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Josiane Mwiseneza : la jeune femme qui fait vibrer le Rwanda

Josiane Mwiseneza : la jeune femme qui fait vibrer le Rwanda

Depuis près d’un mois, la blogosphère rwandaise est en ébullition autour de la candidature d’une jeune femme à l’élection de Miss Rwanda 2019. Coiffure punk, style vestimentaire modeste, blessure aux orteils, absence de maquillage, taille moyenne, Josiane Mwiseneza semblait, au moment de son arrivée aux pré-sélections des candidatures à Miss Rwanda, être à l’exact opposé des stéréotypes habituellement véhiculés par les participantes à un concours de beauté. Pourtant, près d’un mois après avoir posé sa candidature, la jeune femme suscite une ferveur populaire aux proportions surprenantes dans un pays d’ordinaire habitué à des élections de miss se déroulant dans un relatif anonymat à peine brisé par quelques bad buzz autour des performances des participantes en matière de maitrise des langues étrangères.  

Beaucoup de supporters de Josiane pointent la ressemblance entre la forme de sa tête et l’effigie du concours.

Beaucoup de supporters de Josiane pointent la ressemblance entre la forme de sa tête et l’effigie du concours.


La ferveur autour de la candidature de Josiane Mwiseneza est telle qu’elle est qualifiée d’« historique» par plusieurs médias. Ainsi, des chansons ont déjà été composées à sa gloire, des poèmes circulent, un devin a prédit sa victoire et la prière d’un pasteur bénissant la jeune femme a été partagée des milliers de fois. Même le monde politique semble avoir été conquis par le phénomène au point que Alvera Mukabaramba, la secrétaire d’Etat rwandaise en charge des Affaires sociales, multiplie via Twitter les messages de soutien à la jeune femme. Depuis quelques jours une pétition demandant à ce que les règles du concours Miss Rwanda soient modifiées afin d’« enlever tous les obstacles pouvant empêcher Josiane d’être désignée Miss Rwanda 2019 » a même commencé à circuler sur internet et a déjà recueilli plus de 1000 signatures. Pour certains commentateurs, si « on a pu changer la constitution, on peut modifier les règles de ce concours pour faire en sorte que soit désignée Miss la candidate choisie par les Rwandais. »
A Karongi, la région de Josiane Mwiseneza, la surprise est totale. Anne Marie Mukankusi Gwiza, une voisine de la famille, a décrit l’état d’esprit général dans l’une de ses nombreuses interviews à un média local : « Nous pensions que le concours Miss Rwanda était réservé aux filles qui habitent les villes. J’avais du mal à croire qu’il s’agissait de Mwiseneza qui passe ses journées comme nous à balayer, à arracher la mauvaise herbe, à nourrir les vaches. Nos voisins sont tous surpris et continuent de se demander qui l’aurait poussée dans une telle aventure. Mais, à voir où en sont les choses, nous la soutenons et nous sommes très fiers parce qu’elle représente notre région.»
Son frère est parmi les premiers surpris par le succès rencontré par sa sœur cadette et pour cause, explique-t-il, à l’exception de sa mère, la jeune femme a mis un point d’honneur à n’avertir personne de son aventure afin de rester indépendante, éviter que des personnes ne la découragent ou que d’autres, tout en la soutenant, ne soient tentées de lui dicter sa conduite.
Il espère que ce concours désormais boosté par le succès de sa sœur pourra être une « opportunité pour le Rwanda » grâce à l’ampleur que prend le concours en dehors des frontières du pays.

