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Rwanda – Rudasingwa : après la confession, le Testament

Rwanda – Rudasingwa : après la confession, le Testament


Théogene Rudasingwa

Théogene Rudasingwa

« Paul Kagamé a assassiné le président Juvénal Habyarimana, le président Cyprien Ntaryamira, du Burundi » – dixit l’ex Secrétaire Général du FPR, Théogène Rudasingwa. Des révélations dignes des temps de la Guerre Froide dont l’issue pourrait avoir l’effet d’un séisme sismique dans la communauté rwandaise et internationale…ou pas. Dans tous les cas, Rudasingwa franchit un pas de plus, et la fracture avec le président rwandais Paul Kagamé est à présent consumée.

Il n’y a plus de retour en arrière. Tout, à présent, oppose les deux hommes. Une dualité ravageuse où, d’un côté on a l’ex haut cadre du FPR, qui se porte en martyr du drame rwandais – par la mise à nu des secrets de ce même parti; et de l’autre côté, on a le méchant et tortionnaire Kagamé, responsable de tout. Mais au delà des divulgations, il y a là la tentative d’isoler ce dernier au maximum, considéré comme le mal incarné, en lui attribuant tous les maux. Après cela, l’équation se fait toute seule. Notamment que Paul Kagamé est celui qui a abattu l’avion présidentiel, au soir du 06 avril 1994, à 20h25 précisément. Étaient à bord: les deux présidents – cités plus haut ; des proches du président Habyarimana et membres d’équipage. Le cartel revenait d’Arusha, en vue des Accords de Paix qui avaient pour but une transition démocratique, auquel le FPR aspirait – du moins en théorie, selon Rudasingwa. Mais que tous ces efforts, déjà fragilisés par la guerre civile, furent étonnamment détruits par Kagamé, déjà chef du FPR. En effet, lui n’aspirait qu’à un pouvoir absolu, ce dernier concrétisable par l’usage de la ruse et force guérilla. Donc au diable les négociations! Il fallait éliminer son adversaire, même en plein pourparlers. Un gain de temps odieux.

A l’opposé, on a un Rudasingwa qui se dit ni responsable, ni au courant de ce complot sordide, au moment des faits. Son alibi ? Il était à Kampala, en conférence. Et c’est bien plus tard qu’il apprit la nouvelle, c’est-à-dire le 07 avril, à 01h du matin. Il en va de même pour la majorité des membres du FPR, à savoir qu’ils ignoraient la manœuvre subversive de Kagamé.

Par ses propos, Rudasingwa tenterait-il ainsi de sauver l’honneur du FPR en disculpant ce dernier et, au final, n’isoler que Paul Kagamé comme unique responsable du désastre ? Très peu convaincant, et à vous d’en donner la raison. L’opposant reproche surtout à Kagamé d’avoir été fourbe envers Habyarimana. L’entêtement du premier – qu’était d’avoir le pouvoir absolu – quel qu’en soit le prix humain, fut la véritable cause de la déchirure. Et aujourd’hui, Rudasingwa témoigne que son pays natal souffre en son sein, malgré les efforts économiques à noter. En effet, l’antagoniste déplore chez ce dernier qu’il y règne une culture de l’impunité et de fausseté. Dans le premier cas, Rudasingwa parle du rôle très partial qu’a joué le Tribunal Pénal International du Rwanda (TPIR), après le génocide de 1994 – notamment qu’il omit de juger les crimes “Tutsi”.

Mais la question que tout le monde se pose est: pourquoi ces révélations, 17 ans après ? Et comment un plan (attentat) aussi bien calculé peut-il être l’œuvre d’un seul homme, Paul Kagamé? Bien sûr Rudasingwa, au risque de se contredire, parle de responsabilité collective, d’où son besoin de dire “pardon” au peuple rwandais et autres victimes, après tout ce silence et ses morts. Oui, Rudasingwa en a assez du culte du mensonge: véritable plaie de la société rwandaise. Mais, si réellement il veut sortir de ce système certes affligeant, en proposant le rétablissement de la Justice, de l’authenticité, bref: de Dieu, il devrait savoir que de la première citée son effectivité est obsolète, aussi longtemps qu’il continue à la baser sur le principe de culpabilité. En effet, ne faut-il pas sortir de cette forme de justice basée sur la recherche absolue d’un coupable? C’est un cercle vicieux. Et Rudasingwa, en attribuant tous les maux à Paul Kagamé, il ne résout pas la cause véritable. Bien au contraire, il l’exacerbe, en innocentant le FPR. Oui, la tentative de Rudasingwa qu’est de noircir Kagamé – coûte que coûte – tout en se blanchissant, montre une certaine forme de mauvaise foi de la part du premier.

