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Kizito Mihigo : « le Rwanda réconcilié par le Christ »

Kizito Mihigo : « le Rwanda réconcilié par le Christ »

« Si je devais me choisir un nom et que ce nom devrait signifier ce que je suis ou ce que j’aimerais être du fond du coeur, je m’appellerais « le Rwanda réconcilié par le Christ » Kizito Mihigo, mars 2015.

C’est en 2011, que celui que France24 qualifie « d’apôtre de la réconciliation rwandaise » s’installe définitivement au Rwanda après ses études au conservatoire de musique de Paris pour lesquelles il avait reçu une bourse du gouvernement rwandais.

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A son retour au Rwanda, Kizito Mihigo, orphelin et rescapé du génocide des Tutsi à l’âge de 13 ans connait la consécration : les stades, les églises, les salles se remplissent à la seule annonce de sa présence. Au delà des chansons de l’artiste qui font un tabac, ce sont les messages de paix qu’il prône au travers de la fondation « Kizito Mihigo for Peace » qui séduisent les foules au point que la télévision rwandaise lui permet d’animer une émission « Umusanzu w’umuhanzi »[1].

Dans les écoles, les élèves se bousculent pour écouter son enseignement et ses chants. Dans les prisons, les détenus le réclament, aucune couche de la société rwandaise ne parait insensible à l’artiste.

En l’espace de quelques mois seulement, celui qui est né un soir de juillet 1981 à Kibeho devient la superstar du Rwanda. Adulé même par les plus hautes instances du pays qui louent celui qui un instant était devenu à ses propres dires « le chanteur officiel du régime ». Kizito Mihigo tutoiera même les plus hauts sommets de l’Etat lorsqu’il se voit décerné le prix CYRWA (Cerebrating Young Rwandan Archivers), par la fondation Imbuto présidée par Jeannette Kagame en personne. 

Mais loin des paillettes, loin des applaudissements, loin des louanges, loin des foules, loin de cette vie dont beaucoup rêveraient pourtant, Kizito Mihigo ressent un manque profond.

Ce manque est d’une part dû à son amour de la solitude, lui qui est trop sensible à la souffrance humaine. Il déteste en effet être heureux à côté d’un malheureux et pour reprendre ses propres termes il « préfère animer les messes d’enterrement que de chanter dans les messes de mariage »[2].

Ce manque est d’autre part causé par une impression qu’a l’artiste de passer à côté d’une mission divine qui lui a été confiée. Depuis longtemps en effet, Kizito Mihigo, fervent catholique, a la ferme conviction qu’il a été créé par Dieu pour réconcilier les Rwandais comme le résume cette phrase qu’il nous écrira en mars 2015 « si je devais me choisir un nom, et que ce nom devrait signifier ce que je suis ou ce que j’aimerais être du fond du coeur, je m’appellerais « le Rwanda réconcilié par le Christ ».[3][4]

« Je suis le plus grand ennemi de la superficialité et le plus grand ami de la spiritualité »

Bien qu’officiellement, il prône la paix et la réconciliation dans ses interventions, l’artiste a conscience que les balises qui lui sont imposées par la dictature rwandaise pour aborder la question rendent ses enseignements quelques peu superficiels alors qu’il se définit lui même comme « le plus grand ennemi de la superficialité et le plus grand ami de la spiritualité.« 

En effet, Kizito Mihigo, orphelin du génocide des Tutsi, est convaincu qu’une réconciliation est impossible tant que persiste un tabou sur l’épineuse question des victimes Hutu et Tutsi du FPR qui sont privées de mémoire, de justice et même de reconnaissance.   

C’est dans cette quête de spiritualité et dans cette volonté d’aller au plus profond du mal rwandais pour le déraciner que Kizito Mihigo se rapproche de Gérard Nyamihirwa Niyomugabo, un jeune trentenaire professeur d’université dont la profondeur inspire tous ceux qui le croisent.

Kizito Mihigo profite de la tribune qu’il a à la télévision rwandaise pour régulièrement inviter Gérard Niyomugabo, auteur de plusieurs livres, à venir disserter sur différents sujets de société tels que l’histoire, la spiritualité ou encore la reconstruction de la société rwandaise après les différents drames qui l’ont tant endeuillée. 

A côté de ces apparitions publiques, Kizito, Gérard et d’autres jeunes qui se réclament alors du mouvement « Abatangana » passent des heures à échanger sur les actions à mettre en place afin de définitivement mettre un terme aux divisions qui ont rongé la société rwandaise et continuent de la ronger. 

