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Les cinquante nuances de l’Afrique, avec Spinoza – Introduction

Les cinquante nuances de l’Afrique, avec Spinoza – Introduction

Que c’est l’essence même de la Nature de suivre des lois dont elle est elle-même la cause, de manière efficiente. Ce monde ne tourne pas en vue d’une fin. Et Dieu ne l’a pas créé pour vous, les Hommes. Exit cette morale égocentrique. Exit la notion de Bien et de Mal. Tout est cause et effet. Exit également l’espoir ou la fatalité. C’est pour les ignorants, de ces causes et effets. Il faut se débarrasser de ces illusions parasites qui nous diminuent sans cesse. C’est ce que nous dit, de manière posée, le philosophe d’origine juive, Baruch Spinoza (1632-1677). Une pensée jugée sulfureuse pour le XVIIème siècle et qui lui a coûté l’excommunication définitive par sa communauté, pour hérésie et athéisme.

 "La danseuse au cheveux court" de Ousmane Sow

« La danseuse au cheveux court » de Ousmane Sow


Revenons au constat de départ : n’est-ce pas, en effet, anthropocentriste d’affirmer que le monde a été inventé pour Adam et Eve ? Prendre ses désirs, par ailleurs confus, pour des réalités. N’est-il pas – – ethnocentriste de penser que la démocratie, telle qu’elle se conçoit en Occident, doit être un processus linéairement extensif,à finalité universelle ? Tout ceci c’est de l’idéalisme dirait Spinoza. Mais constater cela ne suffit pas. Encore faut-il proposer une solution meilleure. Entendez par là que nous ne sommes pasen train de faire une apologie de la dictature. Et puis, oublions ces lourdeurs un instant, voulez-vous ? Plutôt, comment rendre ce monde agréable pour un grand nombre, sans se leurrer ? C’est-à-dire, comment ériger une éthique sans tomber dans des dualismes aliénant : bien versus mal ; Dieu versus homme ;amour versus haine ; corps versus esprit ; Noir versus Blanc ; dictature versus démocratie ;hutu versus tutsi…femme versus homme?
Le dualisme est un idéalisme mécanique. Séparer l’un par rapport à l’autre pour lui porter un jugement de valeur. Réfléchir en des termes binaires est une des simplifications les plus primitives chez l’homme. C’est presque naturel, pourrait-on dire. Or simplifier n’est pas toujours synonyme d’évolution, de progrès. Et là, osons le raccourci : que le grec Platon en serait le coupable(souvenez-vous de l’allégorie de la caverne : monde des Idées, parfait, versus monde Sensible, trompeur., une idéologie qui s’est distillée sans peine dans les religions monothéistes du pourtour méditerranéen (judaïsme, christianisme et islam respectivement). Plus tard, le rationalisme cartésien va ingénieusement concevoir les hommes comme des machines fabriquées de toute pièce par un Dieu arbitraire et vengeur, à l’image de nous, mortels. De quoi devenir schizophrène. Nous ne parlons même pas du capitalisme qui va suivre, qui déshumanisera l’homme (comprenez ici le Nègre) pendant des siècles durant, au nom d’une volonté divine : la malédiction de Cham. Un Dieu transcendant déterminé à nous exclure du paradis pour une (autre) faute originelle ? Mais Dieu merci, il y a, pour nous chrétiens, notre sauveur Jésus-Christ. Lui au moins à l’avantage d’être plus complexe, plus nuancé. En effet, on ne sait pas vraiment dire s’il est homme ou s’il est Dieu. Un personnage ambigu, qui comprend plus qu’il ne juge, qui pardonne plus qu’il ne condamne. Un bol d’air frais pour les pauvres pécheurs que nous sommes.
Mais qu’est-ce que cela à avoir avec Spinoza ? A priori, rien. Au fait le philosophe juif présenté au début de ce texte va tenter de nous familiariser avec un concept plutôt dérangeant qu’on appelle l’immanence. Quoi ? Epargnons le dictionnaire : l’immanence, philosophiquement parlant,c’est ce « qui comporte en soi-même son propre principe et ne nécessite pas l’intervention d’un principe extérieur» (Dicophilo.fr). Donc opposé à transcendant, extérieur. En effet, l’éthique de Spinoza n’admet aucun principe extérieur. Tout est compris dans une seule et même unité. Déroutant à première vue. Dieu c’est la Nature et vice versa. L’Homme, être fini, est compris en Dieu, infini. Il n’y a pas de paradis céleste opposé à un enfer sous-terrain. Il n’y a pas de Bien et de Mal a priori, mais plutôt du bon et du mauvais, suivant notre nature…elle aussi changeante. Donc c’est subjectif ? Presque. Disons que ce qui est bon pour l’un peut être mauvais pour l’autre. Si le sel est mauvais pour l’hypertendu, il est davantage bénéfique pour l’hypotendu. Par conséquent il serait insensé de dire que le sel est mal en-soi. Le Noir n’est pas moins intelligent que le Blanc parce qu’il est noir, par essence, ou que ses parties génitales seraient « surdimensionnées »(pensons notamment au destin tragique de la « Vénus Hottentote», SaartjeBaartman, au début du XIXème siècle, véritable bête de scène importée d’Afrique du Sud pour agrémenter les zoos humains alors très populaires en Europe), concluant avec une imagination pseudo-scientifique qu’il serait plus porté à la fornication qu’à l’intellect. Bref…Revenons à Dieu : attendre de lui un châtiment est une perte de temps, parce que cela suppose qu’on attribue des caractéristiques humaines, donc limitées, à un Dieu, lui illimité par définition. Donner des qualificatifs, propres aux humains (le pardon, la volonté, la vengeance, la justice, la beauté, etc.), à une entité non-humaine n’est rien d’autre que de la superstition, de l’anthropocentrisme, comme mentionné précédemment. Spinoza critique d’ailleurs ces Hommes qui se réfugient dans « la volonté de Dieu, cet asile de l’ignorance ».
: "The ascension" de Johannes Segogela

