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Rwanda : une étudiante emprisonnée pour «idéologie génocidaire»

Rwanda : une étudiante emprisonnée pour «idéologie génocidaire»

Ecole supérieure de Nyarugunga


Etudiante à l’école supérieure (ESSA) de Nyarugunga au Rwanda, Adeline Niyomugeni a été emprisonnée sous l’accusation de « propagation de l’idéologie génocidaire». Selon les autorités de l’école fréquentée par Adeline, celle-ci aurait prononcé des mots qui ont choqué ses collègues. Dénoncée auprès des autorités policières, Adeline Niyomugeni a été arrêtée le 30 juin 2011 et est incarcérée depuis au commissariat de Nyarugunga.
Selon les informations provenant d’ « igihe.com », « certains étudiants d’ESSA de Nyarugunga se seraient rendus compte que leurs collègues dans leurs conversations utilisaient des mots assimilables à l’idéologie génocidaire (ingengabitekerezo) ». Toujours selon les informations venant de ce site, les mots prononcés par Adeline Niyomugeni auraient mis le feu au poudre.
Choqués par ces mots, certains étudiants se sont réunis le 29 juin dernier, et convenus de la dénoncer à la direction de son école qui, à son tour a dénoncé Adeline à la police de Nyarugunga. L’incarcération d’Adeline est intervenue le 30 juin, néanmoins la direction de l’école a annoncé que « les enquêtes continuent pour mettre la main sur tous les étudiants qui ont osé utiliser les mots  assimilables à l’idéologie génocidaire ».
La loi du silence
Quels mots Adeline aurait-elle prononcé au point de lui valoir la prison ? C’est la question que nombreux continuent de se poser depuis que cette jeune étudiante a été arrêtée. Jusqu’ à maintenant ni la direction d’ESSA de Nyarugunga, ni les collègues d’Adeline n’ont voulu communiquer sur ces prétendus  mots contenant l’idéologie génocidaire que l’accusée aurait- prononcés et qui par conséquent lui ont valu un séjour en prison. Quant à la police Rwandaise, elle dit par son porte parole Theos Badege, « ne pouvoir rien communiquer tant que l’instruction continue ».
Les mots qui mènent en prison
Quels sont ces vocabulaires assimilables à l’idéologie génocidaire qu’il vaut mieux éviter de prononcer au Rwanda au risque de se retrouver en prison ? Si les mots les plus sensibles se rapportent à ce qui est en rapport avec les ethnies et au génocide, en réalité la police et les autorités rwandaises se réservent le droit de qualifier n’importe quel mot comme se rapportant à « l’idéologie génocidaire ». Ainsi tout mot même le plus insignifiant peut faire partie du lot. Par exemple dire qu’une personne est « hutu, tutsi et rescapée » ; même si c’est vrai, peut être qualifié de propagation d’idéologie génocidaire et conduire en prison. Pourtant, dire qu’une personne est un « interahamwe », même si c’est faux, peut être bien vu. L’idéologie génocidaire apparaît donc comme « une accusation globalisante et fourre-tout » qui varie selon le bon vouloir du régime.
Ce qui est étonnant est de constater que ces mots qui peuvent mener en prison par leur simple prononciation, sont proférés souvent et en toute quiétude même devant les assemblées populaires par des hauts dignitaires du régime. Ainsi la phrase  » génocide tutsi perpétré par les hutu » est utilisée fréquemment par les hauts dignitaires du régime.
L’ « idéologie génocidaire » comme « arme de répression »

