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Pourquoi la « neutralisation » militaire des FDLR est une dangereuse illusion

Pourquoi la « neutralisation » militaire des FDLR est une dangereuse illusion

Lorsque la République démocratique du Congo et le Rwanda ont signé, en juin 2025 à Washington sous l’égide des États-Unis, l’Accord de paix de Washington, beaucoup y ont vu une percée diplomatique — le premier cadre depuis des décennies plaçant le leadership américain au cœur de la stabilisation des Grands Lacs. L’accord promettait une double voie : le retrait des forces et des supplétifs rwandais de l’est du Congo, et la neutralisation des FDLR dans le cadre d’un processus plus large de paix et de retour des réfugiés.
Quatre mois plus tard, la mise en œuvre est au point mort. Les calendriers ont dérapé, les combats ont repris, et l’ambiguïté centrale de l’accord — comment « neutraliser » un mouvement imbriqué dans la vie de près d’un demi-million de réfugiés rwandais — menace désormais de faire dérailler l’ensemble du processus.
À Washington comme dans la région, les cercles de décision continuent de considérer la « neutralisation » comme un problème purement militaire appelant une réponse militaire. Or, tenter d’anéantir une organisation politico-militaire enracinée dans les griefs et les stratégies de survie d’une population réfugiée — et dans les fractures politiques et sociales de l’est du Congo — serait non seulement inefficace, mais aussi dangereusement contre-productif. Cela risque de fracturer la cohésion nationale congolaise, d’aggraver la souffrance humanitaire et de redonner l’initiative stratégique à Kigali, dont les forces et les relais tirent profit de l’instabilité depuis trois décennies.
Washington doit désormais reconnaître que la seule voie viable est politique, non cinétique — et utiliser son levier pour rendre cette voie politique possible.

Pourquoi l’option militaire contre les FDLR ne peut pas fonctionner — et pourquoi elle est contre-productive

Quatre facteurs rendent un « remède » militaire vain.

Premièrement, les coûts humanitaires et politiques seraient immédiats. Une offensive contre les FDLR provoquerait de nouveaux déplacements massifs, favoriserait les représailles et aggraverait une situation humanitaire déjà catastrophique. Les rapports d’organisations de défense des droits de l’homme actives dans la région documentent les attaques répétées contre les villages de Nord-Kivu, où les civils subissent le poids des opérations du M23 et de ses alliés. Étendre la violence à ces zones rurales ne ferait qu’accroître les souffrances et éloigner toute perspective de règlement politique.

Deuxièmement, les FDLR ne sont pas un groupe combattant isolé. Ils représentent, historiquement et socialement, l’expression armée d’une large population de réfugiés rwandais et de communautés congolaises qui craignent persécution et exclusion. On ne peut pas « détruire » un phénomène militaire enraciné dans une population civile sans briser le sentiment de sécurité de cette population — et sans provoquer de nouvelles recrues, de représailles et de déplacements.

C’est pourquoi des décennies d’opérations militaires (Umoja Wetu, Kimia II, Amani Leo, etc.) ont échoué. Même après la mort du commandant Sylvestre Mudacumura en 2019 et d’autres pertes du leadership en 2023, le mouvement a tenu. Sa résilience tient à son ancrage social, pas à sa supériorité militaire. Une guerre d’attrition contre une base sociale n’est pas une solution : c’est un facteur d’aggravation du conflit.

Troisièmement, une campagne brutale déstabiliserait l’équilibre fragile entre les FARDC, les groupes d’autodéfense locaux et les communautés de l’est. De nombreux Wazalendo considèrent les FDLR comme faisant partie d’un réseau de protection face aux exactions du M23 et des RDF. Si les FARDC ciblent des unités FDLR opérant aux côtés de ces communautés, elles risquent d’aliéner des alliés locaux essentiels, d’affaiblir la posture défensive de Kinshasa et, involontairement, de renforcer le M23 et ses soutiens rwandais. Les escalades de 2024–2025 ont déjà montré qu’une opération déconnectée des réalités politiques locales peut se retourner de façon catastrophique.