« The ascension » de Johannes Segogela


Voilà : pour comprendre le monde, il faut l’approcher intrinsèquement, c’est-à-dire de manière interne (l’immanence, citée plus haut). Dire qu’il manque la démocratie en Afrique…c’est partir d’un manque. C’est comme aborder une personne (qu’on apprécie, de préférence) en lui énumérant les qualités qu’elle n’a pas.Réduire le réel à l’idéal, n’est-ce pas aussi se rendre esclave de ce dernier ? Que l’herbe est toujours plus verte chez le voisin.Dire que la dictature, et celui qui l’incarne, sontun mal qu’il faut supprimer comme on supprime une cellule cancérigène dans le corps, est peut-être rationnel, mais c’est nier la complexité du phénomène en général. De telles conclusionssont simplistes et mènent généralement à des oppositions binaires, terreau de l’intolérance, du fanatisme…de l’horreur. Hitler en tentant de supprimer les Juifs, que le système nazi considérait comme le mal absolu, a-t-il résolu le problème ?… Le Führervoyait l’Allemand aryencomme la race pure. Tout le reste était impur et donc à éliminer. En opposition à cela, la philosophie immanente, et plus ou moins moniste,de Spinoza ne peut, par définition, arriver à un tel postulat. Car éliminer l’autre aurait des répercussions sur soi-même, dans la mesure où tous deux fonctionnent dans un seul et même organisme. Indissociables mais distincts. A titre d’exemple, l’homme et la femme sont distincts mais sont indissociables. On peut encore citerl’exemple du philosophe cette fois :que l’esprit n’est pas distinct, encore moins opposé au corps. Au contraire, ceux-ci sont deux attributs – de valeur égale ! – d’une même substance : Dieu, ou la Nature. Ils fonctionnent suivant leurs propres lois mais sont néanmoins inséparables. Difficile à cerner c’est vrai. Mais c’est parce que notre esprit a été entraîné à penser de manière dualiste, rappelons-le.
Vous venez de le voir, Spinoza nous invite avant tout à sortir de la confusion, cause de tous nos préjugés. Aussi, autre point important, il faut se garder de prendre son cas, ou celui de son voisin et le voisin de son voisin pour une généralité.En d’autres mots le philosophe nous pousse à quitter la pensée inductive (ou généralisation), pour la déductive. Effectivement, cette dernière est une méthode de pensée dont la conclusion résulte d’une proposition de départ par des enchaînements logiques. Déduire c’est raisonner, là où induire c’est, disons, supposer. Dans le dernier cas, on est dans le domaine de la présomption, qui est synonyme de préjugé, d’imagination. Et ça c’est être passif !Oui, on pâtit de ce que notre imagination fabrique au gré des affects.C’est sur ce constat pour le moins aliénant que le philosophe nous livre son Ethique(son œuvre majeure, publiée juste après sa mort, en 1677), comme antidote. En effet, il nous démontre, avec une rigueur mathématique, comment atteindre la vérité et par conséquent la joie, par le seul usage de la raison (déduction).
Retour à l’Afrique, pour conclure ce premier chapitre introductif : oui, il faut être actif pour « notre » continent. Et cela suppose agir. Mais il faut le faire en tenant compte des causes et réalités plurielles qui lui sont propres. Partir d’elle, et non malgré elle. Comprendre les mécanismes inhérents, qui nous affectent forcément, pour mieux agir en elle. Cesser de se définir comme un opposant ou un ennemi, c’est-à-dire de manière négative, mais plutôt comme un agent actif de développement, pour le bien commun, assurément. Cette remarque vaut autant pour le dit fort que pour le dit faible.L’approche pratique et pacifiste devrait nous ouvrir la voie vers une certaine joie, car souffrir, contrairement à ce que l’on pense, c’est subir. Et cela nous diminue. Donc il faut agir, là où l’on sait agir, d’abord. Et finalement, nous ne pouvons opérer et persévérer que dans ce que nous comprenons. Une invitation, du même coup, à la tolérance et à l’amour (du prochain). N’est-ce pas là l’essence même du message chrétien, ou musulman…aussi ?
 
Jean Bigambo
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