L’article publié par IGIHE sous le titre « Idéologie du génocide : la Belgique, gardien du patrimoine génétique » avance des propos d’une extrême gravité à l’égard de la Belgique et des Rwandais vivant en exil, en lui attribuant la responsabilité d’entretenir une prétendue « filiation génétique » avec l’idéologie ayant conduit au génocide rwandais de 1994.
L’usage même de cette terminologie — dépourvue de toute valeur scientifique et historiographique — renvoie aux dérives du racisme biologique du XIXᵉ siècle et ne peut, à ce titre, servir de fondement sérieux à une analyse contemporaine.
Une telle accusation, même relevant davantage de la propagande que de la recherche, nécessite une mise au point rigoureuse – juridique, politique et historique.
Rappel juridique
La Belgique dispose d’un dispositif juridique clair et strict en matière de poursuite extraterritoriale des crimes internationaux ainsi que de répression du négationnisme.
Dès 1995, elle a été pionnière dans la poursuite des crimes internationaux, ce qui a permis les procès historiques de 2001, 2005, 2019 et, plus récemment, en 2024, l’ouverture d’un nouveau procès pour crime de génocide. Ces affaires démontrent que la Belgique n’a jamais hésité à exercer sa compétence lorsque des actes graves sont établis.
Par ailleurs, la loi du 23 mars 1995, modifiée par la réforme du 20 décembre 2019 avec le soutien unanime des partis démocratiques, réprime explicitement la négation, la minimisation grossière ou la justification du génocide contre les Tutsi. Ce cadre légal fait de la Belgique l’un des rares États européens à avoir intégré cette infraction dans sa législation mémorielle.
Dès lors, prétendre que la Belgique serait un “havre” du négationnisme revient à ignorer volontairement ce dispositif, d’autant plus qu’aucune plainte n’a jamais été déposée sur le fondement de cette loi. Si des infractions existaient, elles seraient poursuivies, comme le prévoit la loi.

Sur le plan historique
Il est établi que la colonisation allemande puis belge a contribué à rigidifier les catégories ethniques au Rwanda, notamment à travers des politiques administratives et anthropologiques inspirées du racisme scientifique de l’époque. Ce fait est documenté dans la littérature académique et reconnu dans les débats parlementaires belges.
Mais la construction de la haine génocidaire résulte d’un ensemble de dynamiques internes propres à la période 1959–1994 : révolution sociale, luttes politiques, cycles de violences, guerre civile, propagande ethnicisante, radicalisation idéologique.
Aucun historien sérieux n’établit une continuité “génétique” ou mécanique entre la période coloniale et les décisions politiques prises par les acteurs rwandais des décennies ultérieures. Reconnaître les erreurs du passé colonial ne doit donc pas occulter les responsabilités propres des Rwandais eux-mêmes dans ce processus.
Sur le plan politique
La lutte contre le négationnisme ne peut en aucun cas devenir un instrument d’ingérence. Appeler implicitement la Belgique à sanctionner des associations qui critiquent le pouvoir rwandais revient à méconnaître deux principes fondamentaux :
- La liberté d’expression et d’association, garanties par la Constitution belge.
- La jurisprudence belge et européenne, qui encadre strictement les restrictions possibles à ces libertés. Aucune autorité étrangère ne peut exiger la dissolution ou la limitation d’une association sans preuves matérielles d’un délit effectif.
Confondre critique politique et négationnisme est une dérive dangereuse : dans aucun État démocratique, le fait de questionner les politiques d’un gouvernement — quel qu’il soit — ne constitue un délit pénal.
L’article d’IGIHE intervient dans un contexte où la Belgique a plusieurs fois condamné le rôle du Rwanda dans la guerre à l’est de la RDC. Les accusations publiées s’inscrivent clairement dans une logique d’intimidation diplomatique, visant à faire payer à la Belgique ses prises de position, quitte à instrumentaliser la lutte contre le négationnisme.
En substance, l’article désigne certaines organisations — singulièrement Jambo ASBL — comme négationnistes, sans présenter le moindre écrit, propos ou acte pouvant tomber sous le coup de la loi de 2019. Si des infractions existent, la justice doit intervenir. Mais assimiler des groupes entiers de citoyens à des criminels sur la seule base de leurs opinions politiques relève de la calomnie — infraction qui, elle, est bel et bien punissable.
Conclusion
La mémoire du génocide exige précision, justice et dignité. Mais cette exigence ne peut être usurpée afin de réduire au silence des voix critiques ou pour imposer une lecture unique du présent. La position de l’État belge est claire : si des infractions sont commises, elles relèvent de l’autorité judiciaire, et uniquement d’elle. Le reste n’est que diffamation.