C’est ce qui en ressort de l’étude du Centre pour l’Egalité des Chances et la Lutte contre le Racisme (CECLR). En effet les populations subsahariennes qui font partie des groupes minoritaires de Belgique, ensemble avec celles du Maghreb, de l’Europe de l’Est et de la Turquie, sont cataloguées selon le sondage en question comme « gais », « enjoués » et orientés vers le « plaisir ». Ça, c’est le côté, dira-t-on ‘positif’ de la petite histoire, car il va s’avérer que ces traits apparemment sympathiques qu’on attribue aux africains vont souvent de pair, toujours selon l’enquête, avec « paresseux », « inférieurs » et « moins civilisés ». Une douche froide pour les concernés ! La question est : doit-on prendre cela au sérieux ? Parce que voilà qu’on revient de nouveau sur le débat – tenace – des « races ». Et il en va de la survie des concernés – vus comme primitifs – de répondre à de tels stéréotypes au risque de retomber à nouveau dans le dilemme hégélien, qui voulait que l’esclave assume stoïquement son statut d’inférieur sans jamais chercher à le modifier par peur du châtiment, pire: de la mort. Aujourd’hui il ne s’agit plus de châtiments corporels, mais bien de la recherche d’un logement, d’un emploi… Eh oui, les données ont changé.
De plus, quand on dit « populations subsahariennes », c’est une autre manière – tout aussi évocatrice – de dire «les noirs-africains ». Assurément, parce que si je dis les « subsahariens », je ne suggère point une race (en l’occurrence « noire »), mais bien une région géographiquement « neutre », en revanche qu’on sait peuplée de… Ah la subtile manœuvre! Donc, ne pouvant plus parler de « race » pour ne point se faire passer pour un « raciste », il est plus politiquement correct de les nommer par leur région géographique d’origine, quitte à sombrer dans un sérieux crime contre la logique.
Cette enquête dévoile cependant un point plus profond qu’est celui d’une Europe continentale qui a encore du mal à parler de son passé prédateur et le mépris refoulé que renvoi la couleur de peau. Entre politiques assimilationnistes franco-républicaines et la fameuse « barrière de couleur » propre aux colonies britanniques, la Belgique ne sait quelle attitude adopter face à son malaise postcolonial. Il fallait bien qu’un jour les anciennes puissances affrontent leur passé face à face. En effet, ces « subsahariens » amassés dans les banlieues des pays du nord, ils ne tombent pas du ciel, tant ce serait, aujourd’hui, faire preuve de mauvaise foi que de parler de fracture coloniale, quand il s’agit davantage d’une fracture sociale voire identitaire que portent les agglomérations européennes du XXIème siècle, pour emprunter les mots de l’africaniste Jean-François Bayart. On a beau publier des enquêtes, toutes aussi ingénieuses les unes que les autres, on ne résout toujours pas le véritable problème qu’est celui de la « reconnaissance » de ces minorités, issues d’anciennes colonies. C’est la thèse que développe le philosophe libéral canadien, Charles Taylor. Ce dernier s’inspire en partie de l’écrivain- psychiatre, Frantz Fanon, qui déplora l’image dépréciative qu’ont développé les noirs envers eux-mêmes, sans cesse vus comme inférieurs – de part leur couleur de peau et la symbolique qu’elle recèle – par l’oppresseur blanc durant et après la colonisation. Les longtemps opprimés doivent se libérer – mentalement – de cette image négative qui les condamne. Et cette tâche incombe également à l’ex-colon, afin, dans les mots de Taylor, de « donner la reconnaissance légitime à ceux qui en étaient jusque-là exclus » (traduction française, 1994: 89). Et cela passe aussi par le monde académique, qui doit inclure, dans ses manuels, ces cultures longtemps marginalisées.
Tout ça pour dire qu’on n’échappe pas à son histoire, d’autant que les préjugés ne tardent pas à se cristalliser, même dans nos sociétés dites multiculturelles. Ces dernières commencent par ailleurs à froisser plus d’un quand on voit la montée de la droite, représentée par Bart de Wever, en Belgique, notamment. Une attitude réfractaire face à la crise économique et aux risques incommensurables que représentent la mondialisation, comme l’ouverture des frontières, laissant passer une immigration non-régulée.
Finalement, doit-on tout amputer à l’ex-colon ? Au refus de l’octroi d’un logement décent, à la violence dans les cités, quelle part de responsabilité endossent les communautés « noires » dans leur malheur, entre temps devenu celui des métropoles du nord ? Le lundi 21 mars est dédié à la Journée Internationale pour l’élimination de la Discrimination Raciale. Ce qui est dommage, c’est qu’on reste toujours pris au piège par l’emprise « raciale », quand c’est l’inclusion « sociale » qui fait défaut. A savoir : on ne peut supprimer définitivement le symbole voire le fantasme que renferme le mot « race » – si inexact soit-il, par contre, de cette dernière, on peut l’émanciper pour mieux l’intégrer dans nos sociétés modernes, c’est-à-dire pluralistes. Et cela commence d’une part, comme dit plus haut, par la reconnaissance et d’autre part, le respect mutuel.
Par Jean Bigambo
JamboNews.net