Quatrièmement, la géographie du conflit rend les exigences de Kigali contradictoires. Les zones historiquement associées aux FDLR — Rutshuru, Kiwanja, Masisi, Nyiragongo — sont aujourd’hui en grande partie sous contrôle du M23 et, par extension, des Forces de défense rwandaises. Ces territoires concentrent aussi les populations de réfugiés rwandais installées depuis 1994, d’où proviennent de nombreux membres actuels des FDLR. En pratique, Kigali demande à Kinshasa de « neutraliser » des forces situées dans des zones déjà occupées et administrées par sa propre armée et ses relais. En occupant et militarisant ces bastions de réfugiés, Kigali confond civils et combattants et transforme des zones de refuge en zones de ciblage. Cette contradiction n’est pas accidentelle : en exigeant la neutralisation de forces situées sur des territoires sous influence rwandaise, Kigali se garantit la possibilité d’imputer à Kinshasa tout éventuel échec — l’objectif n’étant pas la sécurité, mais de maintenir Kinshasa politiquement affaibli, militairement contraint et diplomatiquement discrédité.

La question des réfugiés rwandais est manquante

La crise des réfugiés rwandais n’est pas un simple symptôme du conflit des Grands Lacs — elle en est le point de départ. Quatre mois après l’Accord de Washington, cette dimension — pourtant le véritable moteur du conflit — demeure largement ignorée. Le HCR recense un peu plus de 200 000 réfugiés rwandais enregistrés en RDC, mais le nombre réel, incluant les non-enregistrés, les apatrides et ceux vivant sous une fausse identité, dépasse probablement le demi-million.

Ce n’est pas un enjeu secondaire : c’est la faille centrale de l’instabilité en Afrique centrale. L’arrivée, entre 1994 et 1996, de centaines de milliers de réfugiés fuyant l’avancée du Front patriotique rwandais a provoqué la première grande catastrophe humanitaire de la région. Leur présence dans l’est du Congo est devenue — selon les points de vue — soit une raison, soit un prétexte à l’intervention militaire du Rwanda en 1996. Celle-ci a déclenché la Première guerre du Congo et conduit à la chute de Mobutu en 1997. La question des réfugiés a également été au cœur de la Seconde guerre du Congo en 1998. Depuis, crise après crise, guerre après guerre, chaque flambée de violence dans la région renvoie, d’une manière ou d’une autre, à cette question non résolue.

Il ne s’agit donc pas d’un problème humanitaire marginal, encore moins d’un dossier que l’on pourrait laisser à la narration de Kigali. L’affirmation du Rwanda selon laquelle il pourrait « régler » la question par des rapatriements forcés coordonnés avec le M23 est à la fois illusoire et dangereuse. Il s’agit d’une cause racine de l’instabilité régionale, qui ne peut être traitée que par un règlement politique fondé sur la justice et une véritable réconciliation.

Pourtant, politiquement, ces réfugiés demeurent invisibles, et même au plan humanitaire, leur détresse reste largement ignorée. Depuis des années, des rapports onusiens et d’ONG documentent des massacres ciblés et des persécutions — des actes qui, dans certains cas, pourraient constituer des crimes contre l’humanité voire un génocide — sans qu’aucune réponse internationale structurée n’ait suivi.

Les massacres actuellement perpétrés à Rutshuru, Masisi, Binza et dans les territoires environnants prolongent cette tragique continuité de violence. Ces dernières semaines, des centaines de civils hutu — dont des réfugiés rwandais installés de longue date — ont été exécutés lors d’attaques délibérées menées par des unités M23–AFC appuyées par les Forces de défense rwandaises. Des enquêteurs de l’ONU et des ONG comme Human Rights Watch et Amnesty International ont documenté ces tueries et la destruction systématique de villages hutu. Loin d’être isolées, ces atrocités prolongent trente ans de violences ciblées contre les communautés hutues de l’est du Congo — un schéma déjà détaillé dans le Rapport Mapping de l’ONU de 2010. Leur récurrence, leur sélectivité et l’impunité qui les entoure traduisent une stratégie organisée de nettoyage ethnique, et de plus en plus, une intention génocidaire. Malgré cette réalité abondamment documentée, la réponse internationale demeure timide — comme si reconnaître ces victimes risquait d’ébranler la narration dominante.

Comment une population aussi centrale à l’histoire du conflit peut-elle rester aussi absente des solutions ?

