L’association internationale IGICUMBI, fondée par des rescapés Tutsi du génocide et basée à Bruxelles, remet en cause le contrôle exclusif exercé par le Front Patriotique Rwandais (FPR) de Paul Kagame sur le récit officiel du génocide de 1994. L’association accuse le régime de Kigali d’instrumentaliser la mémoire à des fins politiques et affirme vouloir reprendre, aux côtés des survivants, la responsabilité de la transmission de la mémoire à des fins historiques.
Dans un communiqué1 daté du 19 avril 2025, l’association international IGICUMBI – Voix des Rescapés du Génocide contre les Tutsi, dénonce ce qu’elle qualifie de « dépossession mémorielle » orchestrée par le pouvoir de Kigali et accuse le FPR de s’être autoproclamé gardien exclusif de l’histoire du génocide.
Le communiqué, diffusé simultanément auprès des grandes instances internationales, de l’ONU à l’Union africaine, marque une rupture supplémentaire entre les rescapés Tutsi du génocide et le régime de Paul Kagame.

Des rescapés persécutés
En substance, le communiqué énumère une série de griefs à l’encontre du FPR, allant de la persécution des voix dissidentes à l’élimination physique de certains survivants critiques. L’association affirme par exemple, que plusieurs personnalités issues des rescapés du génocide ont été physiquement éliminées ou réduites au silence, à l’instar de Déogratias Mushayidi, Yvonne Idamange, ou encore Aimable Karasira, tous emprisonnés ou condamnés à de lourdes peines.
L’association évoque également un programme d’infiltration au sein des associations de survivants, dont certaines seraient désormais dirigées par des individus accusés d’avoir participé au génocide, en échange de leur loyauté au régime.
Un récit instrumentalisé
IGICUMBI dénonce par ailleurs une instrumentalisation stratégique du récit du génocide par le FPR, au service de ses ambitions politiques nationales et régionales. Le parti au pouvoir imposerait un narratif à sens unique, auquel les rescapés sont contraints d’adhérer lors des cérémonies officielles.
Selon le texte, « la mémoire a été confisquée pour justifier un pouvoir centralisé, excluant toute lecture autonome ou pluraliste de l’histoire. »
Par exemple, le communiqué évoque les assassinats de jeunes Tutsi ayant rejoint le FPR entre 1990 et 1994, car soupçonnés d’être proches de l’ancien régime, ainsi que les lourdes pertes humaines subies par les survivants enrôlés dans les conflits extérieurs, notamment en République Démocratique du Congo.
L’association rappelle par ailleurs le rôle du FPR dans l’attentat du 6 avril 1994 contre l’avion du président Juvénal Habyarimana, événement déclencheur du génocide et l’obstruction d’une intervention de l’ONU de ce dernier dans les premières semaines des massacres.
Une bataille pour la vérité ?
En adressant sa déclaration à plus de trente personnalités politiques et diplomatiques à travers le monde, IGICUMBI entend internationaliser le débat sur la gestion de la mémoire au Rwanda. Parmi les destinataires figurent notamment António Guterres, Emmanuel Macron, Volker Türk, ou encore Donald Trump.
Le message est clair : le FPR ne peut plus, selon IGICUMBI, être considéré comme interlocuteur légitime des rescapés ni comme le dépositaire de la vérité historique.
Ainsi, cette déclaration pourrait marquer le début d’un mouvement plus large de contestation du récit officiel. IGICUMBI appelle les rescapés du monde entier à « reprendre en main leur devoir de mémoire » et à refuser l’encadrement politique des commémorations.
Sans nommer ses partenaires à venir, l’association indique qu’elle entend désormais « assumer le rôle de gardien de la mémoire et de l’histoire du génocide contre les Tutsi, aux côtés des rescapés eux-mêmes et de partenaires de son choix ».
À travers cette initiative, IGICUMBI affirme que seule une mémoire libérée du contrôle politique peut préserver la vérité du génocide contre les Tutsi.
Une prise de position à haut risque
La démarche d’IGICUMBI n’est pas sans risque. Dans un pays où la critique du pouvoir n’est pas tolérée, la dénonciation publique d’un « usage politique de la mémoire » expose ses auteurs à d’éventuelles représailles. Mais pour ses membres, le silence n’est plus une option.
Comme le conclut le document :
« L’histoire nous l’a appris : le FPR n’hésite pas à sacrifier des vies pour ses intérêts. C’est pourquoi il est temps que les survivants se réapproprient leur voix, leur mémoire, et leur dignité. »
L’initiative d’IGICUMBI marque un tournant dans l’histoire des associations de rescapés du génocide contre les Tutsi. Pour la première fois, une organisation rescapée sort du silence institutionnalisé et affirme avec clarté sa volonté de s’émanciper de toute instrumentalisation politique. Ce pas de géant, tant symbolique que stratégique, réaffirme une vérité fondamentale : la mémoire n’est ni un outil de pouvoir, ni un levier de légitimation, mais un devoir sacré envers les victimes et un socle pour la réconciliation nationale. En réclamant de manière indépendante le droit de protéger la mémoire du génocide, IGICUMBI remet la dignité des rescapés au cœur du processus mémoriel. Une mémoire libérée, et portée par ceux qui ont survécu est sans doute la meilleure garantie de l’engagement collectif derrière le serment universel : “Plus jamais ça.”
- https://justice-survivors.com/wp-content/uploads/2025/04/statement-no-0419042025-of-the-igicumbi-association_17451700241421.pdf ↩︎