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Après la Tunisie et l’Egypte, pourquoi pas le Rwanda ?

Après la Tunisie et l’Egypte, pourquoi pas le Rwanda ?
La révolution tunisienne
La révolution tunisienne

La révolution tunisienne

Ah que les révolutions font rêver. On se dit : “…si seulement j’avais la même chose chez moi”. Un peu comme une femme au foyer, lassée d’un mari violent et souvent absent, et qui, en regardant Desperate Housewifes se dit en son fort intérieur que les épouses dans la série, ont certes des maris cocus mais au moins qu’ils sont canons ! Tout ça pour dire qu’on convoite souvent les biens d’autrui, tant la tendance est de penser qu’ailleurs l’herbe est plus verte. Ainsi on espère voir souffler le vent de la liberté en direction du sud. Toujours plus au sud ! Non. A l’est, dit un autre, tiens ! Va-t-on à présent se battre pour ce vent, dont les enchères ne cessent d’augmenter chaque jour ? On ferait une liste des prioritaires. Il ne reste plus qu’à argumenter pourquoi le Rwanda passerait le suivant… Comme si somme toute la force des révolutions se trouvait mystérieusement dans ce vent, tant convoité. Cette intrigue me fait également penser à l’histoire antique de Samson et Dalida. Où cette dernière harcelait incessamment Samson pour savoir le secret de sa force extraordinaire. D’où la tenait-il ? Samson céda et avoua à Dalida que ses superpuissances, dons de Yahvé, se trouvaient en fait dans sa longue chevelure, jamais atteinte depuis la naissance. Une fois le secret révélé, Dalida rasa la tête de Samson durant son sommeil. C’est ainsi qu’elle trahit Samson et celui-ci perdu toutes ses forces, au grand bonheur de ses éternels ennemis, les princes Philistins. Cette petite anecdote pour nous rafraîchir à quiconque s’amuserait à répéter le schéma en pensant que la puissance des révolutions du Maghreb résiderait dans un quelconque vent de liberté, qui semble, à présent, ne souffler que dans le monde arabe – hélas.

Revenons un peu sur terre, si vous le voulez bien, pour rappeler tout d’abord que les révolutions sont faites par des hommes, et non par des vents – si forts soient-ils. Et c’est là la clé de mon argument. En effet, les révolutions de Tunisie et Egypte sont des révoltes du peuple. Un peuple fatigué et tiraillé entre monde moderne et traditionnel, entre occident et orient, entre sécularisme et islamisme. Ces entités ne sont ni fixes ni purement dualistes, mais flexibles et par là je n’assume pas non plus que la modernité est l’avatar de l’occident – rendant ma vision an-historique et statique. En revanche, que le Maghreb et le monde arabe en général sont dans une période charnière et que les peuples au sud et à l’est de la Méditerranée aspirent à des changements : celui d’embrasser le monde moderne tout en restant autonomes. Des souhaits insolubles sous des dictatures sanguinaires vous vous en doutez.

“La stabilité politique n’est pas la stabilité économique et vice versa”