Ne faudrait-il pas aussi placer le communique-Testament de Rudasingwa, publié le 01 octobre, dans son contexte politico-historique? Notamment que la date choisie de diffusion (01 octobre) a une pleine signification pour le FPR à bien des égards : date du début de la guerre civile au Rwanda, en 1990, mais aussi: date de l’assassinat de Fred Rwigema – leader du parti FPR et par ailleurs le véritable héros de la guerre de Libération, loin derrière Kagamé. Une politique de dénigrement envers son rival Kagamé et ses alliés ?…En parlant d’alliés, s’ajoute à ça un autre contexte qu’est celui de la visite de Yoweri Museveni à son homologue rwandais, à Kigali, en juillet 2011: deux dirigeants belliqueux réputés être des ennemis jurés, que voilà à présent réconciliés. On connaît aussi le soutien majeur de Museveni au FPR durant les négociations d’Arusha, citées plus haut, et l’implication de son armée dans la Grande Guerre des Grands Lacs, de 1993 à 2003: des faits recensés par le Rapport Mapping de l’ONU.

A vrai dire l’intervention de Rudasingwa nous pousse à aller plus en profondeur, notamment en faisant une rétrospective. En effet, la période répressive et terrorisante que traverse actuellement le Rwanda n’est-elle pas sans rappeler les années noires du stalinisme? Les similitudes sont si flagrantes qu’il devient impossible de passer outre. Les voici:

Le kagamisme (nommons-le ainsi) a été responsable, de même que le stalinisme, au niveau juridique, de trois grands crimes, à savoir (1) crimes contre la paix, c’est-à-dire guerre(s) d’agression et méthodes de subversion, etc. ; (2) crimes de guerre « définis à l’article 6b comme ‘les violations des lois et coutumes de la guerre (…) l’assassinat, les mauvais traitements ou la déportation (…) assassinat ou mauvais traitement des prisonniers de guerre (…) le pillage des biens publics ou privés’ » et enfin (3) crimes contre l’humanité : « ‘L’assassinat, l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles’ » [1] . La guerre d’octobre 1990 ; le génocide rwandais de 1994 ; les massacres des réfugiés Hutu et populations congolaises entrent tous dans ce cadre. Rudasingwa a surtout insisté sur les deux premiers.

Il y aussi, en parallèle, la question de complicité ou complaisance de l’occident – ce dernier pourtant défenseur de la démocratie. Et la visite du 13 septembre 2011 de Paul Kagamé à son homologue français, Nicolas Sarkozy, irrita au plus haut point ses détracteurs.

Revenons à notre comparaison, soit là où la révolution bolchévique, commencée par Lénine et continuée par Staline, commettait un génocide “de classe”, c’est-à-dire la suppression systématique de la classe bourgeoise; le Kagamisme lui commettait un génocide “ethnique” contre les populations Hutu, dans le même registre que celui commis par les interahamwe d’avril à juin 1994, contre la minorité Tutsi. Cependant, dire cela ce n’est en aucun cas justifier l’un sur l’autre. Tous sont des crimes – objectivement et indépendamment analysables – autant par le juriste que l’historien.

La question qu’est de savoir pourquoi ces crimes de masse tardent à sortir de l’ombre, malgré les faits tangibles présents, n’est pas moins mystique. En premier lieu: le Rwanda a su se (re)faire une crédibilité notoire en s’ouvrant au niveau international, par la promotion d’une économie favorable aux investissements étrangers. Bref : à l’ouverture de l’économie de marché, qu’est le capitalisme. Une vitrine qui occulte totalement l’aspect national, à savoir une justice pour tous et réconciliation du peuple rwandais dans sa totalité. En deuxième lieu: il y a la propagande bien huilée dont d’ailleurs Rudasingwa a confessé avoir été l’un de ses cerveaux. L’utilisation d’un langage ambiguë et faussement moderne, qui rappelle constamment le passé – accusateur, mais jamais accusé. De même que la suppression de l’identité ethnique – qui, elle aussi, n’est pas sans rappeler le châtiment de l’identité religieuse orthodoxe sous le bolchévisme. Au final: une mémoire confisquée et niée par les autorités en place.

Avec ces faits brièvement traités ci-dessus, ne peut-on pas conclure que la révolution Kagamé n’est qu’une copie bon marché du bolchévisme, mais sous une casquette capitaliste? Les faits le prouvent. L’absence de liberté d’expression et de presse est un élément. Le Rwanda est sous le contrôle d’un parti unique assassin dont le solde se compte en millions de morts congolais, Twa, Tutsi et Hutu. Paul Kagamé marquera les souvenirs comme avoir été le dictateur le plus sanglant du continent africain, à l’image de Staline, dans le cas de l’Union Soviétique. De même que Staline était plébiscité par la communauté internationale durant l’âge d’or de son parti, Kagamé n’a rien à craindre, du moins pour l’instant. En effet, ce fut des décennies plus tard que toute la lumière fut mise sur les crimes de Staline. Et le monde fut sous le choc.

