Il a souvent été écrit que durant la Guerre Froide, caractérisée par l’affrontement entre l’occident capitaliste (Etats-Unis) et le bloc communiste de l’Est (Ex-URSS), le continent africain n’aurait joué qu’un petit rôle, comparé aux affrontements musclés des deux antagonistes du Nord sur les terres du Sud appelés alors Tiers-Monde: on pensera en premier lieu aux ravages de la Guerre du Vietnam, du Panama et bien sûr Cuba et sa figure emblématique devenue icône de toutes les révolutions: Che Guevara. Mais en Afrique, on retiendra à peine le charisme de Thomas Sankara au Burkina Faso ou encore Patrice Lumumba du Congo. Malheureusement, ces derniers n’auront pas fait long feu au point de suffisamment marquer les esprits au niveau global.
Les Etats-Unis et l’URSS, chacun dans leurs courses à l’armement nucléaire et guerres idéologiques ont « dénigré » l’Afrique et les relations qu’ils entretenaient avec ce dernier étaient souvent jugées superficielles. Les Etats-Unis, après la Deuxième Guerre-Mondiale avaient pour ambition de conquérir le monde à leur tour et, il faut le dire, ce n’est pas les moyens qui leur manquaient pour financer toute initiative à but d’affirmer leur hégémonie planétaire. Et la chute du Mur de Berlin en 1989, marquant la fin du communisme du Bloc Est, fut la partie décisive dans l’affirmation du nouveau Gouvernement Mondial américain-capitaliste. Les Etats-Unis n’avaient alors plus d’ennemis «à leur taille» à combattre sauf quelques rebelles par-ci et là. Mais le repos de l’aigle fut de courte durée, car l’aube, marquant le nouveau millénaire, réveilla un dragon longtemps endormi et bien déterminé à regagner sa place: la Chine…
Ceux qui avaient compris ce principe à travers ce nouveau revirement n’ont pas eu de mal à prédire la suite des événements qu’allait prendre le cours de l’Histoire. Et où de plus improbable que dans un petit bout de terre surnommé le pays des Mille Collines en plein cœur de l’Afrique, qu’un jeune homme, inconnu du monde des grands, mais déjà forcé à l’exil dès son plus jeune âge après les indépendances, se retrouve à lire Mao et Che Guevara dans les camps de réfugiés et maquis ougandais. Ce jeune homme se somme Paul Kagame. Il n’a ni la rhétorique d’un Lumumba ou le charisme d’un Sankara mais bien l’ambition d’un David face à Goliath et la ruse d’un Machiavel, ce dernier avait d’ailleurs lui aussi compris le monde de son époque et était convaincu que l’opportunisme valait de loin toutes autres formes de vertus si on voulait atteindre son but dans la vie.
Comprenant que le socialisme exacerbé de la Françafrique, par ailleurs responsable de sa misère, n’a plus d’avenir, Paul Kagame se joint à Museveni pour combattre la France en Afrique sous la complicité, on s’en doute, de l’Angleterre et des Etats-Unis. Ils y mettent tout les moyens et les «nouveaux chouchous» savent que tant que Blair et Clinton sont de la partie, rien n’est trop grand à leurs yeux et tout leur est littéralement permis mais Time is Money ! L’équation était la suivante: comment renverser Habyarimana du Rwanda, Mobutu du Zaïre, Ndadaye et Ntaryamira du Burundi, tous amis de Mitterrand, et piller au maximum les richesses du Congo (RDC) sans éveiller le moindre soupçon de la part de la communauté internationale ? La boite noire de l’avion des Grands Lacs est loin d’avoir révélé tous ses secrets…
Mais c’est là le hic justement ! Car il y un proverbe rwandais qui dit « les jours d’un larron sont comptés ». En effet, quand tous devront rendre des comptes, personne ne sera épargné, les grands comme les petits. Surtout les petits ! Et l’étau se resserre au fur et à mesure que l’hégémonie américaine, longtemps inébranlable, se fait à présent littéralement aspirer dans la gueule du dragon chinois. Du coup Kagame risque sa peau avant même que toutes les cartes ne soient jouées, mais notre « visionnaire » (pour utiliser le terme de Tony Blair quand il parle de son collègue rwandais) a déjà tout compris: les temps ont changés ! Il faut l’avouer que l’élève a dépassé le maître. L’opportunisme n’est certes pas toujours bien vu dans le domaine des relations diplomatiques, mais là, il crache littéralement son venin sur l’occident et affirme, dans ce contexte, que «nous n’avons pas de leçons à recevoir » parlant d’un occident donneur de leçons à savoir, rappelons-le, sur la démocratie, la bonne gouvernance et autres principes du politiquement correct si chers aux occidentaux. Mais voilà à présent des mots qui passent dans l’oreille d’un sourd une fois arrivés à Kigali.