C’est dans ce cadre-là que Kizito sort l’une de ses chansons les plus célèbres « Igisobanuro cy’urupfu- requiem réconciliateur » que l’artiste qualifie « d’apogée de son message de réconciliation ».[5] « Le génocide m’a rendu orphelin. Mais cela ne m’empêche pas d’avoir de la compassion pour d’autres personnes qui ont été victimes des violences qui n’ont pas été appelées « génocide »… Ces frères-là, ce sont aussi des êtres humains, je prie pour eux…ils ont toute ma compassion…je les porte dans mes pensées … (…) il n’existe aucune bonne mort, que cela soit une mort causée par le génocide, la guerre, ou causée par ceux qui commettent des crimes de vengeances » chante notamment l’artiste, se libérant ainsi d’un poids qu’il avait sur le cœur depuis qu’il avait cette impression de passer à côté de la mission divine qui lui avait été confiée. 

Au Rwanda, la chanson résonne comme un coup de tonnerre et beaucoup s’interrogent sur le processus ayant conduit l’enfant chéri du pays à briser d’une manière aussi fracassante un tabou aussi enfoui de la société rwandaise, certains allant jusqu’à y voir une volonté d’ouverture du régime sur cette question. 

Mais la stupeur est encore plus grande du côté du régime où règne incompréhension et colère. Kizito Mihigo est immédiatement convoqué au plus haut sommet du pouvoir par Inès Mpambara, la très discrète mais toute puissante directrice de cabinet du général Kagame. Bernard Makuza, à l’époque vice-président du sénat était également présent.  La suite, c’est kizito Mihigo lui-même qui la raconte « tous les deux m’ont dit que le président n’avait pas aimé ma chanson et que je devais lui demander pardon. La directrice de cabinet et le vice président du sénat m’ont dit que si je ne faisais pas ce qu’ils m’avaient dit, j’étais mort ».

Cette chanson, vécue comme une trahison de la part du gendre idéal que le général Kagame avait personnellement pris sous son aile et les échanges whats app qui seront saisis dans son téléphone attireront l’attention du régime sur le mouvement Abatangana. Au début du mois d’avril soit quelques semaines à peine après la sortie de la chanson, Kizito Mihigo, Gérard Niyomugabo et Cassien Ntamuhanga, ses principales figuressont kidnappés par les forces de sécurité rwandaises. Pendant plusieurs jours, tous trois seront portés disparus.   

« Je suis très heureux d’être la manifestation visible de la vérité rwandaise. »

Gérard Niyomugabo sera arrêté, torturé et près de 6 ans après, il est toujours porté disparu, présumé décédé à la suite de tortures infligées en détention. 

Tout comme Kizito Mihigo, Cassien Ntamuhanga doit la vie à sa notoriété car suite aux pressions internationales, la police avouera le détenir avant de le parader devant les médias. Il parviendra à s’échapper de prison en octobre 2017 et vit aujourd’hui en exil d’où il coordonne les activités des Abaryankuna, le mouvement auquel Abatangana a donné naissance.

Kizito Mihigo pour sa part a été emprisonné 4 ans et demi avant d’être gracié en septembre 2018 par le général Kagame en compagnie de l’opposante Victoire Ingabire Umuhoza et de 2138 autres détenus.

Avant que son arrestation ne soit rendue publique, le chanteur a passé 9 jours dans un endroit qu’il ignore car il avait en permanence les yeux bandés et les mains ligotées. C’est durant cette période qu’il a cru que son heure avait sonné lorsqu’il a été amené près d’une forêt pour un simulacre d’exécution. Il avait fini par accepter d’avouer tout ce qui serait retenu contre lui, ce qu’il a effectivement fait lorsqu’il a été paradé devant les médias.

En quelques mois seulement, Kizito Mihigo venait de passer de superstar du Rwanda à paria.

Malgré son nouveau sort peu enviable, il n’a jamais regretté sa chanson, allant jusqu’à la remettre en ligne après l’avoir dans un premier temps retirée de YouTube suite au sermon d’Inès Mpambara.

Ainsi en octobre 2014, quelques mois à peine après avoir traversé cette épreuve qu’il décrivait comme un « chemin de crucifixion » et alors qu’il était encore en détention, Kizito Mihigo nous écrivait ces mots « Je suis très heureux d’être là manifestation visible de la vérité rwandaise. »

Ruhumuza Mbonyumutwa
Jambonews.net


[1] Contribution de l’artiste
[2] Message à l’auteur du 10 mars 2015.
[3] Ibid.
[4] Dans son message original Kizito Mihigo utilise des lettres majuscules.
[5] Entretien téléphonique avec l’auteur, mai 2018. 

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