Ce mercredi 15 août, Human Rights Watch(HRW) a déclaré que « des individus soupçonnées d’être favorables au gouvernement ont pris le contrôle » de la Ligue rwandaise pour la promotion et la défense des droits de l’homme (LIPRODHOR), qui était connue jusque-là comme indépendante dans ses positions. Cette prise de contrôle inquiète HRW qui voit dans cette manoeuvre « une tactique typique de l’État pour réduire au silence les défenseurs des droits humains ».
C’est le 21 juillet 2013 que fut perpétré un coup de force à la tête de la LIPRODHOR. Ce jour-là, une poignée des membres de la LIPRODHOR a organisé une réunion improvisée, au cours de laquelle un nouveau conseil d’administration a été élu en violation des règles de l’organisation ainsi que la législation nationale relative aux organisations non gouvernementales. La LIPRODHOR était considérée jusque-là comme « le dernier groupe de défense des droits humains efficace du pays« , ce qui a suscité l’indignation de Human Rights Watch. « Les acteurs internationaux devraient condamner ce détournement flagrant du dernier groupe indépendant du Rwanda à dénoncer les violations des droits humains», a fait savoir le directeur de la division Afrique à HRW, Daniel Bekele. « Si la LIPRODHOR est réduite au silence, ce sera une grande perte pour tous les Rwandais. » a-t il ajouté.
En effet, plusieurs membres du conseil d’administration déchu sont connus pour « leur indépendance et leur courage quand il s’agit de dénoncer les abus de l’État », affirme HRW. Ce qui a suscité encore l’incompréhension des défenseurs des droits de l’homme, c’est la reconnaissance par l’Office rwandais de la gouvernance du nouveau comité, alors qu’il a été élu en violation avec les règles régissant cette organisation, ainsi que les règles étatiques réglementant les organisations non gouvernementales.
Le 24 juillet, deux jours après l’élection du nouveau comité l’Office rwandais de la gouvernance, organe étatique chargé de la supervision des organisations non gouvernementales nationales, a adressé une lettre à la LIPRODHOR prenant acte de la décision et reconnaissant le nouveau conseil d’administration.
Le même jour, la LIPRODHOR, par le biais de son président déchu, a déposé un recours contre la décision du 21 juillet et une requête en référé. L’affaire est pendante.
Sheikh Saleh Habimana, responsable des partis politiques, des organisations non gouvernementales et des organisations confessionnelles pour l’Office rwandais de la gouvernance, a affirmé à Human Rights Watch que l’Office rwandais de la gouvernance que l’organisme n’a pas la responsabilité de s’assurer que les organisations respectent la loi. De ce fait, l’organisme ne pouvait pas contester la décision d’une assemblée générale et pouvait seulement être informé des résultats.
« Ces astuces administratives ont été utilisées auparavant pour faire taire la dissidence. »
« Le règlement de l’organisation précise que les membres doivent être notifiés par écrit au moins huit jours à l’avance d’une réunion ». Cependant, les principaux dirigeants de l’organisation, notamment le président déchu, le vice-président et le secrétaire exécutif, n’ont pas été informés de la réunion au cours de laquelle ils ont été évincée. Les organisateurs de la réunion du 21 juillet avaient convoqué des membres sélectionnés, sans même leur envoyer une convocation.
Selon certains participants, les organisateurs ont présenté la réunion comme une « consultation ». Cependant, la réunion du 21 juillet est allée au-delà de l’examen de cette décision et a demandé un vote pour élire un nouveau conseil d’administration de la LIPRODHOR. L’un des organisateurs de la réunion a été élu comme le nouveau président. Après ce coup de force, la réunion a été présentée à l’Office rwandais de la gouvernance et aux médias comme une assemblée générale extraordinaire.
Selon Daniel Bekele, « l’Office rwandais de la gouvernance et le nouveau conseil d’administration de la LIPRODHOR se repassent la balle. Un groupe de personnes s’empare d’une organisation illégalement et dit : ‘La décision est maintenant légale.’ L’organisme gouvernemental chargé de superviser dit : ‘Il n’est pas de notre responsabilité d’assurer la conformité avec la loi, nous prenons juste note du résultat.’ Ces astuces administratives ont été utilisées auparavant pour faire taire la dissidence au Rwanda. »
Qui plus est, lors du transfert forcé entre l’ancien et le nouveau conseil d’administration, la police a menacé d’emprisonnement le personnel de la LIPRODHOR s’il ne coopérait pas avec le nouveau conseil d’administration. Plusieurs membres ont déclaré à Human Rights Watch qu’ils estimaient que leur sécurité était en danger.
La LIPRODHOR, dernière sur la liste
D’après HRW c’est par une combinaison d’intimidations, de menaces, de manipulations, d’infiltrations et d’obstacles administratifs de la part de l’État, que les mouvements nationaux des droits humains du Rwanda ont été à tour de rôle détruits.
« La LIPRODHOR est juste la dernière d’une série d’organisations de défense des droits humains dont se sont emparé des personnes qui sont proches du gouvernement rwandais ou qui ne sont pas disposées à dénoncer des violations des droits humains. Une fois dans des postes de direction, ces personnes ont bloqué les enquêtes sur les sujets sensibles ainsi que des publications qui pourraient être considérées comme critiques envers le gouvernement, et ont marginalisé les membres faisant preuve de liberté de pensée. Plusieurs des principales organisations de défense des droits humains ont été paralysées de cette façon » a dénoncé HRW en ajoutant que « l’une des tactiques gouvernementales les plus génératrices de divisions utilisées contre les organisations de la société civile a été l’infiltration ».
Jean Mitari
Jambonews.net