Le Maghreb : malgré le tourisme florissant, il y persiste une impression insoupçonnée que ses « citoyens » sont en fin de compte peu maîtres de leurs destins, n’étant qu’ombres des despotes et puissances occidentales, au nom de la stabilité politique comme l’a souligné Emmanuel Hakizimana, dans son article du 18 février, dont je m’inspire. Mais la stabilité politique n’est pas la stabilité économique et vice versa. En effet, le taux de chômage, l’inflation et la précarité sont les causes premières du mécontentement du peuple tunisien et égyptien, et ce, toutes générations confondues – pendant que leurs dirigeants montrent patte blanche aux bailleurs occidentaux, la population suffoque, loin des plages idylliques.
Il y a une symbolique toute aussi interpellant, celle du rôle qu’on joué les femmes dans ces mouvements de peuples, où elles ont été actrices, elles aussi. Le monde se réunissait en effet sur l’avenue Habib Bourguiba (Tunis) et place Tahrir (Caire) pour revendiquer le départ des Dinosaures corrompus et totalitaires, mais il y avait aussi des appels à l’émancipation, à la reconnaissance, en résumé : à un progrès à valeur humaniste. Car des régimes coercitifs, privant les libertés individuelles et ceux de la presse, les tunisiens et égyptiens ont estimés que ce temps est décidément révolu, qu’il appartient aux “Anciens”. Ils ne veulent plus se contenter de plaire et obéir aux volontés de Ben Ali et le clan de sa femme, Leila Trabelsi ou encore aux discours rébarbatifs de Moubarak : qui tous au fond ne sont préoccupés que par leurs intérêts propres : amasser des fortunes en restant au pouvoir. La jeunesse maghrébine l’a fait clairement savoir : elle ne veut plus qu’on choisisse à sa place. Autre fait, que le courage salutaire de cette dernière a dévoilé indirectement, est l’attitude honteuse de l’occident, qui prétendait défendre la démocratie, quand en fait, elle soutenait les régimes les plus oppressifs. Encore plus étonnant fut leur retournement de veste, une fois leurs « pions » évincés par le peuple en colère: les balbutiements de Sarkozy et sa ministre des affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie ont choqué la communauté internationale tant ils ont fait preuve de cécité délibérée.
Ainsi l’argument intouchable est celui de la stabilité politique ? Pourtant les défenseurs de cette stabilité oublient quelques nuances fondamentales, parce qu’on se demande justement à qui profite cette sainte stabilité politique. Se marchanderait-elle même au prix d’une dictature sanguinaire ? Profite-t-elle au peuple ou plutôt aux dirigeants avares, aux investisseurs étrangers, voire aux touristes !

“Car longtemps la population rwandaise a été divisée entre Tutsi, Hutu et Twa. Est-ce que ces trois ‘protagonistes’ sont-ils prêts aujourd’hui à surpasser ces frontières cristallisées?”

Mukakibibi Saidath (gauche) et Agnes Nkusi (droite)

Mukakibibi Saidath (gauche) et Agnes Nkusi (droite)


Est c’est là que vient ma comparaison avec le Rwanda. Effectivement, à qui revient cette stabilité  et sécurité tant louées au Rwanda ? Quand on sait, comme l’a souligné Hakizimana, que la presse et l’opposition sont muselés. Les opposants Bernard Ntaganda et Victoire Ingabire ; les journalistes Saidati Mukakibibi et Agnès Nkusi Uwimana: tous emprisonnés après des jugements sommaires pour avoir osé critiquer Paul Kagamé, le président “élu” aux urnes. Quant au journaliste Jean-Léonard Rugambage et opposant André Kagwa Rwisekera ils furent froidement assassinés durant la période préélectorale et les dossiers classés sans suite. De cette liste, hélas non exhaustive, on remarque des personnes qui proviennent de toutes branches, de toutes classes sociales et surtout des deux ethnies Hutu/Tutsi. Ils réclamaient eux aussi pourtant un changement, pacifique. Parce que le peuple rwandais est traumatisé à jamais du génocide. Cependant, ce même peuple, est-il assez uni pour créer et provoquer des changements à grande échelle comme ceux vus en Tunisie et Egypte ou encore au Yémen ? Car longtemps la population rwandaise a été divisée entre Tutsi, Hutu et Twa. Est-ce que ces trois “protagonistes” sont-ils prêts aujourd’hui à surpasser ces frontières cristallisées par les missionnaires et les guerres ethniques pour enfin se réunir sur la future « place de la liberté » à réclamer leurs droits et départ de l’impitoyable Kagamé ? Aujourd’hui nous savons que des gens fuient par milliers le Rwanda par peur des représailles et arrestations arbitraires. Dans les campagnes, loin des caméras, le peuple meurt de faim. Il y règne au Rwanda un climat de terreur. L’épée de Damoclès les guettent.
Une grande différence avec le Maghreb, est le relatif isolement des pays des Grands Lacs, représentant un moindre mal à la stabilité mondiale, contrairement au pourtour Méditerranéen – véritable carrefour stratégique et ce depuis des millénaires. De plus, la région inter-lacustre est majoritairement de confession chrétienne, c’est-à-dire un risque en moins face à la montée de l’islam, comme dans le cas du Soudan – qui s’est soldé dernièrement par la sécession du Sud, avec la nouvelle capitale chrétienne et animiste, Juba. Israël est fort préoccupé par ces révolutions du monde arabe. Par conséquent les enjeux des occidentaux au nord de l’Afrique sont différents des enjeux de ceux au centre de l’Afrique.
Comme je l’ai souligné dans mon introduction, la révolution est faite par des hommes, unis et conscients de leurs pouvoirs d’action. Et ma crainte dans ce récit, est que s’il y révolution du « peuple » au Rwanda, elle sera loin d’être pacifique, mais plutôt au prix de milliers de morts, si ce n’est des millions…Une révolution populaire créera l’anarchie. Et je suis persuadé que Kagamé n’a que faire du sort de son peuple et n’hésitera pas à faire usage de la force en massacrant des milliers d’innocents avec sa machine répressive qu’est le FPR (Front Patriotique Rwandais). Donc sur ce point, je ne voterai pas pour une révolte populaire, encore moins pour le soutient occidental, ce dernier ayant des tendances partiales. Par contre, et là je rejoins le point de Hakizimana:  la demande d’un changement progressiste des aspirations de tous les citoyens majeurs. A commencer par le respect des droits individuels et de propriété privé; la liberté de la presse; l’instauration d’une constitution consentie par le peuple, le partage des pouvoirs; un État décentralisé et providentiel plutôt qu’homogène et coercitif, vers un climat de tolérance et de solidarité pour les plus démunis; une société civile pro-active dans les mouvements sociaux comme politiques, transcendant ainsi les clivages ethniques et, surtout, une justice équitable comme base suprême.