« 10 km » à pied 

L’histoire commence le dimanche 16 décembre 2018 lors des pré-sélections des candidates Miss Rwanda 2019 à l’Inzozi Beach Hôtel situé dans la province de Gisenyi. Ce jour-là, les personnes présentes voient arriver une jeune femme essoufflée, habillée modestement, légèrement blessée au pied gauche et qui, à peine arrivée, sera la première à être auditionnée par le jury.
A sa sortie de l’audition, les médias se ruent sur cette candidate et la martèlent de questions parfois étranges, comme sur sa blessure aux orteils, sa coiffure, son physique, et ils intitulent la vidéo « Mwiseneza Josiane est venue à pied et présente des blessures aux orteils ». Igihe.com, le média écrit le plus lu au Rwanda lui consacre également sa une « Mwiseneza a marché près de 10 km pour participer au concours de Miss Rwanda » et diffusent notamment une photo de ses pieds où l’on peut voir des blessures légères survenues alors qu’elle marchait vers les pré-sélections.
La vidéo de son interview devient rapidement virale et dépasse les 150 000 vues en à peine quelques jours, un chiffre énorme pour une vidéo en kinyarwanda. L’intention des journalistes dans le choix de leurs titres et des questions est peu claire, mais la grande majorité des internautes qui commentent la vidéo y voient une moquerie déguisée et publient sous la vidéo plusieurs dizaines de commentaires virulents à l’encontre des journalistes. L’un des commentaires les plus likés dénonce ainsi un « mépris » envers les pauvres : « Les gens sont égaux, nous venons du même endroit et nous allons tous vers le même endroit ». Un autre, tout en soulignant la confiance dégagée par la candidate dans ses réponses aux questions, pointe le « manque de professionnalisme, de respect et de maturité » des journalistes dans leurs questions. Certains commentateurs vont même jusqu’à insulter les journalistes.
Malgré ces questions parfois étranges des journalistes, beaucoup d’internautes sont séduits par la confiance affichée par la jeune femme de 23 ans, sans emploi et issue d’une famille pauvre vivant dans le Rwanda rural. Elle ne se laisse pas déstabiliser par les questions des journalistes, trouvant toujours la réplique idoine, comme lorsqu’ils lui demandent pourquoi les médias se ruent sur elle plutôt que sur les autres candidates : « C’est vous qui devriez répondre à cette question, c’est vous qui m’avez sollicitée pour cette interview. »

 Son projet

Dans les jours qui suivent l’interview, les articles de journaux se multiplient, les vidéos sur la jeune femme s’empilent et atteignent un total cumulé de plusieurs millions de vues, et les commentaires de soutien ne se comptent plus. Isimbi Tv, une autre télévision rwandaise en ligne, se rend chez la jeune femme pour une longue interview.
Cette interview dépasse à nouveau les 150 000 vues, et la jeune femme impressionne par sa lucidité et la confiance qu’elle dégage : « Au moment de me présenter, je ne me suis pas posé de questions, pour moi que je vienne en voiture, de la ville ou du monde rural ne fait pas partie des critères sur lesquels les femmes sont sélectionnées, le plus important dans ma tête était les réponses que j’allais donner aux questions du jury. »
La jeune femme souhaite que la couronne de Miss Rwanda quitte enfin Kigali où « elle a déjà souvent atterri » pour le monde rural, « car ce monde fait aussi partie du Rwanda ». Pour elle, être couronnée lui permettrait d’être un porte-voix et un exemple pour les filles du monde rural afin de leur donner confiance en elles et leur permettre de prendre conscience de leur valeur et du fait que toutes les filles ont les mêmes droits.
Au-delà de la couronne, Josiane voit en sa candidature le moyen de mener à bien plusieurs projets, en particulier celui de combattre la malnutrition infantile. « Dans les environs de chez nous, il y a un grand problème de malnutrition infantile. Je voudrais utiliser ma popularité et le fait que j’ai la chance que beaucoup de gens m’écoutent désormais, pour leur dire que je souhaite qu’on combatte la malnutrition infantile. Tu peux être à Kigali ou dans d’autres villes et penser que ce problème ne te concerne pas mais si demain par exemple tu as besoin d’un domestique, tu le trouveras où s’ils souffrent tous de malnutrition? Que sera le Rwanda de demain qui aurait pu produire des médecins, des militaires qui défendent le pays, des personnes qui contribuent au développement du pays si tous souffrent de malnutrition ? Même si tes enfants n’en souffrent pas, les conséquences s’abattront également sur toi ; » appelant par-là tous les Rwandais à se sentir concernés par ce problème.
La malnutrition infantile est l’un des plus gros problèmes auxquels le Rwanda est confronté. Selon les statistiques du gouvernement, 38% des enfants rwandais étaient touchés en 2015. Le projet de lutte contre la malnutrition infantile est l’une des raisons qui ont poussé la secrétaire d’Etat à soutenir la candidature de Josiane « Mwiseneza Josiane a un noble projet de lutte contre la malnutrition infantile dans sa région » a-t-elle écrit sur Twitter.


