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Le guerre à l’est du Congo, otage de la narrative rwandaise

Le guerre à l’est du Congo, otage de la narrative rwandaise

Depuis quatre ans, l’Est de la République démocratique du Congo (RDC) est le théâtre d’une guerre où les armes ne représentent qu’un versant du conflit. L’autre bataille — moins visible, plus sophistiquée, et parfois plus déterminante — se déroule dans les arènes diplomatique, médiatique et narrative. Et dans ce domaine, le régime rwandais mène une campagne d’une efficacité remarquable.

Ce qu’il faut dire d’emblée, avec clarté, est que la base de la narrative rwandaise est largement fictive, souvent factuellement fausse, et dans de nombreux cas entièrement mensongère. Les menaces invoquées, les justifications avancées et les prémisses idéologiques ne résistent pas à un simple examen empirique.

Dans la grammaire brutale de la realpolitik, qui structure encore la géopolitique contemporaine et les relations internationales, la vérité importe moins que la capacité d’un récit à s’imposer.

Ce qui compte, c’est l’efficacité stratégique du récit — sa capacité à façonner les perceptions, à orienter les décisions et à verrouiller les alliances.

Le régime de Paul Kagame l’a compris mieux que quiconque dans la région. Depuis la résurgence du M23, Kigali ne mène pas seulement une opération militaire : il conduit une opération d’ingénierie narrative, patiemment construite pour influencer les médiateurs, brouiller les responsabilités, inverser les rôles et transformer l’agresseur en victime supposée d’un danger existentiel.

Pour saisir la dynamique actuelle, il faut analyser comment le Rwanda a élaboré, martelé et imposé une série de récits cohérents, qui se renforcent mutuellement et finissent par pénétrer les processus diplomatiques les plus sensibles.

La guerre du Congo n’est donc plus seulement une lutte territoriale.

Elle est devenue une guerre des récits. Et dans cette guerre-là, Kigali a pris une longueur d’avance qui s’articule sur au moins 5 axes.

I. Le déni stratégique : dissocier le M23 du Rwanda malgré quatre années de preuves irréfutables

Le premier pilier de la stratégie rwandaise repose sur un mensonge répété avec constance : le Rwanda ne soutiendrait pas le M23 et n’aurait pas de troupes sur le territoire congolais. Cette affirmation est maintenue avec une discipline implacable, malgré une accumulation de preuves qui défie toute équivoque.

Depuis quatre ans, le Groupe d’experts des Nations Unies documente de manière continue l’implication directe des Forces de défense rwandaises en République démocratique du Congo : fourniture d’armements, entraînement et commandement des combattants du M23, présence de troupes sur le sol congolais, appui logistique, utilisation de drones et de missiles sol-air.

Une enquête majeure de NBC News, étayée par des vidéos géolocalisées, des images satellites et des témoignages concordants, décrit une présence militaire rwandaise « extensive » en RDC.

Les services de renseignement américain, britannique, français — et même chinois — disposent d’éléments convergents, suffisamment étayés pour permettre à leurs diplomaties d’affirmer explicitement que le Rwanda soutient le M23 et déploie des troupes sur le territoire congolais.

Cette réalité est consacrée au plus haut niveau multilatéral : la résolution 2767 du Conseil de sécurité des Nations Unies, adoptée à l’unanimité, mentionne le Rwanda sans aucun conditionnel comme soutenant le M23 et opérant militairement en RDC.

Pourtant, Kigali nie. Inlassablement.

Ce déni n’est pas une maladresse, mais un choix stratégique. Il permet de maintenir une ambiguïté suffisante pour perturber la médiation, diviser les pairs africains, empêcher une condamnation explicite des diplomaties occidentales et préserver une marge de manœuvre militaire. En répétant ce mensonge jusqu’à ce qu’il devienne un paramètre du débat — même s’il est reconnu comme tel — le Rwanda neutralise le cœur du problème : son implication directe.

Ce déni est aussi la clé qui a permis au Rwanda d’obtenir une victoire diplomatique majeure : la dissociation artificielle du conflit en deux processus distincts, l’un sur les relations Rwanda–RDC (Washington), l’autre sur un « conflit interne congolais » entre le gouvernement et le M23 (Doha). Lorsque Kinshasa a accepté, suites aux défaites militaires à Goma et Bukavu, d’entrer en négociation direct avec le M23, sans le Rwanda, Kigali venait d’obtenir ce qu’il recherchait depuis le début : une reconnaissance implicite de la séparation entre le M23 et l’État rwandais. Ce fut le premier basculement narratif majeur de la crise.

