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Rwanda – Kizito Mihigo : que devient le chanteur chrétien muselé ?

Rwanda – Kizito Mihigo : que devient le chanteur chrétien muselé ?
– Article d’opinion – 

Trois ans et six mois se sont déjà écoulés depuis l’incarcération du célèbre chanteur chrétien rwandais, Kizito Mihigo. Avant son emprisonnement, ce rescapé du génocide était devenu non seulement  l’artiste préféré du pouvoir politique en place au Rwanda, mais aussi une icône de la Paix et la Réconciliation grâce à ses chants et aux activités de sa Fondation. Même si le régime a tout fait pour museler cette voix, les rwandais n’oublient pas leur star, en particulier les chrétiens catholiques qui continuent d’utiliser, pendant les messes dominicales, de nombreux chants liturgiques composés par Mihigo.


Kibeho, cette petite localité dans le Sud du Rwanda devenue célèbre grâce aux phénomènes religieux officiellement reconnus par le Vatican comme apparitions de la Vierge Marie, la Mère de Jésus, et devenue désormais lieu international de pèlerinage pour les chrétiens du monde entier, c’est là que Kizito Mihigo voit le jour le 25 juillet 1981. Troisième de six enfants, Mihigo grandit dans une famille catholique très pratiquante. Ceux qui ont étudié avec lui à l’école primaire de Kibeho dirigée par son père Augustin Buguzi, le décrivent comme étant un élève passionné par l’église et la musique sacrée.  Enfant de choeur dans l’église de Kibeho, tous les matins le petit Kizito se lève très tôt pour arriver premier à la sacristie, afin de servir la messe matinale, avant d’aller en classe. C’est à l’âge de neuf ans qu’il  compose ses premières chansonnettes.

En avril 1994, pendant le génocide, alors que Kizito, sa mère et ses sœurs s’exilent au Burundi voisin, (un voyage de deux jours et deux nuits selon le témoignage du chanteur), son père Augustin Buguzi est assassiné à Kibeho.

Les réfugiés tutsis resteront trois mois au Burundi avant de rentrer au pays en  juillet 1994. Kizito Mihigo, dans ses témoignages publics, a toujours décrit ce temps en exil comme étant une période « pleine de frustrations, de colère et de désir de vengeance. »

Après son retour au Rwanda, le jeune Mihigo reprend l’école, notamment au Petit Séminaire Virgo Fidelis de Butare, Alors qu’il est élève à cette école religieuse destiné à former les futurs prêtres, Kizito commence à composer des centaines de chants de messes, vite exploités par les chorales dans les paroisses rwandaises.

D’église en église , son talent musical se  répand rapidement  dans tout le pays, jusqu’aux plus hautes autorités du pays. En 2000, à 19 ans, Kizito participe à l’écriture musicale du nouvel Hymne National du Rwanda. Il est ensuite recommandé par le Président Paul Kagame pour obtenir une bourse du gouvernement afin d’aller faire des études de musique en Europe.

C’est en 2003 qu’il arrive en Belgique et s’ inscrit à l’Académie de Musique de Court-Saint-Étienne à Ottignies. Il loge au Séminaire Saint-Paul de Louvain-la-Neuve. Son professeur d’orgue est Monsieur Dominique Bodson, directeur de l’Académie et professeur à l’IMEP (Institut de Musique et Pédagogie) de Namur. En 2004 il déménage en France pour continuer ses études au Conservatoire de Paris, où il suit les cours d’orgue et de composition avec les professeurs Madame Françoise Levechin Gangloff et Gisèle Dechorgnat. Il obtient son diplôme de fin d’études en 2008 et, avec un projet de fonder une école de musique classique au Rwanda, en 2010 il décide de rentrer au pays.

Activiste de  la réconciliation 

Pendant son séjour en Europe, le chanteur réuni à plusieurs reprises la communauté rwandaise dans des concerts de musique sacrée, suivies par une Messe souvent célébrée par Monseigneur Leonard, à l’époque Évêque de Namur, puis Archevêque de Bruxelles.

