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Rwanda : Gilbert Nshimiyimana « mon témoignage, ma vérité, ma douleur »

Rwanda : Gilbert Nshimiyimana « mon témoignage, ma vérité, ma douleur »

Gilbert Nshimiyimana est né en 1985 au Rwanda. A partir du 06 avril 1994 son quartier de Remera va connaitre les affrontements entre les Forces Armées Rwandaises (FAR) et l’Armée Patriotique Rwandaise (APR). Avec sa famille, il va s’exiler au Zaïre, devenu depuis la République Démocratique du Congo (RDC), échappant de peu aux massacres perpétrés dans son quartier de Remera. Lors de l’attaque des camps de réfugiés rwandais en 1996 par l’AFDL/APR, Gilbert fait partie du groupe de réfugiés qui rentrent au Rwanda. Peu de temps après, le 21 janvier 1997, il va vivre l’indicible avec lorsque 13 personnes de sa famille y compris un bébé, sont assassinés, ils sont trois à avoir survécu : son oncle Patrick Horanimpundu[1], sa sœur et lui.

Gilbert Nshimiyimana


De son enfance, Gilbert Nshimiyimana se souvient avoir vécu en harmonie avec ses camarades « On jouait avec tous les enfants du quartier sans distinction, on ne se disait pas qu’un tel venait de telle préfecture ou qu’un autre venait d’un autre pays, surtout que le Rwanda n’était pas habité uniquement par des Rwandais, il y avait des ressortissants étrangers qui y habitaient ». Le 06 avril 1994, quand le Falcon 50 avec à son bord les présidents rwandais et burundais : Juvénal Habyarimana et Cyprien Ntaryamira est abattu, Gilbert et sa famille sont chez eux. A partir de ce jour et les jours qui ont suivi, ils ont vécu au rythme des bruits de tirs nourris. Ils sont restés cloitrés à l’intérieur de leur maison, un jour ils ont essayé de sortir sur la terrasse de la maison et une bombe a été lancée immédiatement sur leur maison « On a vu un gros morceau de métal venir se loger dans le toit de notre maison. Nous avons vu cet objet s’écraser devant nous, nous ne pouvions pas l’identifier. Par après on l’a ramassé et on s’est renseigné et on nous a dit que c’était l’éclat d’une bombe. Nous, nous ne savions pas à quoi pouvait rassembler une bombe ou une balle, nous voyions seulement que c’était un objet avec une certaine longueur ». Deux semaines après l’attentat sa famille quitte Kigali en empruntant la route de l’aéroport de Kanombe suit les autres déplacés jusqu’ au Zaïre. Après avoir quitté leur quartier, les personnes qu’ils ont rencontrées ont manifesté leur étonnement de les voir vivants, en effet « On leur avait dit que le FPR était arrivé dans notre quartier et que les gens qu’ils trouvaient dans les maisons, ils tiraient directement sur eux sans demander qui ils étaient. Et là on s’est rendu compte que par chance nous avions pu quitter le quartier sans que l’un d’entre nous ne soit blessé ».
La première guerre du Congo a commencé en novembre 1996, dans leur progression les éléments de l’Alliance des Forces démocratiques pour la Libération du Zaïre (AFDL) aidés par les éléments de l’APR détruisaient les camps des réfugiés rwandais. Celui dans lequel se trouvait la famille de Gilbert a été détruit aussi. La famille de Gilbert, voulant mettre fin à cette vie en exil et croyant à un retour de paix au Rwanda, a décidé de retourner dans son pays natal : « Quand ils ont détruit les camps des réfugiés, nous sommes retournés au Rwanda. On se disait que si les camps des réfugiés sont détruits, la guerre allait arriver aussi au Zaïre, on s’est dit que nous n’allions pas passer notre vie à fuir dans des pays que nous ne connaissions pas. De plus on s’est dit que la paix était revenue au Rwanda, c’était l’occasion de retourner dans notre pays natal ». Pendant plusieurs jours ils ont marché, tout en étant contents de rentrer chez eux, ils sont passés par les nombreuses barrières tenues par les militaires de l’APR sans difficultés jusqu’à la dernière barrière se trouvant dans leur commune natale Satinsyi à Gisenyi. A cette barrière située à Kabaya, les soldats de l’APR leur ont donné un soldat pour les accompagner jusqu’à chez eux. La famille de Gilbert a alors manifesté son incompréhension de se voir assigner un soldat pour les accompagner alors que le Rwanda était devenu un pays en paix. Les soldats ont insisté en leur disant « Qu’ils devaient nous assigner une personne pour nous accompagner jusqu’à chez nous, assurer notre sécurité et voir où on allait habiter ».