Cette « congolisation » du conflit a également été facilitée par la création artificielle de l’AFC, apparue bien après la relance des hostilités, puis rapidement intégrée à l’appellation AFC-M23. Présentée comme une plateforme politique congolaise élargie, avec pour figures de façade plusieurs acteurs originaires de l’ouest du pays et issus de l’espace lingalophone, l’AFC fonctionne en réalité comme un simple dispositif de camouflage.

Le cœur réel du mouvement est constitué principalement de combattants Kinyarwandophones congolais — aux côtés de troupes des RDF — et surtout d’officiers rwandais, qui en assurent la direction effective. Ce sont eux qui définissent les orientations stratégiques, organisent les chaînes de commandement et servent de canaux directs pour l’assistance logistique, financière, militaire et politique fournie par Kigali.

En d’autres termes, la puissance militaire du Rwanda aurait été insuffisante sans sa puissance narrative.

La RDC et le M23 ont signé, à Doha, une déclaration de principes le 19 juillet 2025, suivie d’un accord-cadre le 15 novembre 2025.

II. La construction de la victime : la menace des FDLR comme clef de voûte de la diplomatie rwandaise

Le deuxième pilier narratif repose sur une idée simple : le Rwanda serait engagé dans une bataille existentielle contre les FDLR, un groupe présenté par la narrative rwandaise depuis 30 ans comme le prolongement intact des auteurs du génocide de 1994.

Cette narration est devenue l’élément central de toute communication rwandaise. Elle réapparaît dans chaque communiqué du ministère des Affaires étrangères, dans chaque discours présidentiel, dans chaque intervention diplomatique. Tout, dans la diplomatie rwandaise, converge vers une seule idée : l’existence d’une menace génocidaire permanente qui justifierait tout, y compris les incursions en RDC.

Ce récit s’effondre pourtant à l’examen.

Les FDLR ne représentent pas une menace stratégique pour le Rwanda. Ils n’ont mené aucune attaque transfrontalière d’envergure depuis plus de vingt ans. La majorité de leurs membres n’ont aucun lien avec les forces en présence en 1994 — ce sont des jeunes nés en RDC en exil et qui n’ont jamais connu le Rwanda. Leur ancrage est social autant que politique, enraciné dans des communautés de réfugiés rwandais que Kigali refuse toujours de considérer comme des interlocuteurs politiques. Le TPIR n’a jamais qualifié les FDLR d’organisation génocidaire. Le Rwanda lui-même a intégré des dizaines d’ex-FDLR et ex-FAR dans son armée et ses institutions.

Le discours officiel rwandais est donc une construction politique, pas une réalité sécuritaire.

Et pourtant, cette construction a imprégné les accords de Washington, au point que l’ensemble du texte place la neutralisation des FDLR au centre de la solution.

III. Le récit salvateur : la prévention du “génocide des Tutsi du Congo”

Depuis 2022, Kigali et ses relais ont construit, patiemment, une nouvelle narration : les Tutsi congolais, les Banyamulenge et les communautés rwandophones seraient au bord d’un génocide en RDC. Ce discours est devenu omniprésent dans la communication officielle, relayé par des comptes identifiés et des campagnes de désinformation amplifiées par des réseaux de trolls.

Plusieurs actions convergentes révèlent cette construction méthodique : Kigali a inondé les réseaux sociaux de vidéos non vérifiées présentées comme des preuves d’un “génocide imminent”. De faux comptes se présentant comme congolais ont été créés pour diffuser des propos haineux ; la nouvelle fonctionnalité de géolocalisation de X a permis d’en identifier plusieurs comme étant en réalité basés au Rwanda. Ces contenus sont ensuite utilisés comme de prétendues “preuves”.

L’ONU, influencée par une pression diplomatique coordonnée, a multiplié les communiqués sur les “discours de haine” en RDC. Enfin, Kigali a accusé le Burundi de mener un génocide contre les Banyamulenge du Sud-Kivu, afin de justifier des opérations militaires vers Uvira et Minembwe.

Ce discours n’était jamais apparu lorsque les relations entre Tshisekedi et Kagame étaient chaleureuses. Il n’existait ni en 2019, ni en 2020, ni en 2021. Le récit du génocide en préparation n’est pas né d’une situation objective : il est né d’un besoin stratégique.