Dans une interview avec Jambonews, Monseigneur Leonard a décrit le chanteur qu’il a connu, comme quelqu’un de « ..très sincère, idéaliste, peut être parfois naïf qui faisait vite confiance…« 

Lors de ces concerts organisés à Bruxelles, Kizito Mihigo n’a pas seulement interprété ses œuvres liturgiques. Il a surtout donné le témoignage de sa vie pendant le génocide et le cheminement qu’il a fait pour arriver à pardonner. Il a décrit le pardon comme étant la « seule clef de la réconciliation, cachée dans le cœur de la victime »
En 2010 lorsqu’il retourne au Rwanda, il crée la Fondation Kizito Mihigo pour la Paix, une Organisation non-gouvernementale pour la Paix et la Réconciliation.

Dès 2011 avec sa fondation, le chanteur parcourt les écoles et les prisons du pays en prêchant le pardon, la réconciliation et la paix au Rwanda. Ces tournées à travers le pays sont régulièrement diffusées à la radio et télévision nationales à travers l’émission hebdomadaire « Umusanzu w’umuhanzi » produite par la Fondation. Les membres de sa fondation parlent d’un homme passionné par son travail. « Depuis que j’ai connu Kizito, c’était toujours impossible de discuter avec lui pendant 10 minutes sans qu’il parle de sa fondation. KMP c’était son bébé qu’il a toujours voulu voir grandir » Nous déclare un membre de sa fondation actuellement en Europe.

Après trois ans d’existence, les activités de cette organisation ont valu au chanteur des prix nationaux comme celui donné en avril 2013 par l’Office Rwandais de la Gouvernance (Rwanda Governance Board) qui est attribué aux ONG locales qui contribuent à la bonne gouvernance ou encore celui donné par la Première Dame Jeannette Kagame aux jeunes rwandais les plus innovateurs. Le Président Kagame lui-même, dans ses discours, n’hésitait pas à citer les paroles des chansons de Mihigo.

Emprisonnement et procès 

La vie du chanteur et ses bonnes relations avec le gouvernement rwandais commencent à  prendre une autre tournure  au mois de Mars 2014, après la sortie de sa chanson « Igisobanuro cy’urupfu » (l’explication de la mort). Selon des témoignages de nombreux proches du chanteur, le mois de Mars 2014 fût une période horrible pour le chanteur qui se préparait à participer à la 20ème commémoration du génocide.

Dans le texte de la chanson chrétienne de 10 minutes, le chanteur rend hommage aux aux victimes du génocide, mais appelle à rendre également hommage à toutes les victimes en évoquant notamment celles de la guerre et celles des vengeances, en faisant une allusion claire aux victimes du FPR.

« Je suis rescapé du génocide mais ce n’est pas pour autant que j’ignore la souffrance des autres … la mort n’est jamais bonne, que ce soit du génocide, de la guerre ou des vengeances »

« Le génocide m’a rendu orphelin. Mais cela ne m’empêche pas d’avoir de la compassion pour d’autres personnes qui ont été victimes d’actes qui n’ont pas été appelés « génocide ». Ces frères-là, ce sont aussi des humains, je prie pour eux…ils ont toute ma compassion…je les porte dans mes pensées ».

Peu après la sortie de la chanson en question, Paul Kagame dit dans un discours : « …Moi je ne suis pas un chanteur qui veut émerveiller les ennemis du Rwanda… »

La chanson est immédiatement interdite sur tout le territoire et Kizito mis sous pression afin de demander pardon pour son message jugé révisionniste et négationniste. Le chanteur est ensuite porté disparu, et la police dit ne pas savoir où il se trouve.

Le 14 avril 2014, soit deux semaines après la disparition, la Police finit par admettre qu’elle détient le chanteur. Il est accusé de crimes graves d’atteinte à la sûreté de l’État et complot contre le pouvoir et le Président de la République. Avant le début du procès, deux interviews confessions sont rapidement organisées pour les médias locaux notamment la télévision nationale. Menottes autour desmains, le chanteur plaide coupable et demande pardon aux rwandais et au Président Kagame.


Ses aveux ne s’avèrent toutefois pas convaincants, la chanteur ne parvenant pas à concrètement expliquer comme il aurait planifié de renverser renverser le pouvoir de Kagame. Plusieurs journalistes et défenseurs des droits humains se demandent où était le chanteur durant les deux semaines de sa disparition. Ils dénoncent une détention illégale et le non-respect de la présomption d’innocence.