Depuis trois décennies, toutes les tentatives de rapatriement ont échoué parce que les causes profondes au Rwanda demeurent inchangées : absence de sécurité personnelle, de garanties judiciaires, de reconnaissance politique, de réintégration sociale et d’opportunités économiques. Chaque vague de retours forcés ou contraints n’a fait qu’accroître la méfiance et discréditer les institutions chargées de protéger les réfugiés. Ceux qui craignent la persécution cherchent inévitablement à se défendre — et c’est précisément l’existence de ces structures d’autodéfense que Kigali invoque ensuite comme preuve d’une « menace existentielle », justifiant de nouvelles incursions et des guerres par procuration dans l’est du Congo.

Il en résulte un cycle auto-entretenu : la peur engendre des milices, les milices justifient des invasions, et les invasions créent de nouveaux réfugiés. Rompre cette boucle exige bien plus que des opérations militaires ou des programmes de démobilisation : il faut une ouverture politique centrée sur la protection, garantissant un retour véritablement volontaire, fondé sur les droits et encadré par des acteurs tiers crédibles. Sans cela, tout cadre militaire ou diplomatique — aussi sophistiqué soit-il — ne fera que reproduire l’instabilité qu’il prétend résoudre.

La perception érronée des FDLR : quand le récit supplante les faits

La perception actuelle des FDLR semble guidée par un récit davantage politique que factuel. L’étiquette de « groupe génocidaire » qui leur est attribuée n’a jamais été établie juridiquement ni appliquée de manière cohérente. Le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) n’a jamais inculpé de membres de la direction actuelle des FDLR pour génocide. D’ailleurs, parmi environ 500 officiers des anciennes Forces armées rwandaises (FAR), seuls quelques-uns ont été condamnés, tandis que plusieurs ont été acquittés.

Il est essentiel de distinguer les FDLR en tant qu’organisation des individus qui les composent. Si une minorité de leurs membres a servi dans l’ancienne armée rwandaise, la majorité sont de jeunes hommes ayant rejoint le mouvement après 1994, sans lien avec les événements de cette période. Parmi les anciens officiers FAR encore actifs, beaucoup n’ont jamais été accusés d’aucun crime, notamment Victor Byiringiro, président actuel des FDLR, et le général Omega, commandant de leur branche militaire, les FOCA (Forces Combattantes Abacunguzi). Il convient également de rappeler qu’un grand nombre d’anciens FAR ont été intégrés dans l’armée rwandaise après 1994.

Paradoxalement, Kigali a lui-même intégré de nombreux ex-FAR et anciens cadres FDLR à des postes élevés au sein de ses institutions, du ministère de la Défense et des services de sécurité. Si l’appartenance aux FAR suffisait à prouver une idéologie génocidaire, ces nominations seraient indéfendables. La doctrine du « pas de dialogue avec des génocidaires », souvent brandie à l’étranger, s’effondre face aux choix pragmatiques du régime.

De plus, des experts de l’ONU ont documenté que le Rwanda intègre d’anciens membres des FDLR dans les troupes qu’il déploie en RDC — plusieurs centaines selon les rapports — en raison de leur connaissance du terrain. Cette réalité opérationnelle contredit directement la rhétorique officielle de Kigali.

Ces contradictions appellent une réévaluation factuelle du rôle et de la nature des FDLR dans le processus de paix — une étape indispensable pour parvenir à une stabilité durable dans la région des Grands Lacs.

Les racines de cette mauvaise qualification remontent à un épisode fondateur : le meurtre, en mars 1999, de huit touristes occidentaux dans la forêt de Bwindi, en Ouganda. L’attaque, immédiatement imputée à l’Armée de libération du Rwanda (ALiR), précurseur des FDLR, servit de justification aux premières sanctions américaines. Or, des enquêtes et témoignages ultérieurs ont révélé de graves incohérences. L’ex-officier du renseignement rwandais Aloys Ruyenzi a affirmé que l’opération avait été orchestrée par des agents du FPR déguisés en rebelles — une opération sous faux drapeau destinée à renforcer le récit rwandais des « milices hutu terroristes » et à obtenir un soutien occidental à ses campagnes au Congo. Des années plus tard, un tribunal fédéral américain a annulé les aveux centraux dans l’affaire Bwindi, les jugeant obtenus sous la torture. Cet épisode a donné naissance à une arme narrative puissante, perfectionnée par Kigali depuis.