Faire de la récupération médiatique pour promouvoir ses ambitions politiques ne date pas d’hier. Mais Kagame dans ce jeu, ne semble y voir aucune limite. Et cela a fini par porter ses fruits, du moins à court terme, quand on voit un membre du parti communiste de Chine, Liu Yunshan, affirmer au secrétaire général du Front Patriotique Rwandais (FPR), François Ngarambe que: « La Chine espère travailler avec le Rwanda afin d’ouvrir un nouveau chapitre dans ses relations bilatérales » (Xinhua News Agency, 29 octobre 2010). Quelle claque pour l’occident ! Paul Kagame a retourné sa veste. Mais cela prouve aussi, par la même occasion, que les nouveaux maîtres du monde ne se soucient point de ces terminologies occidentales du comment diriger son pays. Quand on parle de relations bilatérales, c’est fini l’époque où l’on se contentait de venir construire des autoroutes en échanges de quelque sacs de coltan tirés des riches mines du Nord Kivu, en République Démocratique du Congo. Aujourd’hui les rapports entre le Rwanda et la Chine se chiffrent en milliards de dollars. L’économiste zambienne, Dambisa Moyo, adulée par Kagame, a tirée le signal d’alarme sur cette aide « fatale » occidentale. Pour rappel, son livre « Aide Fatale » (2009) : une critique ouverte de l’aide occidentale octroyée aux gouvernements des pays du Sud, cette aide finissant par se transformer en dette insurmontable, entretenant ainsi le cycle infernal de la pauvreté, ne se veut pas seulement d’ordre économique, mais aussi politique dans le sens que Moyo dit, et par conséquent Kagame, qu’ils en ont assez des discours paternalistes de l’occident sur la façon dont ils doivent gérer leurs pays. Et que par conséquent l’occident ferait mieux de changer son approche avec l’Afrique, au risque de perdre leur partenariat privilégié au profit, devinez de qui : la Chine. Ainsi, le Rwanda est passé du statut de bon élève chéri par la communauté internationale à celui de mauvais élève dirigé par un despote, en l’espace d’une banale élection présidentielle! On pourra dire que cette dernière ne lui aura pas fait que du bien.
Car à en croire les faits, le Rwanda serait donc entré, à nouveau, et contre toute attente dans l’histoire du monde, mais cette fois ci sous protection et collaboration étroite avec la Chine. En parlant de protection, car on en fait jamais assez, le ministère rwandais de la défense, James Kabarebe s’est rendu à Pékin en visite officielle chez son homologue chinois, le général Liang Guanglie afin d’ « approfondir et élargir la coopération militaire » (AFP, 23 octobre 2010). Serions-nous dupes au point de ne point pouvoir lire entre les lignes quand on parle de « coopération militaire » quand on sait le nombre important d’usines d’exploitation minières dans la région Nord Kivu aux mains des multinationales chinoises et que celles-ci tiennent avant tout à sauvegarder leurs intérêts ?
On peut donc dire que Kagame aura encore réussi à faire d’une pierre deux coups. Car depuis sa prise de Kigali en 1994 et après avoir servi les intérêts de l’Angleterre et des Etats-Unis en échange d’une protection militaire pour assoir son pouvoir voilà maintenant plus de 16 ans, Paul Kagame estime qu’il est à présent temps d’élargir ses relations et quitter le confort occidental, par ailleurs trop exigeant, pour se tourner vers l’Est et servir les intérêts d’un dragon décidément tout aussi gourmand – et qui sait, le permettre de continuer là où il avait arrêté, le temps d’organiser une élection par ailleurs gagnée à plus de 93% des votes…
En définitive, peut-on parler d’un nouveau Scramble for Africa, dominé par les conflits d’intérêts américains et chinois sur le continent ? Une chose est sûre si l’on veut porter notre imagination au bout: s’il y avait à nouveau une Guerre Froide entre les nouveaux antagonistes du nouveau millénaire, les intérêts se joueront, cette fois-ci, en Afrique. Et la course à l’armement (de ses alliés également) font partie des signes avant coureurs. Il ne reste plus qu’à suivre de près Kagame, le visionnaire !
Jean Bigambo