Le Ministre de la Culture de l’époque, Monsieur Protais Mitali (aujourd’hui en exil) n’attend en effet pas le procès pour qualifier le chanteur d’ennemi du pays et demande à la population de ne plus écouter ses centaines de chansons. Le 18 avril 2014, l’Office National de l’information (Rwanda Broadcasting agency) publie un communiqué officiel dans lequel il interdit à tous les journalistes d’utiliser les chansons de Mihigo.

Selon le rapport de Human Rights Watch publié en avril 2016, Kizito Mihigo a été détenu dans un lieu tenu secret durant les huit jours qui ont suivi son arrestation. Au cours de cette période, il aurait été torturé et fait l’objet de nombreux interrogatoires intempestifs, décrétés par la police ou par certains cadres gouvernementaux.

Durant le procès, à côté de trois coaccusés qu’il dit ne pas connaître, le chanteur continue de plaider coupable et de demander pardon.
Le 27 février 2015, il est jugé coupable de conspiration contre le gouvernement du Président Kagame, et condamné par la Haute cour de Kigali à 10 ans de prison. Il a fait appel de cette décision auprès de la cour suprême et, jusqu’à présent, il n’a pas encore été convoqué.

Voix muselée

Le pouvoir politique du FPR Inkotanyi qui a précédemment démontré son intolérance vis à vis de ses opposants, en les emprisonnant et en les assassinant, (on peut citer les cas de Madame Victoire Ingabire et les membres des FDU actuellement en procès, Deo Mushayidi, Diane Rwigara et les autres), ne s’attaque pas seulement aux femmes et hommes politiques, mais à de toute voix critique qui émerge y compris au sein de la société civile.

Détenu dans la prison centrale de Kigali, selon les dernières nouvelles, ce chanteur populaire n’a jamais trahi ses valeurs et son éthique personnelles. Depuis qu’il est arrivé en prison au mois d’avril 2014, Kizito n’a jamais eu l’autorisation de recevoir la nourriture venant de sa famille. Il se contente de la ratio prévue pour tous les prisonniers. Des témoignages recueillis auprès d’anciens codétenus nous disent que le chanteur ne s’est jamais plaint de ces conditions difficiles qu’il vit depuis plus de trois ans. Avec son orgue électronique, celui qui autrefois fût l’organiste de la chapelle Nôtre Dame du Saint Sacrement dans le 16ème arrondissement de Paris, anime désormais les messes dominicales en la prison de Kigali pour ces codétenus et tous les mois d’avril, il dirige la période des commémorations pour les prisonniers.
Selon le témoignage d’un ancien prisonnier publié par Mediapart, Depuis qu’il est arrivé en prison, le chanteur aurait «…contribué au retour de la confiance entre certains prisonniers qui étaient constamment en proie à  des haines ethniques »

Rappelons que, dans le dossier judiciaire du chanteur, il ne reste qu’un seul coaccusé, un dénommé Jean-Paul Dukuzumuremyi, ancien soldat démobilisé condamné à 30 ans de prison. Le journaliste Cassien Ntamuhanga qui était également coaccusé et condamné à 25 ans d’emprisonnement, s’est récemment évadé si l’on se réfère aux informations du gouvernement rwandais. Quant à la femme dénommé Agnès Niyibizi qui avouait avoir des liens avec les FDLR puisque son mari en ferait partie, elle a finalement été blanchie par la cour. Durant le procès, le chanteur Kizito Mihigo avait toujours nié connaître ces coaccusés et avait demandé en vain que leurs dossiers soient séparés.
L’emprisonnement de Kizito Mihigo, la star de la chanson rwandaise et icône de la Réconciliation après le génocide, est une démonstration de la fébrilité d’un régime qui connaît déjà sa fin. Les rwandais membres de sa fondation ou fans de sa musique, ne peuvent oublier sa contribution et ses rêves d’une société rwandaise fraternelle, unifiée, et profondément réconciliée.


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Agnès Uwimbabazi
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