La jeune femme a déjà une idée avancée de la manière dont elle compte procéder : « Je ne compte pas acheter de la nourriture de luxe aux enfants mais plus les sensibiliser sur les habitudes alimentaires à avoir pour ne pas souffrir de malnutrition. » Elle affirme lire régulièrement les commentaires qui lui sont envoyés, en particulier les conseils qui lui sont prodigués par plusieurs supporters pour mener à bien son projet. Lucide, elle se dit consciente que des personnes pourraient vouloir détourner sa soudaine notoriété à des fins non conformes à ses valeurs : « Je suis prudente face à cela.»
Plusieurs centaines de commentaires ont jusqu’à présent été publiés sous la vidéo de l’interview et des milliers d’autres sur différentes plateformes témoignent un soutien unanime à la jeune femme qualifiée d’« héroïne » pour son courage d’avoir brisé les barrières sociales et d’avoir osé se présenter à l’élection la ou d’autres pensaient que c’était impossible. La jeune femme est également saluée pour son éloquence, sa spontanéité, son authenticité, sa confiance en elle ainsi que sa personnalité. Les soutiens affluent de partout, aussi bien du Rwanda que parmi les Rwandais éparpillés aux quatre coins du monde qui voient en elle une icône à même de contribuer au développement du monde rural et faire effectivement reculer la malnutrition infantile comme elle l’ambitionne.

Le Top 20

Le 5 janvier 2019, quelques jours après la publication de cette interview réalisée chez elle, Josiane Mwiseneza avait un autre cap à franchir dans le cadre de la compétition de Miss Rwanda. Alors qu’il restait 37 candidates en lice, le jury avait la charge d’en éliminer près de la moitié pour ne retenir que 20 qui prendront part à une retraite de deux semaines et parmi lesquelles sera désignée la Miss Rwanda 2019.
Les organisateurs avaient au préalable annoncé que la candidate cumulant le plus de « likes » sur sa photo sur les réseaux sociaux obtiendrait un passautomatique pour cette dernière étape. Josiane Mwiseneza avait remporté cette étape haut la main avec un total cumulé de 37 074 « likes », soit plus de 10 à 20 fois plus que le nombre obtenu par la grande majorité des autres candidates.
Malgré ce passpour l’étape suivante, la jeune femme était tenue de se présenter devant le jury et de répondre à quelques questions à l’instar de toutes les autres candidates. Mais à peine arrivée dans la salle, le public se lève, en transe, et les cris de soutiens se font entendre. La ferveur est telle que le jury se retrouve dans l’incapacité d’entendre ses réponses en raison du brouhaha qui ne s’éteint qu’au moment où elle quitte la scène. L’inaudibilité de ses réponses sera sans conséquences dans la mesure où elle avait obtenu cette qualification automatique.
Le soutien affiché jusqu’à présent à Josiane Mwiseneza ne se limite pas au seul soutien virtuel au travers des réseaux sociaux. Le New Times, principal quotidien du Rwanda en langue anglaise, qui lui a déjà consacré plusieurs articles, annonce que plusieurs personnes au sein de la diaspora ont commencé une campagne de levée de fonds pour soutenir sa candidature et son projet, même si la jeune femme affirme que l’aide financière reçue jusqu’à présent est bien en dessous de ce qui peut paraitre car « beaucoup de gens annoncent vouloir contribuer financièrement mais sans nécessairement franchir le pas ».
Certains ont en tout cas déjà concrétisé leurs contributions puisqu’une voiture avec chauffeur lui a été prêtée par plusieurs fans qui ne voulaient plus la voir contrainte de « marcher pour se rendre au concours ».
Un supporter vivant au Etats-Unis lui aurait d’ores et déjà promis de lui envoyer une voiture pour assurer ses futurs déplacements quelle que soit l’issue du concours.
Par ailleurs, un garde du corps professionnel habituellement actif dans la sécurité des chanteurs s’est spontanément proposé pour assurer sa sécurité. Le frère de la jeune femme explique que cet homme a appelé la candidate à plusieurs reprises pour lui témoigner son admiration. « Je suis fan,lui aurait-t-il déclaré, et je souhaite que tu ne sois plus embêtée par quiconque lorsque tu marches en rue, ma contribution à moi sera d’être ton garde du corps. »
Cette sécurité est loin d’être un luxe car des scènes de liesse s’observent régulièrement sur son passage, la jeune femme étant ralentie, voire bloquée, par des foules qui la célèbrent.