Cette stratégie a trouvé une illustration frappante lors de la réunion du Conseil de sécurité des Nations Unies du 13 décembre 2025, tenue après la prise d’Uvira. Alors que la quasi-totalité des membres du Conseil venaient d’accuser explicitement le Rwanda de soutenir le M23 et de violer le cessez-le-feu, le représentant rwandais à l’ONU, l’ambassadeur Martin Ngoga, a consacré l’essentiel de son intervention à son histoire personnelle de survivant du génocide des Tutsi en 1994, à l’inaction de la communauté internationale à l’époque, et à l’existence supposée d’un génocide en cours contre les Banyamulenge, mené “en sourdine” par la RDC et le Burundi.

Pour tout observateur familier de la région, cette intervention pouvait paraître hors sujet. Elle était en réalité parfaitement calculée : personne ne maîtrise mieux que le régime rwandais l’art d’instrumentaliser le génocide de 1994 pour neutraliser les critiques, déplacer le débat et légitimer une politique régionale agressive.

En imprimant ce récit dans l’esprit des diplomates, Kigali a créé un climat où une intervention armée rwandaise pouvait apparaître comme un acte altruiste. Si les Tutsi du Congo sont “au bord du génocide”, alors toute action militaire devient une opération humanitaire.

Cette narration est une transposition directe de la légitimité acquise par le FPR en 1994. Elle permet de répliquer, dans le contexte congolais, le récit fondateur qui a consolidé le pouvoir du régime rwandais.

IV. Comment Kigali a imposé sa narrative comme architecture même de l’Accord de Washington

Le Rwanda et la RDC ont signé une déclaration de principes, puis un accord de paix à Washington le 27 juin 2025.

L’un des aspects les plus décisifs de la crise actuelle est que l’Accord de Washington n’est pas le résultat d’un compromis équilibré, encore moins d’une analyse neutre de la situation sécuritaire à l’Est du Congo. Il est, dans ses fondations mêmes, construit sur la narrative rwandaise. La structure du texte, ses priorités, ses formulations et même son vocabulaire procèdent d’un cadre conceptuel que Kigali impose méthodiquement depuis le début de la guerre: tout doit tourner autour de la “neutralisation des FDLR” et de la “levée des mesures défensives du Rwanda”.

Présentés comme des éléments techniques, ces deux piliers ne sont en réalité que des instruments politiques. Ils ont servi à détourner l’attention internationale du rôle militaire du Rwanda dans l’offensive du M23, et à recentrer le débat sur une menace soit exagérée, soit inexistante, mais devenue centrale dans le narratif rwandais.

Dès la lecture de l’accord, un fait s’impose : la neutralisation des FDLR ne constitue pas un objectif parmi d’autres, mais la condition, la logique et la raison d’être de l’ensemble du processus. Kigali est parvenu à imposer cette centralité, contraignant la RDC et les États-Unis à accepter une fiction stratégique comme fondement d’un traité international.

La conséquence est majeure. En faisant du démantèlement d’un groupe politico-militaire qui partage, sur le papier, les mêmes ennemis que les FARDC et les Wazalendo, l’accord transfère l’essentiel de la responsabilité de la paix sur Kinshasa, tout en lui imposant une équation quasi insoluble. La RDC se voit ainsi sommée d’accomplir une tâche objectivement impossible : neutraliser, sur un territoire vaste comme l’Europe occidentale, un mouvement mobile, largement présent dans des zones contrôlées par les RDF et le M23, et dont la menace militaire pour Kigali n’est en rien comparable à celle que représente le M23 pour l’État congolais.

Kigali savait parfaitement que cette condition était irréalisable. C’est précisément pour cette raison qu’elle a été érigée en condition sine qua non de tout progrès. Une paix construite sur une impossibilité : tel est le piège.

Le second pilier narratif de l’Accord de Washington est encore plus subtil. L’accord introduit, sans jamais les définir, les fameuses “mesures défensives du Rwanda”. La formulation est reprise mot pour mot du CONOPS de Luanda — un document technique qui n’avait jamais vocation à devenir un traité de paix international. Le terme, en apparence technique, est volontairement vide : aucune définition juridique, aucune limitation géographique, aucun critère de déclenchement ou de levée. Personne ne sait ce qu’est une “mesure défensive” rwandaise en RDC. Ni l’accord, ni Kigali, ni les médiateurs ne l’expliquent. C’est précisément ce flou qui en fait un outil redoutable. Car si la notion n’a pas de contours, elle peut couvrir tout ce que Kigali souhaite : présence militaire directe, soutien logistique au M23, occupation de zones stratégiques,… Et pourquoi pas même les avancés vers Uvira, le Katanga et demain Kinshasa ? Ce qui devait encadrer un retrait devient alors un blanc-seing diplomatique, une légitimation implicite de l’occupation.

