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Rwanda : La hausse de la production du pyrèthre, une aubaine pour la filière ?

Rwanda : La hausse de la production du pyrèthre, une aubaine pour la filière ?

La culture du pyrèthre dans le Nord du Rwanda connaît actuellement un essor. La production et les recettes d’exportation de SOPYRWA (Société du Pyrèthre du Rwanda) ont accru entre 2009 et 2013.
Néanmoins, les enjeux économiques et politiques autour de cette culture limitent les potentialités économiques et l’impact social de celle-ci dans le développement local. Au Rwanda, le pyrèthre n’est cultivé que sur les hautes terres volcaniques de la Province du nord à la porte du parc des volcans.

L’apparition de la culture du pyrèthre au Rwanda

pyrethre

Chrysanthemum cinerariifolium ou Pyrèthre de Dalmatie, l’espèce qui fournit la majeure partie du pyrèthre produit dans le monde

Cette plante a été introduite au Rwanda par des agriculteurs belges dans les années 1930. En 1963, le gouvernement du Rwanda retira une partie des terres du parc national des volcans dans l’extrême nord du pays pour produire du pyrèthre. Le gouvernement offrit des parcelles de 2 hectares par famille qui s’engageait à développer la culture du pyrèthre sur 40% de cette superficie ; les 60% restants pouvant servir à la culture d’autres plantes. Si ces conditions n’étaient pas respectées alors la terre pouvait être confisquée. En 1978, le bureau parapublic de pyrèthre du Rwanda dénommé (OPYRWA) fut créé pour gérer cette industrie.

Le marché du pyrèthre

Selon SOPYRWA, unique entreprise rwandaise présente dans le secteur, la production nationale annuelle au Rwanda de fleurs de pyrèthre est passée de 200 tonnes à environ 1300 tonnes entre 2009 et 2013. Les revenus ont augmenté de 730 000 euros à un peu plus de 5 millions d’euros.  Au niveau mondial, la production annuelle se situe autour de 20 000 tonnes ; ce qui permet de produire environ 500 tonnes d’extraits de pyrèthre selon Ziegler AG, le spécialiste suisse de nettoyage et de désinfection depuis 1915. Les principaux clients sont les Etats-Unis qui importent à eux seuls 70% de la production mondiale suivis de l’union européenne et du Japon. Néanmoins, le secteur avait été affecté par la crise tanzanienne de 2003 due à la surproduction de la Tanzanie qui avait entraîné une chute du cours. Selon les analystes du secteur, le secteur du pyrèthre naturel  est confronté notamment aux problèmes d’insuffisance d’infrastructures de stockage des fleurs afin de conserver la qualité de celles-ci, de saturation du marché mondial à court terme, de l’apparition de nouveaux entrants comme l’Ouganda et la Chine et de la concurrence du pyrethrinoïde de synthèse bon marché par rapport au pyrèthre naturel dont la production s’est accru également et dont les stocks importants circulent déjà à travers le monde.

Les acteurs et leurs enjeux

  • Les agriculteurs, 1er maillon de la chaîne

D’après les données de SOPYRWA, 37 000 agriculteurs vivraient de la culture de pyrèthre. Depuis 2009, ces derniers sont poussés à s’organiser en coopérative car SOPYRWA n’achète plus la production des agriculteurs individuels.  Chris Huggins, docteur en géographie spécialisé en économie politique agraire d’Afrique centrale et de l’est à l’université Carlton d’Ottawa ; qui a réalisé une enquête à Musanze dans le cadre de son étude de cas consacré à l’entreprise SOPYRWA note dans ses travaux le déficit d’efficacité de ces coopératives en terme de volontarisme et de gouvernance. Il affirme également que ces coopératives forcent les agriculteurs à acheter des engrais chimiques qui ne doivent qu’être appliqués qu’aux plants de pyrèthre. De plus, le monopole dont dispose SOPYRWA dans la transformation de pyrèthre lui confère de fait un pouvoir dans la négociation des prix car cette société achète directement aux coopératives leurs productions. En 2013, SOPYRWA achetait le kilo de fleurs à 1035 FRW ; 35 FRW étant retenus par les coopératives pour frais de transport et d’organisation et 1 000 FRW revenant aux agriculteurs ce qui est nettement supérieur au 800 FRW que les agriculteurs recevaient en 2008. Néanmoins, la compagnie a transféré la responsabilité de séchage des fleurs aux agriculteurs. Or le séchage des fleurs est très délicat et d’après l’enquête d’Huggins si les tests de la SOPYRWA déterminent  que le niveau d’humidité des fleurs séchées est supérieur à la norme que l’entreprise considère comme acceptable alors l’agriculteur reçoit moins de 1000 FRW par kilo de fleurs.  Les agriculteurs sont également confrontés au risque de payer  une amende ou voir les terres qu’ils cultivaient être réquisitionnées et confisquées temporairement par SOPYRWA afin de les faire cultiver par d’autres agriculteurs si les « délégués » de la compagnie constatent et signalent aux échelons supérieurs de l’entreprise que l’agriculteur ne respecte pas leurs directives. En effet, les « délégués » sont des employés de SOPYRWA habitant la région qui sont payés par l’entreprise pour contrôler que le pyrèthre soit cultivé sur 40% de chaque parcelle avec les techniques homologuées par la compagnie elle-même telles que le respect des distances entre les plants, le désherbage fréquent, l’utilisation des nouveaux plutôt que des anciens lots de graines.

