Ce jeudi 5 janvier 2012, le Rwanda, la Belgique et la société Agro-Consult se rendront devant le juge des saisies du Tribunal de première instance de Bruxelles dans le cadre de l’affaire des comptes de l’Ambassade du Rwanda à Bruxelles, toujours bloqués par la justice belge depuis le 20 octobre 2011.
Le 10 novembre 2011, le Rwanda annonçait, par la voix de sa ministre des affaires étrangères, Louise Mushikiwabo, avoir bloqué, « jusqu’à nouvel ordre », les comptes de l’ambassade de Belgique à Kigali par « application du principe de réciprocité » à l’égard des autorités belges qu’elle accusait d’avoir violé la Convention de Viennes sur les immunités diplomatiques.
A la date du 4 janvier 2012, les comptes de la Belgique au Rwanda sont toujours bloqués « puisque les raisons de leur fermeture persistent » a fait savoir à Jambonews, via Twitter, le Ministère des affaires étrangères du Rwanda avant d’ajouter que le Rwanda attendait du gouvernement belge, qu’il « prenne ses responsabilités de protection de présence diplomatique en Belgique, comme prévu par la Convention de Vienne. »
Rétroactes de l’affaire
Le 20 octobre 2011, une saisie-arrêt pour un montant total de 223 046, 02 Euros comprenant le principal, les intérêts et les frais de recouvrement a été effectué sur le compte de l’ambassade du Rwanda à Bruxelles, suite à la plainte de Gaspard Gatera un ressortissant rwandais, réfugié en Belgique. De cette somme, seul un montant de 183 00 euros a été effectivement saisi, correspondant au montant total qui se trouvait sur le compte de l’Ambassade du Rwanda à cette date.
En date du 26 octobre 2011, le Rwanda a introduit une citation en opposition à saisie-arrêt, devant le juge des saisies du Tribunal de première instance de Bruxelles, le juge « naturellement » compétent pour les litiges autour des saisies.
Parallèlement à cette procédure, le Rwanda a cité en référé (NDLR : procédure en urgence devant le Président du tribunal de Première instance) la Société Agro-Consult et la Fortis Banque afin de réclamer la Mainlevée (l’annulation) de la saisie et à titre subsidiaire, la libre disposition de ses comptes.
La Société Agro-Consult, représentée par Maitre Michel Forges, a pour sa part soulevé « in limine litis » (avant de débattre des arguments de fonds), un « incident de répartition » lors des plaidoiries en référé du 10 novembre 2011. La société estimait, qu’étant donné que deux juges d’un même tribunal de première instance ( en l’occurrence, le juge des saisies et le juge des référés) étaient saisis, le tribunal devait faire application de l’article 88, §2 du Code judiciaire stipulant que lorsque deux juges d’un même tribunal de première instance sont saisis sur la même affaire, le juge saisi, devait renvoyer le dossier au Président du Tribunal, qui décide lequel des deux est compétent.
Le Rwanda estimait pour sa part que vu l’urgence, la condition de la compétence du juge des référés (juge des situations urgentes) était remplie, et que ce dernier devait trancher le fond du litige « au vu de l’urgence réelle et de la voie de fait pratiquée ».
Lors d’un jugement prononcé à l’audience publique des référés du 14 novembre 2011, la juge des référés avait débouté le Rwanda de sa demande, et décidé qu’il y’avait lieu, d’appliquer l’article 88 §2 du code judiciaire, estimant par conséquent, ne pas pouvoir se prononcer sur le fond de l’affaire.
Le fond de l’affaire devrait être abordé ce jeudi 5 janvier 2012 devant le juge des saisies.
Interview de Gaspard Gatera
En marge de cette audience Jambonews TV a rencontré Gaspard Gatera le représentant d’Agro-Consult afin de recueillir d’avantage d’information sur l’origine du litige.
D’un ton calme et posé, il nous a dit fortement déploré « qu’on en soit arrivé là », à savoir que la justice Belge aie du bloquer les comptes de l’Ambassade du Rwanda, pour un problème de recouvrement, qui s’est suivi par le blocage des comptes de la Belgique au Rwanda.
En ce qui concerne le projet Agro-Consult à la base du litige, il déclare que l’objectif en l’initiant était de trouver une solution « aux problèmes réels du pays en milieu rural », dans un pays, dont 80% sinon 90% de la population sont des « actifs de l’agriculture ».