“les institutions établies doivent émaner d’un consensus des tous les acteurs de la société composant le tissu social, afin de rétablir la cohésion sociale”

Parce qu’il est grand temps que nos dirigeants africains, dans leur ensemble, se soucient davantage du futur de leur pays, plutôt que d’eux-mêmes: despotes narcissiques, puérils et illégitimes, incapables de céder le pouvoir. Qu’ils aient une vision à long terme qui met en avant le citoyen dans des institutions fortes, approuvées par la société et publiques. La politique ne doit pas être seul garant de la stabilité d’un pays, comme on le voit en ce moment au Maghreb. Mais que l’Etat se doit de réduire les écarts sociaux et combattre les élites corrompues. Cependant aussi, la démocratie passive (pouvoir de la majorité), en Afrique, n’est pas gage de stabilité politique et d’équité quand on sait les clivages ethniques qui y sévissent, comme dans le cas du Rwanda et Burundi. Il y a toujours le danger qu’une démocratie, certes démocratique car de la majorité, se transforme tristement en tyrannique de cette même majorité envers ses minorités: les périodes postindépendances au Rwanda et Burundi étant des exemples notoires. Non, dans le cas de ces derniers, les institutions établies doivent émaner d’un consensus des tous les acteurs de la société composant le tissu social, afin de rétablir la cohésion sociale: élément centrale qui aura pour tâche de triompher sur les clivages ethniques, religieux ou de classes. D’où mon pessimisme de ne point voir les événements de la place Tahrir se reproduire à Kigali. Ma quête ne se veut pas l’appel d’un vent de la révolution, car potentiellement fatale dans le cas du Rwanda, mais plus clairement, d’abord à l’union nationale qui transcende les appartenances ethniques. Le fait de transcender l’ethnie ne sous-entend pas la “nier”, mais plutôt de trouver d’autres liens d’appartenance qui unissent les citoyens d’un État, plutôt que les diviser, afin de réclamer ses pleins droits. Je suis convaincu que seule la solidarité vers des buts communs (lutte contre la pauvreté et l’injustice) nous permettra de recréer la cohésion sociale et de vaincre les dictatures même les plus voraces. Alors, avant la révolution, songez à l’union – nationale, et non ethnique. Comme l’a remarqué le philosophe Emmanuel Kant: tâchons de dégager au préalable, de tous ces discours révolutionnaires, la cause véritable qui rend possible tout progrès. Ne nous focalisons pas sur la révolution elle-même, ce grand événement, mais davantage sur les tendances, les signes, les manières et symboles – anodins “qui ont constitué cet événement” – révolutionnaire en un événement  historique. C’est la symbolique, ressortant de ces révolutions, qui doit nous interpeller et nous donner le “reflex” (ou pas) d’y répondre, à notre tour. Ces révolutions, on dirait qu’elles nous murmurent quelque chose: une mélodie – enfouis dans notre subconscient – appelant au progrès…au droit à la vie. Serait-ce ce vent, dont on parle, qui serait le messager? Que fait-on à présent, maintenant qu’il a soufflé?
Jean Bigambo
JamboNews.net

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