Vingt ans plus tard, l’argument de la « menace sécuritaire » ne tient plus. Les FDLR n’ont mené aucune attaque transfrontalière significative contre le Rwanda depuis plus de deux décennies. Leur présence est désormais défensive, concentrée dans des zones rurales isolées où ils coexistent souvent avec les communautés locales. Les rapports de suivi des Nations unies confirment qu’ils ne disposent ni de la logistique, ni des effectifs, ni de l’ambition pour représenter une menace réelle. Pourtant, Kigali continue d’agiter leur spectre pour justifier ses incursions et maintenir une économie de guerre fondée sur l’exploitation illégale des ressources congolaises.

La fausse équivalence entre les FDLR et le M23 fausse encore davantage la réalité. Le M23 est une force supplétive lourdement armée, financée, dirigée et approvisionnée par les Forces de défense rwandaises. Il contrôle des centres urbains et des corridors stratégiques. Les FDLR, au contraire, sont modestement équipés et enracinés dans des communautés de réfugiés, sans ambition politique, idéologique ni territoriale en RDC Voici ta phrase reformulée pour plus de clarté et de fluidité :

Les opérations passées contre les FDLR — menées en les considérant à tort comme une menace stratégique comparable à celle du M23 — ont provoqué des déplacements massifs de civils sans rien résoudre. Répéter cette approche aujourd’hui fragiliserait davantage les équilibres déjà précaires qui soutiennent le cadre de Washington.

Cette manipulation du récit autour des FDLR n’est pas secondaire : elle constitue le cœur de la stratégie régionale de Kigali et a longtemps influencé la perception américaine du conflit. En reprenant à son compte la narration rwandaise d’une menace permanente, Washington s’est souvent retrouvé aligné sur les objectifs tactiques de Kigali plutôt que sur la recherche d’une stabilité régionale durable. Le paradoxe est désormais évident : les FDLR ne sont pas un ennemi idéologique, mais un prétexte stratégique — un instrument narratif qui sert à légitimer la présence militaire et économique prolongée du Rwanda en République démocratique du Congo.

Un soldat FDLR avec des réfugiés rwandais à Chai dans le Nord-Kivu

Le piège de Kigali

Kigali sait parfaitement que l’anéantissement total des FDLR est impossible — et c’est précisément pourquoi il l’exige. Derrière la rhétorique de la « neutralisation » se cache une stratégie délibérée qui maintient l’est du Congo en flammes depuis trois décennies.

La logique est simple : en poussant Kinshasa à « neutraliser » les FDLR, le Rwanda conduit le gouvernement congolais vers trois impasses. D’abord, démanteler ses alliances locales avec les milices Wazalendo ; ensuite, s’engager dans une campagne ingagnable dont l’échec servira à Kigali de prétexte pour « intervenir à nouveau » ; enfin, entretenir une guerre sans fin qui garantit au Rwanda sa présence, son influence et ses voies d’extraction au cœur du territoire congolais.

Depuis trente ans, les Forces de défense rwandaises ne se sont jamais totalement retirées de l’est du Congo. Malgré leur supériorité logistique, leur capacité de renseignement et leur entraînement et soutien de la part des grandes puissances occidentales, elles n’ont pas « neutralisé » les FDLR — parce que le problème est politique, non militaire. Les FDLR ne peuvent pas être éradiqués par les bombes : ils sont l’émanation d’une population réfugiée enracinée dans des communautés qui ont subi, à maintes reprises, des massacres perpétrés par des supplétifs rwandais. Kigali contrôle des villes via le M23, mais n’a jamais soumis le cœur rural où ces populations vivent, se souviennent et résistent.

Les FDLR d’aujourd’hui ne sont pas les vestiges d’une force de 1994. Ils sont majoritairement composés de jeunes hommes nés et élevés en RDC, fils de ces mêmes communautés persécutées — une excroissance organique de populations visées depuis des décennies simplement pour ce qu’elles sont.

Le schéma est circulaire et pervers : les unités du M23 et des RDF justifient leurs opérations en qualifiant des communautés entières de « FDLR » ou de « soutiens des FDLR » ; les abus suivent, la peur s’installe, et ces communautés se sentent alors contraintes de s’armer ou de s’allier à des groupes d’autodéfense — ce que Kigali cite aussitôt comme une nouvelle preuve d’une « menace existentielle ». La violence fabrique ainsi la justification de plus de violence. L’objectif du Rwanda n’est pas la sécurité, mais le levier. Chaque nouvelle flambée de combats offre un nouveau prétexte : un « corridor », une « opération », une raison supplémentaire de rester. En présentant les FDLR comme une menace existentielle, Kigali obtient une couverture diplomatique pour intervenir librement au Congo tout en se posant en stabilisateur plutôt qu’en déstabilisateur.