Theos Badege


Si les autorités rwandaises arguent que la lutte contre l’ idéologie génocidaire est l’une des mesures prises dans le cadre de la réconciliation afin d’éviter au pays de replonger en tueries, en réalité « l’idéologie génocidaire » est une des « armes redoutables du régime », une arme de censure et de répression, discrète mais qui a fait preuve de son efficacité puisqu’ elle a servi et continue à servir comme accusation contre toute personne osant lever la tête pour s’opposer au régime de Paul Kagame.
Depuis l’accession du FPR au pouvoir en 1994, la « propagation de l’idéologie génocidaire » comme accusation a servi à éliminer, à diaboliser et à assurer l’exclusion politique, sociale et économique d’un nombre important de citoyens, qu’ ils soient leaders de la société civile et de la classe politique, responsables des confessions religieuses, commerçants et paysans. Cependant, même si « l’idéologie génocidaire », vient au premier rang des accusations que le gouvernement de Kigali utilise pour réprimer les dissidents, d’autres accusations se rapprochant de cette dernière comme « révisionnisme, négationnisme et divisionnisme ont été inventées » ; le tout dans le but d’épingler les opposants et maintenir la machine répressive du FPR en marche.
D’après VOICE OF AMERICA du 11 octobre 2004, « certains des intellectuels surtout  HUTU, qui ont été accusés de nourrir l’idéologie génocidaire dans le rapport de la Commission parlementaire spéciale adopté successivement par le Parlement et le Sénat rwandais le 30 juin 2004 et par le gouvernement rwandais le 17 septembre 2004 ont été arrêtés et emprisonnés sur cette simple dénonciation et croupissent en prison depuis plusieurs mois ». Le cas le plus flagrant est celui de l’ancien président de la République Pasteur  Bizimungu condamné arbitrairement à 15 ans de prison le 15 juin 2004 pour divisionnisme, alors qu’en réalité c’est pour avoir eu l’idée de créer un parti politique (le Parti pour la Démocratie et le Renouveau (PDR-ubuyanja). On peut également citer le cas de Victoire Ingabire, une autre opposante qui croupit en prison depuis des mois, poursuivie pour « propagation de l’idéologie du génocide, négationnisme et divisionnisme ».
Une accusation controversée
« L’idéologie génocidaire » est une accusation qui n’a cessé de déflorer la polémique que ça soit au Rwanda ou à l’extérieur du pays. Plusieurs organisations de défense des droits  humains et de la société civile nationale et internationale n’ont pas hésité à la qualifier d’une « accusation diffamatoire ». La déclaration publique  d’Amnesty International du 6 juillet 2004 est assez significative : « L’assemblée nationale rwandaise se sert de façon inconsidérée du concept de génocide pour contraindre au silence non seulement les organisations et personnes qui affichent leur désaccord avec le gouvernement, mais  aussi des associations qui entretiennent des  liens profonds avec le peuple rwandais et dont la  loyauté est mise en doute par le gouvernement ». Pour Erwin van der Borght, un responsable d’Amnesty, les lois rwandaises contre l’idéologie génocidaire « sont formulées d’une manière très vague et généralisée, et donc les gens, au Rwanda, ne savent pas qu’est-ce qui est autorisé et qu’est-ce qui ne l’est pas. » Du fait de cette situation, « beaucoup de gens préfèrent ne pas critiquer les autorités parce qu’il y a vraiment une crainte, par exemple auprès des médias indépendants, des activistes des droits de l’Homme et parfois même des opposants politiques, d’être poursuivis en justice »,  ajoute-t-il.
Une accusation qui handicape le système scolaire et effraye les enseignants
Cette accusation d’ »ideologie génocidaire » ne cause pas seulement les problèmes au niveau des libertés, « l’enseignement rwandais » est aussi lourdement miné au risque d’entrainer un éboulement de tout le système scolaire.