Si Kigali a pu imposer ces termes, c’est parce qu’il a su exploiter l’impatience stratégique des États-Unis. L’administration Trump — en quête de succès diplomatiques rapides pour des raisons de politique intérieure — avait besoin d’un accord, et vite. Washington n’était pas dans une démarche d’analyse profonde, mais dans une logique d’affichage : produire un accord de paix sur un théâtre de guerre afin de soutenir les dynamiques engagés sur les dossiers les plus stratégiques. Peu importait la pertinence du texte, sa cohérence interne ou sa capacité à produire la paix. Ce besoin d’aller vite a offert au Rwanda une fenêtre d’opportunité unique. Au moment où Kigali prenait Goma et Bukavu, il détenait la position de force militaire, diplomatique et médiatique. Il pouvait donc dicter les termes de l’accord. Résultat : Washington a accepté que l’accord de paix ne soit rien de plus que la reprise, quasiment mot pour mot du CONOPS de Luanda, c’est-à-dire un document technique élaboré dans un autre contexte, et jamais pensé comme un texte politique structurant. Kigali a obtenu que ses priorités — et seulement les siennes — deviennent la structure juridique de l’accord.

Enfin, Kigali n’a jamais été satisfait d’avoir à signer un tel accord à ce moment précis. Convaincu de disposer d’un avantage militaire et politique sur le terrain, et poursuivant des objectifs plus larges d’affaiblissement durable de Kinshasa, le Rwanda n’avait aucun intérêt immédiat à se voir contraint par un cadre diplomatique. S’il a néanmoins accepté l’Accord de Washington, ce n’est ni par esprit de compromis ni par volonté de paix, mais parce que le texte reprend et consacre sa logique narrative. En inscrivant dans un accord international ses concepts clés — centralité des FDLR, flou des “mesures défensives”, dissociation du M23 — Kigali a accepté une contrainte formelle qui, en réalité, légitime sa stratégie plutôt qu’elle ne la limite.

L’accord de paix de Washington a été entériné le 4 décembre 2025 par les présidents Donald Trump, Paul Kagame et Félix Tshisekedi.

V. La fermeture du piège narratif : lorsque Kigali parvient à réécrire la réalité

Les effets de cette architecture narrative se manifestent désormais pleinement. Une fois inscrits dans un accord international, les concepts imposés par Kigali cessent d’être de simples éléments de langage pour devenir des cadres de référence contraignants. Ils structurent la manière dont les médiateurs analysent le conflit, dont les violations sont interprétées, et dont les responsabilités sont distribuées. Le Rwanda n’a plus besoin de convaincre : le récit est désormais intégré aux mécanismes diplomatiques eux-mêmes.

C’est à ce stade qu’opère l’inversion la plus décisive. Kigali ne cherche plus seulement à nier son implication ; il s’emploie à redéfinir la réalité du conflit en temps réel. Le communiqué du ministère rwandais des Affaires étrangères du 10 décembre 2025 en fournit une illustration éclairante : alors même que le M23 progressait vers Uvira, Kalemie et les rives du Tanganyika — à des centaines de kilomètres du territoire rwandais — Kigali accusait la RDC et le Burundi de “bombarder des villages proches de la frontière rwandaise”. Le décalage factuel est manifeste, mais l’efficacité du procédé réside ailleurs : chaque avancée offensive est requalifiée en réaction, chaque violation du cessez-le-feu en riposte, chaque progression militaire en “nécessité humanitaire”.

La force du Rwanda ne tient plus seulement à ses capacités militaires, mais à sa capacité à rendre ses récits opérants dans les enceintes diplomatiques. À force de répétition, ces récits deviennent plus crédibles que les faits qu’ils contredisent. Dans la géopolitique contemporaine, ce sont désormais les mots — bien plus que les cartes — qui définissent l’agresseur, la victime et l’arbitre.

L’une des manœuvres les plus efficaces de cette stratégie reste l’inversion de la charge de la négociation. Alors que la logique politique et historique voudrait que Kigali traite directement la question des FDLR — mouvement d’origine rwandaise, indissociable de la question non résolue des réfugiés — le Rwanda est parvenu à imposer l’idée inverse : ce serait à Kinshasa de négocier avec le M23, présenté comme un acteur congolais autonome. Cette pirouette permet à Kigali d’éviter toute discussion politique sur les FDLR, tout en contraignant la RDC à dialoguer avec un mouvement qu’il structure, encadre et soutient. Le Rwanda se place ainsi en arbitre extérieur d’un conflit qu’il façonne de l’intérieur, tandis que la RDC se voit assigner la responsabilité politique d’une guerre dont les leviers réels lui échappent largement, y compris dans les enceintes censées en arbitrer l’issue.