Quand ils sont arrivés chez eux, leurs voisins ont manifesté une certaine crainte de les voir revenir : « Les gens qui nous connaissaient ou qui connaissaient notre famille, nous regardaient et nous disaient avec lamentations « Vous aussi vous rentrez ? Nous pensions que vous étiez décédés ! Pourquoi vous revenez ici alors que tout le monde pensait que vous étiez décédés ? ». Le soldat qui les accompagnait après avoir vu que la population les avait reconnus a commencé à poser des questions qui pour Gilbert étaient de nature à savoir qui ils étaient et non pour assurer leur sécurité. Il a alors pris congé tout de suite sans les accompagner jusqu’à leur maison. Par la suite la famille de Gilbert est partie se faire enregistrer et les autorités rwandaises ont su que son père était un ancien des FAR. Quelques jours après sa famille a commencé à être l’objet d’un harcèlement de la part des militaires de l’APR : «il ne s’est pas passé une semaine sans que des militaires du FPR viennent tous les jours chez nous pour voir si mon père allait bien, sa sécurité ». A plusieurs reprises Gilbert souligne ces visites quotidiennes : « Les gens du village ont commencé à nous dire que ce n’était pas bien que les militaires viennent tous les jours, nous leur avons répondu que ce n’était pas nous qui leur demandions de venir, qu’ils venaient d’eux-mêmes ».
Un jour, les militaires ont emmené leur père à un endroit inconnu : « Le temps est passé, notre père n’est pas rentré. Depuis le jour où ils l’ont emmené il s’était passé un mois sans qu’il ne soit rentré et pendant ce temps nous avions droit aux visites quotidiennes ». A son retour leur père leur a alors informé qu’il avait été emmené dans des camps militaires pour être interrogé sur les aspects militaires et politiques. Gilbert continue son histoire en racontant comment les visites avaient fini par prendre une autre tournure, des étrangers qui disaient être des enquêteurs se sont joints aux soldats de l’APR dans les visites, et des fois son père pouvait être arrêté au milieu d’une messe.
Un jour le père de Gilbert est revenu d’une arrestation et a informé sa famille qu’il avait des inquiétudes sur leur avenir, face à leur incompréhension il a répondu que « Ces dernier temps les gens qui l’interrogeaient lui posaient beaucoup des questions et qu’ils lui disaient qu’il devait coopérer, que dans le cas contraire, les conséquences sur sa famille seraient de sa responsabilité. ». Quelques temps après, le 21 janvier 1997, la famille de Gilbert passait une soirée ordinaire quand ils ont entendu une personne qui forçait l’entrée de la clôture de leur maison sans avoir frappé à la porte. Gilbert et son oncle étaient dans la cour quand ils ont vu une personne sauter par-dessus la clôture, « C’était un homme en tenue militaire et avec une arme. Nous sommes tout de suite entrés dans la maison. On s’est dit qu’une personne qui force l’entrée, qui entre sans prévenir et qui saute par le dessus du portail, qui ne dit pas bonjour, ce n’était pas normal. ». Leur maison était éclairée par une faible lumière, une Itadowa (une petite lanterne à pétrole utilisée dans les villages au Rwanda), Gilbert et son oncle se sont cachés dans une chambre très sombre : Gilbert sous le lit et son oncle dans un coin. De leur cachette ils ont assisté aux événements qui ont suivi : « Mes parents étaient au salon, mon père était assis en train de manger et ma mère était allongée