Fort de son expérience de plusieurs années dans un centre de recherche à l’ISAR, il a décidé de mettre en pratique, à travers une initiative privée, plusieurs théories d’agriculture intensive non appliquées sur le terrain qui devaient permettre aux agriculteurs d’avoir une meilleure productivité.
Le projet a rapidement pris de l’ampleur, Agro-Consult parvenant à cultiver plus de 5000 HA sur un même champ, et fut salué « non seulement par les agriculteurs mais aussi par toutes les autorités du pays à tous les échelons en commençant par le Président de la république, mais aussi des sénateurs et des députés qui se sont déplacés pour voir le résultat de ces activités » déclare Gaspard Gatera.
Au vu de l’évolution de ces activités, il a invité de plus en plus d’agriculteurs à travailler avec lui pour augmenter la production, et permettre ainsi d’augmenter leurs revenus. Au total ce sont « plus de 200 000 personnes, agriculteurs et leurs familles qui ont été concernées par le projet » affirme t’il.
A la question de savoir ce qui est dès lors dans de telles conditions de satisfaction de toutes parts à l’origine du blocage, Gaspard Gatera nous répond « que depuis le départ, il se pose la même question » « De tout ce que j’ai pu imaginer et observer, il s’est développé une sorte de jalousie destructive » et c’est selon lui, ce genre de jalousie qui est à la base de l’anéantissement de ce projet.
Il exprime son incompréhension face au fait que personne ne soit venu arrêter « cette destruction, qui va jusqu’à ignorer les intérêts et du pays et de la population qui en bénéficiait », et invite les journalistes à plutôt poser la question aux autorités du pays, qui peut être apporteront une réponse.
Au sujet du blocage devant la justice rwandaise, Gaspard Gatera fait le constat selon lequel, ce blocage est dû aux agissements des Ministres de l’agriculture et de la justice. « Le ministère de l’agriculture a rejoint le projet, afin de faire avancer le projet plus rapidement et l’étendre sur le reste du pays. Et le litige est né à partir du moment où l’Etat rwandais n’a pas honoré son devoir de financer les activités ».
Une transaction a été conclue avec l’Etat rwandais mais « le Ministre de l’Agriculture et le Ministre de la justice, n’ont pas voulu respecter l’engagement de l’Etat rwandais dans la transaction, ce qui a amené pas mal de menaces » qui l’ont poussé à quitter au Rwanda et privé du bénéfice de la justice rwandaise poursuit-il.
Pour lui, « si le ministre de la justice était de bonne foi », le problème aurait pu être résolu mais « il s’est impliqué à ne pas faire justice à ce problème étant donné qu’il se sentait source de ce conflit et avait une mainmise sur les décisions qui devaient se prendre, comme on pourra le voir lors des du procès de ce jeudi 5 janvier. »
A la question de savoir si ce genre d’agissements d’autorités politiques qui s’ingèrent dans des projets d’investissement privés au Rwanda était monnaie courante, il a déclaré ne croire « que son cas n’était pas isolé, qu’il n’y avait pas un seul et unique cas » mais s’est refusé à répondre « au nom des autres ayant connu les mêmes difficultés », mais il trouve malheureux que d’une part, on appelle les gens à investir, et d’autre part, on n’appuie pas les investissements, d’autant plus lorsqu’ils sont effectués par des nationaux qui ont l’ambition de réussir.
A propos des problèmes de mainmise du politique sur la justice, il estime que dans son cas, il ‘y a des preuves de l’ingérence du politique dans l’affaire, même au niveau de l’arbitrage et dit avoir trouvé malheureux que malgré toutes les discussions qu’il a eu avec certaines autorités, personne n’ait pu dénoncer, ce qu’a fait un ou deux ministres et qu’au contraire,« tout le gouvernement se soit rangé derrière » derrière ces ministres.
Au sujet de ses attentes envers la justice belge, il déclare espérer être remis dans ses droits à savoir le paiement d’au moins de ce que l’Etat rwandais s’était engagé à payer dans une lettre officielle et il trouve déplorable que l’Etat Rwandais se soit rétracté de ses propres engagements.
« Je fais confiance à la justice belge qui va trancher sur ce cas, et j’espère qu’un jour viendra où l’autorité rwandaise comprendra que lorsqu’elle fait des engagements, elle n’a pas à les rejeter autant qu’elle peut et au moment où elle veut ».
Et Gaspard Gatera de conclure, « j’aurais préféré ne pas en arriver là, j’aurais préféré qu’on trouve une solution » et d’ajouter « si il y’a des bonnes actions, elle sont à soutenir et non à détruire ».
Ruhumuza Mbonyumutwa
Jambonews.net