Conclusion : Pour gagner la guerre sur le terrain, il faut d’abord gagner celle des mots

Thérèse Kayikwamba Wagner
Ministre des Affaires étrangères et de l’Intégration régionale de la République démocratique du Congo

Le conflit qui ravage l’Est du Congo n’est pas seulement militaire. Il est profondément narratif. Le Rwanda n’a pas seulement déployé des unités, du matériel et des forces supplétives : il a déployé une architecture narrative soigneusement construite, largement mensongère — et parfois entièrement fictive — mais qui a une certaine cohérence.

C’est cet édifice discursif, plus encore que les seules victoires militaires, qui a permis à Kigali d’influencer Washington, de diviser les partenaires africains, d’affaiblir la position diplomatique de Kinshasa et de retarder toute sanction internationale.

Et c’est là une réalité amère : ce n’est pas que les grandes puissances internationales ignorent que le Rwanda est l’agresseur — elles le savent. C’est que Kigali a réussi, pour l’instant, à neutraliser les instruments nécessaires pour être sanctionné : le cadre juridique, la charge de la preuve, les termes du débat, et même le vocabulaire de la paix.

La combinaison de l’avantage narratif construit par Kigali et des avancées militaires des RDF sur le terrain a, jusqu’ici, fortement contraint la capacité de la RDC à mobiliser un soutien diplomatique ferme, y compris de la part des médiateurs, en particulier des États-Unis. Tant que le cadre narratif dominant reste celui imposé par le Rwanda, toute inflexion politique en faveur de Kinshasa demeure difficile — même si les prises de position américaines suite à l’offensive rwandaise sur Uvira suggèrent que cet équilibre pourrait évoluer.

La RDC doit tirer une leçon centrale de cette séquence : tant qu’elle ne mènera pas sa propre bataille narrative, elle restera engagée dans une guerre dont le cadre, le langage et les conclusions auront été préécrits par son adversaire.

Après quatre années de crise, une compréhension plus aiguë de la stratégie rwandaise est désormais perceptible chez plusieurs dirigeants congolais. Cette lucidité croissante est un acquis politique important. Mais elle reste, pour l’instant, insuffisamment traduite dans les instruments diplomatiques eux-mêmes : accords signés, communiqués conjoints, cadres de médiation, vocabulaire officiel. Or, en relations internationales, ce qui n’est pas écrit n’existe pas.

Plus largement, plusieurs réalités susceptibles de structurer un contre-récit congolais solide restent totalement absentes du discours officiel de Kinshasa. C’est notamment le cas de la présence sur le territoire congolais de plus de 200 000 réfugiés rwandais — majoritairement hutu — qui sont aujourd’hui ciblés par les RDF/M23 à travers des violences, des rapatriements forcés et des politiques d’exclusion. Ces populations sont prises pour cible précisément en raison de leur identité hutu, tout en demeurant durablement privées de leurs droits civiques, politiques et sécuritaires au Rwanda.

Si Kinshasa considère le M23 comme un proxy et non comme un acteur autonome, si elle estime que les FDLR ne constituent pas une menace existentielle pour le Rwanda, si elle conteste les prémices mêmes ou l’exécution alléguée d’un quelconque génocide en RDC contre des communautés apparentées tutsies, alors ces positions doivent impérativement apparaître — explicitement ou juridiquement — dans les textes négociés et les déclarations formelles. Faute de quoi, le récit adverse continue de structurer le cadre de référence des médiateurs et des partenaires internationaux.

Le rapport de force militaire demeure complexe et défavorable à court terme. Mais cette réalité ne justifie ni le silence narratif ni l’acceptation tacite de cadres discursifs biaisés. Le terrain narratif reste aujourd’hui le principal espace où des avancées politiques et diplomatiques sont encore possibles, à condition d’y investir avec cohérence, discipline et constance.

Dans ce contexte, la stratégie congolaise ne peut plus se limiter à un appel récurrent aux sanctions internationales. Dans un environnement où le récit dominant demeure façonné par Kigali, ces appels peinent à produire des effets concrets. Pour qu’ils deviennent opérants, il faut d’abord transformer le terrain sur lequel ils sont formulés : rétablir les responsabilités, déconstruire les artifices narratifs rwandais, et créer les conditions politiques et juridiques permettant aux partenaires internationaux — y compris les médiateurs — d’agir sans ambiguïté.

Norman Ishimwe Sinamenye

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