Kanyarengwe est contraint de fuir le Rwanda et trouve refuge en Tanzanie.

Kanyarengwe en compagnie du président Habyarimana le 4 août 1993, suite à la signature des accords d’Arusha entre le gouvernement rwandais et le FPR


En 1987 alors que le FPR n’est encore qu’en gestation, il est approché, sur les conseils de Charles Shamukiga et de Damien Sebera par des émissaires de Fred Rwigema, le président du FPR, pour rejoindre le mouvement. C’est finalement au mois de septembre 1990, quelques jours avant l’invasion du Rwanda par le FPR, qu’il rejoint le mouvement après avoir été définitivement convaincu par Aloysia Inyumba lors d’un entretien à Dar es Salaam.[8]
Dès son ralliement spectaculaire, il est nommé vice-président du FPR et adjoint de Fred Rwigema.[9] Quelques jours plus tard, suite au meurtre le 3 octobre 1990 de Fred Rwigema « par son second, Pierre Bayingana, qui a été lui-même tué fin octobre par des rebelles loyaux au « commandant Fred »[10], Alexis Kanyarengwe prend la présidence du mouvement, devenant ainsi le numéro un du FPR.
En coulisses toutefois la réalité est tout autre, Kanyarengwe n’étant considéré que comme un faire-valoir visant à donner une image pluraliste au FPR comme le confiera, dès 1992, le général Paul Kagame, véritable nouvel homme fort du FPR, au journaliste Stéphane Smith. Celui-ci, surpris de ne jamais être amené à croiser Kanyarengwe lors de ses rencontres au sommet avec le FPR, demande à Kagame pourquoi c’est toujours lui, le vice-président, qu’il rencontre quand il doit interagir avec le FPR, et non Kanyarengwe, le président. Il se voit répondre par le Général Kagame : « Ne vous en faites pas, vous rencontrez le patron, Kanyarengwe n’est que notre homme de paille. Vous perdriez votre temps. »[11]
Malgré tout, Kanyarengwe contribua fortement à la victoire militaire du FPR en parvenant à recruter de nombreux proches du pouvoir de Habyarimana originaires de Ruhengeri comme lui.
Pressenti comme futur président de la République suite à la victoire militaire du FPR en juillet 1994, il fut finalement nommé vice-Premier ministre et ministre de la Fonction publique, devenant ainsi le seul homme politique rwandais à avoir exercé des fonctions politiques importantes sous les trois régimes de Kayibanda, de Habyarimana et du FPR. A la fin de l’année 1995, il reprit le portefeuille de l’Intérieur après la fuite de Seth Sendashonga.
Kanyarengwe exerça ses mandats ministériels dans la discrétion, gardant le silence face aux crimes qu’étaient en train de commettre l’APR, la branche armée du FPR, contre les civils hutus aux quatre coins du pays, notamment dans sa région d’origine, et qui étaient régulièrement mis sur la table par d’autres ministres lors des discussions du Conseil du gouvernement. Il garda ce silence jusqu’au jour où les massacres touchèrent sa propre famille, le 4 mars 1997.
Ce jour-là,  Alexis Kanyarengwe, que l’on surnommait le « Chairman » en raison de ses fonctions de président du FPR  se rend dans le village Nyamagumba en compagnie de Ignace Karuhije, le préfet en exercice de Ruhengeri, pour le deuil de Berthe Nyiraruhengeri, sa belle-sœur et épouse de Dominique Bakunzibake, ex-bourgmestre de Kigombe.
Peu après que ces dignitaires aient quitté Nyamagumba, les militaires du FPR en tenue de combat commettent des massacres dans ce village, où habite la famille en deuil, puis dans tout le secteur Kabaya.
Au total, 200 civils principalement des jeunes de 18 à 30 ans seront méthodiquement exécutés, la plupart d’une balle dans la bouche.
Parmi les victimes, plusieurs membres de la famille proche ou élargie d’Alexis Kanyarengwe, le président en exercice du FPR, dont:
– Ses neveux : Léon Munyaneza et Jacques Nambaje, tous deux fils de Berthe Nyiraruhengeri, qui assistaient au deuil de leur maman.
– Plusieurs autres jeunes membres de sa famille élargie, comme Marcel Munderere, Alice Hakorimana, Marie Chantal Hakorimana, Faustin Bitakuliya et Jean Damascène Gasimba, la plupart âgés de moins de 30 ans, certains venant à peine d’atteindre la majorité.[12]
L’antenne de la Commission des droits de l’homme de l’ONU à Ruhengeri est contrainte de quitter le pays car témoin gênant des massacres en cours.
Pour Alexis Kanyarengwe, ce massacre qui avait touché sa propre famille fut le massacre de trop, et le Chairman ne pouvait plus, par son silence ou son inaction, cautionner les crimes du mouvement dont il assurait officiellement la présidence.
En tant que ministre de l’Intérieur, il donna sa bénédiction à Ignace Karuhije, le préfet de Ruhengeri, afin qu’il fasse en sorte que les militaires auteurs des ces massacres soient poursuivis.
La réaction du FPR ne se fit pas attendre, et Ignace Karuhije fut remercié dans la foulée pour « incompétence et incapacité à contenir l’insécurité»[13]  Quelque temps plus tard, Kanyarengwe se voyait apporter dans son bureau une lettre de démission qui n’attendait que sa signature. Selon la version officielle, il démissionna en raison de son souhait de « se consacrer à d’autres fonctions[14] ». Mais la véritable raison de sa « démission » n’échappe pas aux yeux des rares académiciens ayant couvert cet épisode.[15]
Quelques mois plus tard, le 15 février 1998, Kanyarengwe était remplacé par Paul Kagame à la présidence du FPR au terme d’un processus électoral « opaque »[16] avant de complètement disparaitre du paysage public. Ce remaniement au sommet du FPR ne fit « que confirmer l’élimination politique de Kanyarengwe et le rôle central de Kagame.»[17]
En juillet 2005, il refit brièvement l’actualité suite à une interview accordée au journal Umuseso, au cours de laquelle il remercia « le gouvernement pour tout ce qu’il fait pour le pays », mais regretta que « certains oublient trop vite » et lui « manquent de respect ». Kanyarengwe se demandait pourquoi il n’était pas invité aux cérémonies de la journée de la libération, alors qu’il avait dirigé le parti qui en était responsable. « Ils ne respectent pas, ils ne seront pas non plus respectés. »
Le 13 novembre 2006, à l’âge de 68 ans, Kanyarengwe décède à Kigali suite à une longue maladie. Lors de l’interview accordée aux journalistes d’Umuseso, une année avant sa mort, il s’était interrogé sur les raisons pour lesquelles le gouvernement avait refusé de le faire soigner «après tout ce qu’il avait fait pour le FPR et les RDF».
Norman Ishimwe, Ruhumuza Mbonyumutwa, Constance Mutimukeye, Jean Mitari, Anastase Nzira et Alfred Antoine Uzabakiliho
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Retrouvez les autres articles de la série:
1ère partie : Pasteur Bizimungu, président et Faustin Twagiramungu, premier ministre

