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Quel avenir pour les paysans rwandais ?

Quel avenir pour les paysans rwandais ?

Récemment, une étude des effets de la réforme agraire sur les paysans du nord-ouest du Rwanda a été publiée par le Dr Neil Dawson de l’Université d’East Anglia au Royaume-Uni. Selon le Dr Dawson, la réforme agraire menée par le gouvernement rwandais comprend des aspects positifs mais la mise en œuvre autoritaire de cette réforme ainsi que les mesures radicales qui réduisent l’autonomie des paysans, qui représentent 90% de la population, amènent à s’interroger sur l’efficacité de cette réforme sur le long terme.
lora_farmer_2_fullLa transformation de l’agriculture familiale et manuelle en une agriculture commerciale orientée vers l’exportation est un défi pour le Rwanda, un pays où 90% de la population vit de l’agriculture avec des petites parcelles familiales inférieures à un hectare.
L’objectif de la réforme agraire menée par le gouvernement est l’innovation de l’agriculture à travers la gestion de la terre et le mode de production. Le mode de production préconisé par les politiques agricoles implique notamment l’utilisation de semences sélectionnées, ayant un marché et des débouchés viables. L’utilisation de ces semences implique en outre l’utilisation de produits fertilisants. Cela représente un changement radical par rapport aux méthodes traditionnelles de culture. Pour se procurer ces semences et les fertilisants nécessaires à leur culture, les paysans se voient obligés de recourir à des crédits bancaires. Or pour la grande majorité d’entre eux, les sources de revenus sont aléatoires d’un mois à l’autre ; par conséquent obtenir un prêt bancaire s’avère très difficile voire impossible. Les paysans pauvres ne pouvant contracter de crédit bancaire se résignent à vendre leur terre.
La politique de la monoculture, autre versant de cette stratégie de modernisation agraire, consiste à imposer à chaque province une culture unique (par exemple le café pour la province de l’ouest). L’un des effets directs de cette politique de la monoculture est la hausse des prix des aliments de base sur les marchés locaux. En avril 2014, le kilo de haricots est passé de 300 à 700 francs rwandais. La patate douce, culture vivrière désormais interdite par l’Etat dans les marais est devenue rare. Cette politique accroît la dépendance alimentaire des paysans vis-à-vis du marché, ce qui génère des problèmes de malnutrition sévère dans les zones rurales.
D’autres pays ont adopté cette politique de modernisation agricole progressivement tout en laissant la possibilité aux paysans de continuer à cultiver selon les méthodes traditionnelles. Dans ces pays, l’innovation agraire n’a pas été imposée mais promue, et elle cohabite avec les pratiques traditionnelles. Au Rwanda, la modernisation agricole a été imposée, si bien que le paysan ne peut pas agir autrement, même s’il juge que la culture unique du maïs est néfaste à long terme pour le renouvellement de son sol ou qu’il ne pourra satisfaire les besoins alimentaires de sa famille.

01Ces politiques qualifiées de réussite par l’Etat sont évaluées à partir de critères insuffisants qui ne prennent pas en compte les impacts négatifs sur les paysans. De plus, les décisions sont prises par le gouvernement sans que les paysans ne soient consultés durant le processus d’élaboration de ces politiques. La vision gouvernementale 2020 promeut une agriculture moderne et productive et pour réaliser cette vision, de nombreuses mesures foncières ont été mises en place, comme la limitation du morcellement des propriétés, la digitalisation du cadastre et la régionalisation des cultures (blé et maïs pour la Province du Nord, manioc et riz pour le Sud, banane et riz pour l’Est, café et thé pour l’Ouest).

Dans certaines régions, certains paysans refusent d’appliquer à la lettre les nouvelles réformes. Dans le marais, ils adoptent la monoculture et sur les collines ils conservent les cultures traditionnelles. Parmi les paysans qui ne détiennent pas un pouvoir politique formel, la politologue américaine Susan Thomson distingue trois formes de résistance au quotidien : la marginalisation choisie, l’obéissance irrévérencieuse et le mutisme marqué. En effet, la politologue précise que dans un Etat tel que le Rwanda, où le pouvoir est fort et centralisé, résister au quotidien s’avère être un défi et la résistance s’exprime par des actes généralement subtiles, indirects et non conflictuels.
Pour appliquer la réforme, des coopératives d’Etat ont été mises en place. En zone rurale, chaque chef de famille doit signer un contrat de performance auprès du représentant des autorités locales. Cela se traduit par une liste d’engagements tels que le paiement de l’assurance maladie qui est passée de 1000 à 3000 francs rwandais par personne et par an en avril 2014 ; la scolarisation de tous les enfants, la réalisation de certains travaux sur la maison, etc. Les paysans qui ne respectent pas la réforme et notamment les mesures de la politique de la monoculture encourent des amendes, des confiscations ou des réquisitions de terres. Actuellement plus de la moitié des paysans sans terre ne peuvent pas s’offrir une mutuelle de santé. Pour le tiers d’entre eux, l’Etat et des donateurs les prennent en charge.
Actuellement, les organisations paysannes ne constituent pas encore des acteurs avec qui l’Etat négocie. Les petits exploitants ignorent les implications et les conséquences de la réforme agraire car celle-ci est rédigée dans un langage technique et parfois uniquement en anglais. La situation est difficile sur les collines. En effet, plus de 60% de la population rurale vit dans la pauvreté avec moins d’un euros par jour et beaucoup d’enfants abandonnent l’enseignement secondaire pour chercher du travail.
142646-004-E67D50C2Selon l’association de coopération et de recherche pour le développement (ACORD) qui accompagne les paysans rwandais face aux réformes agraires et foncières depuis 2005, les principaux gagnants de la réforme foncière et agraire ne représentent que le tiers des propriétaires terriens, ceux relativement riches qui ont su s’adapter à la modernisation à marche forcée. La modernisation agricole se fait au détriment des petits exploitants et au profit d’une nouvelle élite issue du secteur privé. Le programme politique de la vision 2020 envisage la réduction du taux de personnes vivant de l’agriculture de 90% à 50% de la population en 2020. L’Etat investit dans les secteurs du commerce, des services et du tourisme. Mais quelle alternative sera offerte à ces paysans sans qualifications et sans terres? Les jeunes ruraux sans espoir et sans avenir représentent une bombe à retardement.
Marie Umukunzi
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