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Rwanda – Belgique : la négation du génocide contre les Tutsis, bientôt un crime ?

Rwanda – Belgique : la négation du génocide contre les Tutsis, bientôt un crime ?

Le 24 juillet 2017, Gilles FORET, député fédéral MR[1], déposait une proposition de loi comportant pas plus de 7 articles et visant à sanctionner les personnes niant « le génocide commis par le régime hutu power rwandais en 1994 ». Quelques jours plus tard, plusieurs réactions faisaient leur apparition dans les médias. Bien que les avis étaient partagés en ce qui concerne l’opportunité d’adopter ce type de loi en démocratie, les avis sur le contenu de la proposition (terminologies utilisées, identification des victimes, identification des auteurs) étaient quant à eux unanimement très critiques.
Le 29 Septembre 2017, l’asbl JAMBO, s’invitait au débat en transmettant à l’ensemble des parlementaires fédéraux belges, néerlandophones et francophones, un dossier de 32 pages dans le but de « compléter le débat démocratique et d’éviter que le parlementaire belge ne vote une loi qui pourrait, en plus d’être liberticide, attiser des tensions communautaires, à l’opposé de ce qu’elle semble vouloir prôner » selon les termes de Natacha ABINGENEYE, Présidente de l’association.
Le dossier de l’asbl, disponible sur son site formule un ensemble d’observations et de recommandations liées, d’une part, à l’opportunité de la loi et, d’autre part, à son contenu.
Au sujet de l’opportunité de la loi, l’association de défense des droits de l’Homme renvoie le parlementaire à l’opinion de Anne STAQUET, Professeur de Philosophie à l’UMons, laquelle, dans une carte blanche diffusée par le quotidien « Le Soir » s’interrogeait sur la pertinence de promulguer ce type de loi, puisqu’il s’agit en fin de compte de faire la promotion d’« une forme de bien-pensance ou, pourrait-on dire, de « bien-parlance » ». Pour la philosophe, « promouvoir une telle loi met à mal un principe démocratique fondamental de nos sociétés : celui de la liberté d’expression ».
Concernant le contenu même de la proposition, à savoir les terminologies utilisées ainsi que « la vérité » à protéger, l’asbl JAMBO a exprimé de vives préoccupations portant essentiellement sur les termes « Hutu modérés » et « Hutu Power » qui sont « de nature à stigmatiser éternellement une partie des rwandais ». Sur ce point, JAMBO asbl renvoie le parlementaire à une analyse de Me Patrice Rudatinya MBONYUMUTWA, avocat au Barreau du Luxembourg, intitulée « Rwanda : de quels crimes les hutus et les Tutsis ont-ils été victimes » et publiée sur Jambonews en date du 3 octobre 2017.
Selon Me MBONYUMUTWA, l’utilisation de ces termes est regrettable car d’une part, désigner les victimes Hutu comme étant des « Hutu modérés » « induit implicitement mais nécessairement que les « Hutus », sans autre précision, n’auraient pas été modérés ou, pire, n’auraient pas été victimes », le comble étant atteint « lorsque certains définissent les « Hutus modérés » comme étant ceux qui ont refusé de participer aux massacres, induisant par-là que les Hutus qui n’ont pas été victimes des Interahamwe sont ceux qui ont accepté de participer au génocide des Tutsis. »
C’est ainsi que Me MBONYUMUTWA appelle à éviter « toutes ces désignations qui stigmatisent les auteurs de ce génocide dans leur ethnie comme ayant été les « Hutus », « le régime Hutu power », « les miliciens Hutus » ou les « génocidaires Hutus » mais à désigner les criminels au travers des « mouvements politiques et militaires auxquels ils ont adhéré pour commettre ces crimes » car c’est justement à partir de ce genre d’amalgames que l’idéologie génocidaire peut germer.
L’ensemble du dossier de JAMBO asbl, contenant donc ses propres observations et recommandations, ainsi que les textes du Professeur Anne STAQUET et de Me Patrice Rudatinya MBONYUMUTWA, a été particulièrement bien accueilli par la classe politique belge. Plusieurs parlementaires ont remercié l’association pour « cette contribution citoyenne », certains affirmant « partager les mêmes préoccupations ».
A cet égard, dans un long mail du 26 octobre 2017, le Député fédéral Gilles FORET à l’origine de la proposition, a répondu à l’association en l’informant qu’un certain nombre de modifications avaient d’ailleurs déjà été introduites « suite à un certain nombre d’avis et d’analyses, dont celui de Madame le Professeur Anne STAQUET ».
Le député fédéral précise en effet que les termes « Hutu modérés » et « Hutu Power » ont été supprimés car il rejoint l’observation de l’asbl JAMBO, selon laquelle « les termes utilisés par la proposition de loi pour désigner les responsables du génocide des tutsis et pour désigner les victimes sont inadéquats et susceptibles d’exposer les Hutus dans leur ensemble au mépris de l’opinion publique».
Tout en rassurant l’association qu’une telle loi « ne vise aucunement à brider la liberté de recherche historique » , le député s’est dit convaincu « que la loi est opportune dans son principe » car « la réalité de tous les génocides est remise en cause par un certain nombre de personnes. Cette négation de la réalité est une atteinte à la mémoire des victimes, empêche la réconciliation dans un climat apaisé et attise les haines. »
C’est donc dans cet esprit que la proposition de loi avait été substantiellement modifiée dans une deuxième version déposée le 15 septembre 2017 afin de « réprimer la négation, la minimisation, la justification ou l’approbation du génocide commis contre les Tutsis au Rwanda en 1994 (…) ». Les termes « Hutu modérés » et « Hutu Power » ayant donc disparu, que ce soit dans le titre, les développements et les articles de la proposition de loi.
Dans un entretien accordé à Jambonews, Natacha ABINGENEYE, Présidente de l’asbl a estimé que « ces amendements sont très positifs et répondent aux principales préoccupations formulées par Jambo asbl dans ses observations ». Elle salue notamment les modifications du Député fédéral qui évitent désormais que « les Hutus ne soient plus stigmatisés en tant que groupe ethnique responsable du génocide »
Toutefois, Natacha ABINGENEYE estime que malgré les garanties avancées par le député fédéral, des préoccupations persistent quant à la finalité même de la loi. En effet, « une fois adoptée, la loi risque d’être un obstacle à la recherche de toute la vérité sur ce qu’il s’est passé au Rwanda, notamment en ce qui concerne le rôle et les responsabilités du F.P.R. ou l’implication de certains gouvernements étrangers qui sont des éléments majeurs de l’histoire du génocide des Tutsis non encore élucidés ».
Natacha ABINGENEYE, s’interroge donc sur le sens de rédiger une loi « punissant la négation, la minimisation, la justification ou l’approbation du génocide des Tutsis du Rwanda alors même que la narrative qui a conduit à celui-ci n’est pas totalement établie ». Elle conclue notre échange en annonçant que l’asbl prévoit, dès 2018, un certain nombre d’initiatives pour que le débat citoyen continue avant que la question ne soit définitivement débattue en commission.
Emmanuel Hakuzwimana
Jambonews.net
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[1] http://www.gillesforet.eu

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