 
[1] Le vice-président et ministre de la défense sera évoqué en clôture de cette série d’articles.
[2] Voir entre autres Pierre-Célestin Kabanda, « Rwanda l’idéal des pionniers, les hommes qui ont fait la différence », Lille, Editions Sources du Nil, 2012, p. 276.
[3] D’autres auteurs comme Filip Reyntjens attribuent l’initiative au président Kayibanda et à son ministre de l’Education nationale, ce qui entretient une certaine confusion au sujet de l’origine de ces comités, F. Rentjens, « Le génocide des Tutsis au Rwanda », Que sais-je n°4062, Presses Universitaires de France.
[4] Pour plus d’informations sur cet événement, voyez notre article, « Le génocide de 1972 contre les Hutus au Burundi : 41ème commémoration », http://www.jambonews.net/actualites/20130501-le-genocide-de-1972-contre-les-hutus-au-burundi-41eme-commemoration/
[5] F. Rentjens, « Le génocide des Tutsis au Rwanda », Que sais-je n°4062, Presses Universitaires de France.
[6] Ibid.
[7] Pierre-Célestin Kabanda, « Rwanda l’idéal des pionniers, les hommes qui ont fait la différence », Lille, Editions Sources du Nil, 2012, p. 276.
[8] A. Guichaoua, « Rwanda : de la guerre au génocide, annexe 51, les assassinats des opposants et des témoins des crimes du FPR. Questions sur les libertés civiques au Rwanda », p. 19.
[9] Ibid.
[10] “Rwanda : Rwigyema (sic) tué par ses hommes”, LeSoir du 8 novembre 1990.
[11] Témoignage de Stéphen Smith dans S. Smith, “Rwanda in six scenes”, London Review of Books, mars 2011.
[12] Témoignage recueilli  le 5 août 2018 par Jambonews auprès d’un proche de la famille ayant assisté aux obsèques de Berthe Nyiraruhengeri et qui fut témoin des événements ayant suivi le deuil.
[13] F. Reyntjens, « Political governance in Post-genocide Rwanda” p. 18.
[14] Ibid.
[15] Au sujet de la démission de Kanyarangwe, André Guichaoua, dans son annuaire «  Gouvernements, représentation politique, principaux corps d’Etat, institutions de la société civile » commente «Kanyarengwe avait couvert l’ordre donné par le préfet de Ruhengeri d’arrêter des militaires ayant commis des exactions envers les populations civiles et le limogeage du préfet, auquel il était étroitement lié, l’a contraint à se retirer », Filip Reyntjens, à la page 18 de « Political governance in Post-genocide Rwanda” commente pour sa part «  en réalité, Kanyarengwe a été remplacé après avoir protesté en compagnie d’Ignace karuhije contre les massacres commis dans sa région d’origine »
[16] F. Reyntjens, « Evolution politique au Rwanda et au Burundi, 1997-1998, », Anvers, 1998, p. 15.
[17] Ibid.

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