Plus dangereusement encore, la définition rwandaise de la « menace » évolue sans cesse. Une fois les FDLR affaiblis ou politiquement neutralisés, Kigali visera inévitablement les milices Wazalendo — dont beaucoup sont dess Hutus congolais — en les qualifiant à leur tour de « génocidaires ». Cette inflation rhétorique garantit qu’aucun civil hutu, ni aucune structure armée hutu, ne puisse jamais être considérée comme légitime, perpétuant ainsi le droit d’ingérence permanent de Kigali.

Cette dynamique ne peut être brisée par la force. Seul un cadre politique traitant la question des réfugiés à sa racine — avec des garanties crédibles de sécurité, de droits et de retour — pourra mettre fin au cycle que le Rwanda entretient depuis des décennies.

Construire la paix par le dialogue : une feuille de route politique pour une sécurité réelle et une stabilité durable

Si la voie militaire est un piège, l’alternative est claire : une feuille de route politique centrée sur la protection, liant le désarmement à des garanties crédibles de retour, de droits et de réintégration. Seul un tel alignement des incitations peut offrir aux combattants une sortie rationnelle, aux réfugiés un retour digne, et au Rwanda les assurances de sécurité qu’il prétend rechercher.

Ce processus devrait commencer par la mise en place d’un Mécanisme conjoint de dialogue des réfugiés rwandais, sous l’égide conjointe de l’ONU et de l’Union africaine, coordonné par les États-Unis, en partenariat avec les acteurs régionaux et des facilitateurs internationaux tels que le Qatar. Ce mécanisme doit être neutre et inclusif — associant les réfugiés de RDC, des pays voisins et des diasporas en Europe et en Amérique — et avoir pour mandat d’élaborer un Cadre de retour et de protection accompagné d’un calendrier clair de réformes institutionnelles, juridiques et sécuritaires au Rwanda.

Kigali, pour sa part, devrait s’engager sur des mesures de confiance datées et vérifiables : garanties de retour sûr sous supervision internationale ; adoption d’une loi d’amnistie ; fin vérifiable des retours contraints de réfugiés et du harcèlement transfrontalier ; et ouverture de l’espace civique et politique. La reconnaissance juridique et l’intégration, dans le paysage politique rwandais, d’acteurs et d’organisations issus des réfugiés sont indispensables, de même que la libération des personnes emprisonnées pour leur engagement pacifique. Il en va de même pour une liberté essentielle : le droit pour toutes les victimes de crimes commis depuis 1990 — au Rwanda comme en RDC — de témoigner publiquement sans être criminalisées comme “négationnistes”. Sans vérité, la réconciliation est illusoire.

Le désarmement ne peut intervenir qu’après le rétablissement de la confiance — jamais avant. Ce n’est qu’une fois les garanties politiques, les garde-fous juridiques et le suivi international en place que tout désarmement pourra être crédible. Dans ce contexte, la démobilisation doit être conçue non comme un acte de reddition, mais comme une étape d’intégration dans un cadre politique négocié.

Une approche pragmatique pourrait commencer par un cantonnement temporaire sous supervision internationale, suivi d’une réintégration légale fondée sur un filtrage transparent et une réinsertion professionnelle adaptée aux compétences. Cette réintégration devrait également offrir des perspectives de responsabilité au sein de l’armée et des institutions civiles, afin que les centaines de milliers de réfugiés de retour se sentent réellement représentés aux plus hauts niveaux de l’appareil sécuritaire et politique.
Pour rassurer les réfugiés, des comités de coordination dirigés par des réfugiés à travers l’est du Congo devraient assurer la gestion de l’information, l’enregistrement et le dialogue local, avec l’appui technique de partenaires internationaux neutres. Compte tenu de la perte de crédibilité du HCR auprès des réfugiés rwandais, celui-ci devrait conserver un rôle technique et logistique, sans en diriger la dimension politique, laquelle devrait relever d’un cadre international élargi.