Les détournements

Le succès rencontré par la candidate est tel que même la pierre sur laquelle elle a trébuché sur sa route vers les pré-sélections fait l’objet de discussions et de détournements humoristiques, comme on peut lire sur le post de cet internaute qui attribue à l’image d’une pierre la légende suivante : « La pierre sur laquelle Miss Josiane a trébuché a été placée dans un musée pour y être contemplée. »
A deux semaines de la proclamation officielle des résultats, des jeunes se filment déjà en train de célébrer la victoire de Josiane Mwiseneza dans l’« after party » du concours de Miss Rwanda car « Josiane a déjà été élue Miss Rwanda et personne ne peut le contester ».
« The CatTV », le Youtubeur le plus célèbre du pays avec plus de 100 000 abonnés, poste jusqu’à plusieurs fois par jour des vidéos dont certains titres, comme « Ca y est, Mwiseneza Josiane élue Miss Rwanda », laissent peu de doute sur ses pronostics quant à l’issue du concours.
Le quotidien numéro un Igihe.com affiche également sur son site une caricature pronostiquant la victoire de la jeune femme. La caricature fait référence à la ressemblance entre la forme du visage de Josiane Mwiseneza et l’effigie du concours Miss Rwanda, avec un personnage s’écriant « C’est elle que l’effigie du concours Miss Rwanda annonçait depuis longtemps !!!» devant des spectateurs et organisateurs stupéfaits par la coïncidence. 

Les critiques

Malgré un soutien presque unanime, Josiane ne manque pas de détracteurs comme c’est généralement le cas atour de ce genre de phénomènes. Les critiques sont rares mais sont souvent amplifiées par les réponses parfois virulentes des supporters de la jeune femme. L’une des critiques revenant souvent auprès des détracteurs de Josiane Mwiseneza a trait au physique de cette dernière, certains ne lui trouvant pas un « physique de miss ». La question a pris une telle ampleur que des émissions télévisées ont été consacrées à la question. Ainsi, l’une des émissions diffusée par Isimibi TV le 7 janvier 2019,qui cumule près de 40 000 vues sur Youtube, est intitulée « En quoi est-elle moche ? Mike égratigne ceux qui disent que Josiane est moche et ne devrait pas être Miss Rwanda ».
L’émission donne la parole à Mike Karangwa, qui répond à la question de l’apparence physique : « Toi qui dis qu’elle n’est pas jolie, sur quoi tu te bases ? Une jolie fille ressemble à quoi ? Celle que tu dis qu’elle est jolie, je peux ne pas la trouver à mon gout. Ces critiques me font penser au proverbe rwandais qui dit que « celui qui veut critiquer une vache invite à regarder son trayon ». Tout ce que je dis c’est qu’il faut la laisser tranquille, si elle devient miss, on ira dans la rue et on se réjouira ! »
Paradoxalement, pour nombreux de ses supporters, son physique constitue justement l’un de ses principaux atouts : « Elle a une beauté naturelle et casse les stéréotypes. Elle représente la grande majorité des Rwandaises qui ne se sentent pas correspondre à certains stéréotypes sur la beauté » peut-on ainsi lire sur Facebook.
Certains ont même été jusqu’à affirmer que sa peau foncée va dans le sens du programme du gouvernement qui a récemment banni l’utilisation de produits éclaircissants à l’origine de nombreux cancers de la peau. Couronner la jeune femme ferait en effet sans aucun doute reculer dans les esprits les clichés trop répandus selon lesquels pour être belle il faut être claire de peau, et les supporters de Josiane Mwiseneza l’invitent régulièrement à ne pas tomber dans la tentation du défrisage ou des maquillages car « c’est justement son naturel qui contribue à son succès ».
Autre sujet de critique, le niveau d’anglais de la jeune femme, jugé trop faible par ses détracteurs. Mais la candidatene semble pas perturbée par ces critiques parfois virulentes, voire moqueuses : « Je ne m’y attarde pas car ça peut me faire dévier de ma ligne, s’il y a des choses que j’ai mal faites j’essaie de les corriger, et s’il y a des choses que j’ai bien faites je continue sur cette lancée. »
À ceux qui la questionnent sur ce qui lui manquerait pour remporter une telle élection, la jeune femme répond souvent « Je trouve que je remplis tous les critères pour être élue Miss Rwanda, mais la décision ne m’appartient pas, elle appartient aux juges. C’est à eux de dire qu’il me manquerait telle ou telle chose qui pourrait m’empêcher d’être élue. »
L’élection aura lieu à Kigali le 26 janvier 2019.
Ruhumuza Mbonyumutwa
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