Oui, l’histoire se répète. Voici une anecdote encore plus interpellante: Nikita Khrouchtchev (Premier secrétaire du Parti Communiste d’Union soviétique), fut celui qui dénonça, en février 1956, les horreurs du règne de Staline…comme le fait aujourd’hui Théogène Rudasingwa : ex-Secrétaire Général du Front Patriotique rwandais ! Voilà la Bête détruite par sa propre progéniture. En effet, c’est Khrouchtchev qui lança une campagne médiatique dont le but était de “détruire méthodiquement l’image du ‘petit père des peuples’, du ‘génial Staline’ qui fut, trente années durant, le héros du communisme mondial”. Et que “Pour la première fois, un dirigeant communiste du plus haut rang a reconnu officiellement…que le régime qui s’était emparé du pouvoir en 1917 avait connu une ‘dérive’ criminelle” [2], écrit l’historien Stéphane Courtois, dans « Le livre noir du communisme »

Creusons encore, à savoir: pourquoi Khrouchtchev, l’ex-Secrétaire Général? Là aussi, pas de surprise, notamment que “son objectif principal était d’imputer les crimes du communisme au seul Staline et ainsi de circonscrire le mal et de l’exciser afin de sauver le régime (…) Lui, qui avait été le grand patron de l’Ukraine pendant des années et, à ce titre, avait mené et couvert de gigantesques tueries, semblait fatigué de tout ce sang…Khrouchtchev rappelle ses états d’âme” Courtois poursuit : “La voix qui dénonce les crimes de Staline ne vient plus d’Occident, mais de Moscou, le Kremlin. Elle n’est plus celle d’un communiste en rupture de ban (n.d.l.r pensez, en comparaison, à feu Abdul Ruzibiza), mais du premier des communistes dans le monde, le patron du Parti de l’Union soviétique”. L’impact sera fort parce que “jusqu’à ce moment-là, la dénonciation des crimes communistes n’était venue que de la part des leurs ennemis ou de dissidents trotskistes ou anarchistes ; et elle n’avait été particulièrement efficace”. [3]

Ce long extrait tiré du bouquin est proche, voire identique au cas Rudasingwa/FPR/Kagamé. C’est une affaire d’abord interne. Rappelez-vous également de sa première confession, analysée par JamboNews, sous « Rwanda : Rudasingwa, ou la confession d’un ex-membre du FPR ».

Par conséquent, ma conclusion ne peut qu’être brève, à savoir que dans l’histoire de l’humanité, le phénomène Kagamé/FPR n’est pas un phénomène isolé, mais juste une médiocre répétition de l’histoire et ses guerres de pouvoir, sous des aspects et latitudes différents. La révolution Kagamé/FPR a certes été une révolution – économique, mais alors des plus meurtrières, au même titre que la révolution bolchévique d’octobre 1917. Et bien que tout semble opposer le petit Rwanda à l’immense Russie tsariste de l’époque, il y a un point commun: une révolution engagée dans un pays à population dite “pré-moderne”, c’est-à-dire à majorité paysanne et pauvre. Elle se voulait un renversement radical et à posteriori utopique des pratiques socio-économiques. Quant à la différence majeure: c’est la majorité pauvre, en Russie, qui se révolta et renversa le Tsar. Au Rwanda, ce fut le phénomène contraire, à savoir une minorité (Tutsi) qui renversa une majorité (Hutu). Mais au final on arrive au même résultat: un désastre humanitaire. La démocratie ce n’est pas juste une question de votes majoritaires. Assurément, un pouvoir majoritaire peut être tout aussi tyrannique qu’un pouvoir minoritaire. Donc là est le danger, pour ceux qui rêvent de voir le Rwanda organiser des élections libres dans le futur. Et que les points soulevés dans cet article ne se veulent pas une critique du communisme et son idéologie en général, mais une critique du stalinisme et, dans le cas du Rwanda, du kagamisme. C’est la nuance.

Pour terminer, il en va alors de chaque acteur de la société civile – à présent transnationale – composée de Tutsi, Hutu, Twa, congolais, américains, français, belges etc. pour apporter lumière à l’histoire afin d’avancer vers une humanité qui se veut active à l’échelle globale, mais avec un impact local. Et le rôle du dissident Rudasingwa est tout aussi capital. Par conséquent, son Testament est salutaire, et il aura, c’est mon avis, sa porté historique.

Jean Bigambo

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[1] Stéphane Courtois “Le livre noir du communisme: crimes, terreur, répression”. Editions Robert Laffont, Paris. 1997. p 16-17
[2] ibidem p.40
[3] ibidem p.41-43

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