dans le canapé. Quand ils sont entrés, ce sont les premières personnes qu’ils ont vues. Ce dont je me souviens c’est ma mère qui les a salués et leur a demandé avec quoi elle pouvait les accueillir, s’ils voulaient boire quelque chose étant donné qu’ils leur rendaient visite tard dans la soirée. Personne n’a répondu et tout d’un coup, nous avons entendu « pa pa pa pa », les bruits de tirs nourris. Mon oncle et moi là où nous étions cachés, nous ne nous parlions pas, le bruit des tirs nous tétanisait, nous ne savions pas ce qui se passait ». Dans cette soirée, les militaires ont tiré sur chaque personne qui était dans la maison, un bébé a trahi sa localisation en pleurant et « Ils sont partis dans les chambres chercher le bébé qui pleurait, ils ont suivi ses pleurs pour le retrouver et quand ils l’ont vu, ils ont tiré sur le bébé. ».
Deux heures après l’arrêt des tirs et le départ des soldats, Gilbert et son oncle sont sortis de leur cachette « Après 2h de silence on s’est dit que l’on allait circuler dans la maison, mais c’était dans le noir. On se guidait en palpant le mur, on appelait à basse voix une personne pour voir si elle allait répondre, sans résultat. Avec mon oncle nous sommes arrivés à la porte de sortie de la maison. Malgré qu’il n’y eût pas de lumière, nous avons essayé de voir et nous avons vu les corps, nous ne pouvions rien faire à part constater qu’ils avaient été tués. Nous sommes retournés dans notre cachette et nous nous sommes dit que nous allions attendre que les gens du village nous portent secours. » Nous avons demandé à Gilbert combien des siens il avait perdu cette nuit-là : « Au total 13 personnes ont été tuées cette nuit-là. Si je peux ajouter un élément, mais je n’en ai pas été témoin direct, cette nuit-là les membres d’une autre famille auraient été tués dans les mêmes circonstances que ma famille après nous. Je ne vais pas dire qui ils sont, mais c’était une famille amie ». Par la suite Gilbert, sa sœur et son oncle n’ont pas été en paix car les visites quotidiennes des militaires n’ont pas cessé et ils vont être obligés de quitter leur oncle qui les avait pris en charge après le décès de leurs parents pour ne pas mettre la famille de ce-dernier en danger. « Les menaces qui pesaient sur nous étaient telles que nous avons cherché à fuir par tous les moyens ».
Gilbert souhaite aujourd’hui que le Rwanda retrouve un état de paix véritable : « Mon souhait est que notre pays soit en paix. Même si la guerre est finie, pour ma part le pays n’est pas en paix », il explique sa conception de la paix et de la réconciliation « Ce n’est pas normal de mettre une personne en prison parce qu’il a dit quelque chose qui n’est pas en ligne avec la narrative du pouvoir. Pour moi ce n’est pas un signe d’un pays en paix. Mon souhait est que les gens se réconcilient et vivent ensemble comme avant la guerre, les gens qui ont tué les autres qu’ils soient poursuivis par une justice impartiale, sans dire que ceux-ci ont tués et les autres venaient libérer. Non ! Si une personne a tué elle doit être poursuivie. Cela sera un signe d’espoir parce que les gens vont comprendre que ceux qui ont tué sont poursuivis en justice, et les gens vont pouvoir se réconcilier et vivre ensemble. ».
Gilbert espère que son histoire inspirera les autres victimes rwandaises à sortir de leur silence et de témoigner « Pour moi c’est une sorte de thérapie car cela me permet de raconter ma vérité et ma douleur. Pour que ceux qui ne la connaissent pas puissent la connaitre. Peut-être que cela peut encourager une autre personne à venir raconter sa douleur comme tous les autres ».
Gilbert a perdu cette nuit-là :

Ainsi que IYAKAREMYE, un bébé de 6 mois

Témoignage complet


 
[1]Patrick Horanimpundu est rescapé de l’épuration ethnique perpétrée dans sa commune de Gaseke entre 1995 et 1998
Constance Mutimukeye
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