Dix huit ans après le génocide, les stigmates du passé sont toujours omniprésents chez les jeunes rwandais. Quels rapports ces derniers entretiennent ils avec la politique? Si leur intérêt pour ce domaine est bien réel, la forme de leur engagement, elle, a changé, tout comme le contexte même de leurs actions. Une analyse qui bouscule nombre d’idées reçues.
A la question posée « En fait auriez vous, une réponse à la question pourquoi bon nombre de jeunes rwandais ne s’engagent pas en politique? ». Trois jeunes qui souhaitent garder l’anonymat se sont portés au jeu et ont donné des réponses du moins surprenantes mais compréhensives, à savoir :
– Les jeunes Rwandais ne s’impliquent pas dans ce qui se passe au Rwanda, car ce n’est pas dans leur projet de retourner là bas. Nos intérêts n’y sont plus.
– Il ya des gens que les querelles continuelles ont marqué à vie… puis le Rwanda est sorti carrément de la tête
– Le « truc », c’est que pour moi le problème est global, donc le Rwanda est forcément dans la boucle.
Ces trois réponses nous plongent dans une forme de psychologisation du social qui s’apparente à une forme de repli identitaire, un sentiment qui s’apparente à un refus d’affronter le passé et sa réalité historique. Dès lors, est-il légitime de penser que les jeunes rwandais soient totalement ou du moins en grande partie dépolitisés ?
Non, les jeunes rwandais ne sont pas dépolitisés ! Loin s’en faut. Plus informés, ils sont plus critiques et exigeants que leurs aînés à l’égard des politiques. Néanmoins, malgré une réelle volonté de vouloir voir les choses changer, ces jeunes rencontrent la politique dans un contexte assez différent de celui de leurs parents, car le système de repérage, les grands clivages idéologiques, le sentiment de culpabilité et le devoir de mémoire sont désormais en partie brouillés et exercent sur eux une forme de pression qui s’apparente au harcèlement moral, et surtout à la peur d’être pointés du doigt.
De la mémoire à l’autoflagéllation
La mémoire est un livre qui ne se ferme jamais . Les instruments de la mémoire mis en place par le gouvernement rwandais actuel ont pour objectif, en apparence, d’amener la population non seulement à lutter contre l’idéologie du génocide, mais aussi à découvrir la nécessité de se réconcilier et de construire une société unie. Or ces commémorations ne concernent uniquement qu’une partie de la population, dite « victime », et sont pour les générations successives un rappel permanent de ce qu’il ne faut plus jamais faire. Cependant, ces instruments peuvent renfermer des germes de division, susciter des sentiments ambigus, provoquer des réactions diamétralement opposées à « l’objectif » fixé au départ. Ainsi, l’analyse de leur fonctionnement met en évidence leur rôle ambigu et explique pourquoi les jeunes préfèrent garder le silence plutôt que d’être taxé de génocidaire, négationniste ou extrémiste si en s’exprimant, ils ont le sentiment de véhiculer une idée contraire au politiquement correct voulu par les mentors au pouvoir.
Comment comprendre cette émergence?
L’apparition de cette notion peut être interprétée comme dénotant d’une vision particulière des tensions existant entre les rwandais. Pour la plupart des jeunes, le sens de l’émergence du phénomène, s’explique par les comportements socioculturels qui sont à l’origine des agissements hostiles. En mettant l’accent sur les dimensions interindividuelles, l’origine de leur repli identitaire serait ainsi à la fois le reflet et la conséquence d’une forme de psychologisation du social, c’est-à-dire le signe d’une souffrance profondément mise en évidence. Le cas Léon Mugesera, cet ancien homme politique rwandais expulsé du canada vers le Rwanda le 24 janvier dernier, semble expliquer ce sentiment qui prédomine chez la plus part des rwandais, un sentiment d’autosuffisance qui fait appel à la loi du silence mais dont il faut absolument se débarrasser: « Shuut !!! Tout ce que tu diras pourra être retenu contre toi un jour ».
Il est tentant de présenter l’autocensure observée chez la plus part de ces jeunes, comme le paradigme d’une forme de lutte pour la survie , où le jeune en tant qu’individu est la référence première, où la souffrance subjective devient un levier de la mémoire collective. Le sentiment d’une culpabilité collective qui s’est transformé en culpabilité individuelle et qui a donné une prise de conscience et une recherche des causes qui le favorisent.
En résumé, l’autocensure chez les jeunes rwandais est une notion qui permet de comprendre les relations entre le passé et la pensée. Ainsi que l’écrit le Dr. Thierry Médynski, dans la préface de « Dis moi où tu as mal, je te dirai pourquoi », on comprend mieux les maux dont souffre cette jeunesse. La mémoire doit prévenir le génocide et lutter contre l’idéologie du génocide sous toutes ses formes afin que « plus jamais » une telle tragédie ne se reproduise.
Au Rwanda, compte tenu du contexte social et historique, l’objet de la mémoire en toute logique devrait amener la jeunesse rwandaise à recouvrer sa cohésion et son unité. Cependant, la question de repli identitaire de ces jeunes, le désintéressement catégorique de la vie politique, le rejet « presque » absolu de sa propre identité, loin d’être un masque aux conditions socioculturelles qui l’engendrent sont un frein à la normalisation et une forme de lâcheté intellectuelle pouvant être qualifiée de moyennement glorieuse.
Jean Mounana
Jambonews.net