En mars 2008, plusieurs medias dont le site « Syfia-grands Lacs. Infos » ont annoncé que ; des centaines d’enseignants rwandais ont déjà rendu leur tablier par la crainte d’être accusés de véhiculer l’idéologie génocidaire. « En ce qui concerne le Rwanda, l’enseignant d’aujourd’hui ne sait pas quoi prendre ou laisser« , remarque un enseignant de Gicumbi dans le Nord. Chacun a peur d’être inscrit sur la liste noire que dresse régulièrement le ministère de l’Éducation pour un geste ou une parole jugés déplacés. Les enfants et les enseignants font attention à chacun de leur geste ou parole, de peur qu’ils soient mal interprétés ». Par exemple, les professeurs ne doivent pas parler des ethnies en classe, ce qui est difficilement évitable lorsqu’on parle du génocide. Il arrive souvent même que les professeurs qui ne donnent pas des bonnes cotes soient souvent accusés par certains élèves de pratiquer la discrimination. Cette peur est renforcée par  le fait que la loi devant réprimer les crimes de propagation de l’idéologie génocidaire prévoit des lourdes peines pour les coupables allant même à la prison à vie.
Adeline Niyomugeni est vraisemblablement victime de cette machine répressive du FPR qui instrumentalise le génocide pour les fins politiques. Pourquoi l’accuser de propager l’idéologie génocidaire ? Comme nous l’avons souligné, la propagation de « l’idéologie génocidaire « est une accusation considérée comme grave au Rwanda, elle permet d’envoyer les dissidents en prison pour plus longtemps. Selon les informations recueillies auprès un étudiant d’ESSA qui a souhaité garder l’anonymat, Adeline Niyomugeni fait partie des nombreux étudiants qui ne portent pas le régime de Paul Kagame à cœur, et a été imprudente de l’exprimer publiquement, ce qui est à l’ origine de ses ennuies.
La surveillance renforcée dans les établissements scolaires
Suite aux révoltes dans le monde arabe, le régime dictatorial de Kigali a doublé ses informateurs dans les établissements scolaires craignant que ces établissements soient l’épicentre de la contestation si les révoltes atteignent le pays. « Sur les établissements scolaires, il devient rare de se rassembler à deux ou trois et de parler un long moment sans qu’ une personne vienne se mettre à côté pour écouter » a  déclaré un ancien étudiant de KIST à Jambonews. Ce sont des véritables services de renseignements qui ont été installés sur les établissements scolaires. Ces petits groupes de gens qui sont chargés principalement d’espionner leurs collègues sont composés par des gens voués à la cause du régime, ils sont étudiants et professeurs, leur nombre varie selon l’effectif total des étudiants inscrits à l’établissement. Quand ils soupçonnent quelqu’un de propager son antipathie envers le régime, ils se réunissent et décident des mesures à adopter. Le plus souvent, ils privilégient de surveiller l’individu en question quelques jours, quand ils jugent que le suspect constitue un risque (d’influencer ou inciter les autres), ils informent directement leur supérieur qui n’est d’autre que la DMI (service de renseignement militaire). C’est à la DMI que revient la décision sur le sort réserve à tout individu pris en défaut. L’accusation lourde comme la « propagation de l’idéologie génocidaire » vise non seulement à écarter la victime, mais également à servir comme exemple et par conséquent dissuade quiconque osant emprunter le même chemin. Ainsi l’arrestation et l’emprisonnement d’Adeline Niyomugeni ne vise pas donc seulement à écarter une dissidente, mais aussi à envoyer un message à ses collègues refusant de se plier à la volonté du régime.
Jusqu’à quand  le gouvernement Rwandais se servira-t-il d’accusation d’idéologie génocidaire pour prendre pour cible ses détracteurs et les discréditer ? Comment peut-on parler de la réconciliation et se livrer à des actes de musèlement de l’opposition et la confiscation de la démocratie ? Quel avenir pour un Rwanda où on risque de passer le reste de sa vie en prison par le simple fait de ne pas approuver les dérives dictatoriales du gouvernement ? Le gouvernement rwandais doit revoir les lois sur l’idéologie génocidaire à cause de l’ambigüité entourant ces lois qui tendent de plus en plus à museler la presse, les militants des droits de l’Homme et toute opposition au Rwanda ; et par conséquent minant les chances de voir le Rwanda devenir un pays démocratique respectueux des valeurs fondamentaux.
Jean Mitari
Jambonews.net

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