Si ces conditions sont réunies — garanties crédibles de retour, ouverture politique réelle au Rwanda et vérification internationale —, alors le désarmement deviendra un chemin vers la paix plutôt qu’un instrument de capitulation. Il offrirait au mouvement politico-militaire des réfugiés rwandais une transition négociée et une sortie politique digne, aux réfugiés un sentiment renouvelé de sécurité et de citoyenneté, et au Rwanda la stabilité durable qu’il affirme rechercher.

Enfin, le processus doit être opposable et vérifiable. Son intégration dans le cadre de Washington, l’assujettissement de l’aide à des progrès mesurables, et la mise en place d’un mécanisme de vérification indépendant sous mandat du Conseil de sécurité de l’ONU assureraient la réalité des engagements. Sans vérification ni conséquences, aucun accord ne peut durer.

Pour Washington, il ne s’agit pas de charité, mais de stratégie. Un règlement politique qui restaure la stabilité, favorise un commerce licite et renforce la souveraineté des États de la région représenterait un modèle de diplomatie pragmatique, fondée sur la fermeté, la responsabilité et le respect mutuel.
Mais pour qu’un tel cadre réussisse, la direction rwandaise doit faire face à des conséquences tangibles en cas de non-respect. Tant que Kigali conservera un monopole absolu du pouvoir et la perception d’une supériorité militaire sur ses voisins, il agira comme si la diplomatie était facultative. Le rapport de forces doit donc évoluer : le régime doit comprendre que le non-respect de ses engagements peut fragiliser sa légitimité internationale, ses alliances stratégiques et, à terme, son emprise sur le pouvoir.

Ce n’est que sous une pression diplomatique et économique soutenue que la direction rwandaise considérera la coopération non comme un choix, mais comme une nécessité.
Au-delà de la consolidation de la paix, une telle stabilité protège aussi les intérêts stratégiques des États-Unis, en assurant un accès durable aux minerais critiques indispensables à l’économie mondiale — un objectif central dans la compétition renouvelée de l’administration Trump avec les grandes puissances. Prévenir que la fragilité et le conflit régionaux perturbent ces chaînes d’approvisionnement n’est donc pas seulement un impératif moral, mais une exigence stratégique.

Déjouer le piège narratif de Kigali : une voie américaine vers une paix réelle dans les Grands Lacs

Le Cadre de paix de Washington a constitué une percée d’intention — un témoignage du retour du leadership américain et d’une diplomatie stratégique. Pourtant, dans sa conception actuelle, il risque de prolonger l’instabilité qu’il cherchait à résoudre. En érigeant la « neutralisation » des FDLR sans l’inscrire dans un processus crédible de retour des réfugiés, de protection et de réforme politique, il renforce involontairement le levier de Kigali et affaiblit la position de Kinshasa.

Il est temps de dépasser le piège narratif que Kigali a si habilement construit. Depuis des années, le Rwanda vend à la communauté internationale sa propre définition de la « sécurité » — se présentant comme stabilisateur tout en exportant l’instabilité. Sa stratégie est méthodique, disciplinée et économiquement pragmatique. Y adhérer sans remise en question revient à prolonger la guerre du Rwanda, non à bâtir la paix que le président Trump appelle de ses vœux — et dont la région a si urgemment besoin.

Les États-Unis disposent des leviers décisifs pour réorienter le processus — non pas en relâchant la fermeté face aux groupes armés, mais en redéfinissant la « neutralisation » comme un résultat politique. Une telle approche priverait Kigali de sa justification à maintenir une présence militaire au Congo, empêcherait Kinshasa de s’engager dans des campagnes auto-destructrices, et placerait Washington au centre d’une paix durable et vérifiable.

Dans la pratique, de nombreux acteurs internationaux — y compris les États-Unis — continuent de considérer le Rwanda comme un partenaire sécuritaire commode et une porte d’accès stratégique aux minerais critiques de la région. Cette dépendance, bien que compréhensible dans le contexte de la compétition mondiale, risque de consolider un statu quo d’impunité et d’instabilité.

Pourtant, un Rwanda plus pluraliste et plus inclusif, moins centré sur une structure de pouvoir unique et plus ouvert à la diversité politique et sociale, serait à terme un partenaire régional plus stable, prévisible et pacifique. Une telle transformation servirait non seulement les peuples du Rwanda et de ses voisins, mais aussi les intérêts de long terme des puissances occidentales qui disent vouloir bâtir une stabilité réelle en Afrique centrale.

Norman Ishimwe Sinamenye

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