 Le pyrèthre ne représente qu’entre 5 à 28 % de la valeur de la pomme de terre en 2012 selon IDFC, cabinet de conseil  en investissement public et en partenariats public-privé dans les pays en voie de développement ce qui explique en partie les conflits d’intérêts entre agriculteurs et la direction de SOPYRWA.

  • L’intermédiaire : SOPYRWA, unique raffineur de pyrèthre au Rwanda

. Le groupe Horizon Inc qui appartient à l’Etat rwandais  est une holding détenant 3 sociétés qui sont Horizon construction, Horizon Sopyrwa et Horizon logistics spécialisées respectivement dans la construction de routes et d’infrastructures comme la Bibliothèque de Kigali à Kacyiru, la transformation de pyrèthre et la maintenance de l’équipement des 3500 troupes présentes au Darfour sous mandat de l’ONU. Au niveau de la gouvernance, le groupe Horizon Inc a été initialement crée en 2007 par le ministère de la défense afin selon le ministère de contribuer au développement socio-économique du Rwanda par la voie du secteur privé. C’est pourquoi les deux actionnaires du groupe sont ZIGAMA CSS, une banque coopérative de militaires et MMI, la compagnie d’assurance médicale pour les militaires.  La nature de la SOPYRWA a été modifiée mais le régime foncier dans la zone de pyrèthre n’a pas quant à lui évolué. En effet, SOPYRWA agit comme le propriétaire de la terre néanmoins  les agriculteurs détenteurs de baux continuent à accéder à la terre à condition d’y cultiver du pyrèthre.

  • L’Etat rwandais, les agences de coopération étrangères et les autorités politiques locales

Dans ses travaux publiés en 2009, Schattenberg montre que l’agence américaine d’aide au développement international (USAID), l’institut Norman Borlaug pour l’agriculture internationale et le groupe pharmaceutique S.C Johnston s’intéressent de très près à l’industrie rwandaise de pyrèthre. Les Etats-Unis étant les premiers consommateurs au monde de cette culture. Par conséquent, les Etats-Unis ont déployé un projet dénommé «  Pyramide »  déjà existant dans le secteur du café vers le secteur du Pyrèthre. Officiellement, le projet vise à augmenter les revenus et la qualité de vie de milliers d’agriculteurs rwandais de pyrèthre tout en augmentant l’approvisionnement durable de pyrèthre en Afrique de l’Est. Ce projet pour lequel l’USAID a investi 6 millions de dollars entre 2006 et 2011 ; S.C Johnston n’ayant quant à lui pas voulu révéler le montant engagé pour cette opération se traduit sur le terrain par l’introduction de la technologie GIS (geographic information system) permettant de contrôler efficacement la zone de production de pyrèthre, d’optimiser le suivi des activités des agriculteurs , de collecter et de numériser diverses données et  de créer des cartes détaillant la localisation des champs des membres des coopératives, la taille de l’exploitation, etc.

source: www.afrique7.com

source: www.afrique7.com

Du côté de l’Etat rwandais, la collusion entre le groupe Horizon INC et le pouvoir est justifiée par les objectifs socio-économiques et les objectifs stratégiques sociaux imposés au groupe. Les chercheurs Booth et Golooba Mutebi  reconnaissent dans leurs travaux de recherche l’existence d’opacité et le déficit de transparence au sein du groupe Horizon INC mais soutiennent que les profits dégagés par le groupe seront probablement réinvestis dans le développement socio-économique du pays car d’après ces chercheurs le gouvernement s’est engagé dans la voie de l’intérêt public et la lutte contre la corruption. Ces chercheurs ajoutent que SOPYRWA a des retombées positives sur les revenus des agriculteurs mais également sur la situation socio-politique de Musanze et des districts voisins. Chris Huggins quant à lui ne partage pas cette conclusion car d’après lui l’objectif principal du groupe est la réalisation de profits et que l’introduction de la technologie GIS par les bailleurs de fonds a amélioré l’efficacité des mécanismes coercitifs  et le progrès technique concernant le stockage des semences ce qui a permis à SOPYRWA de quadrupler ses recettes d’exportation passant de 1,1 million de dollars US en 2009 à 4,3 millions de dollars US en 2011.

Les responsables politiques locaux sont soumis aux contrats de rendement dit « imihigo » en langue Kinyarwanda. Concrètement, ces contrats de performance rendent les autorités locales directement responsables de la réalisation d’objectifs quantitatifs.

En effet, plutôt que d’être imputable vers le bas à la population, les administrateurs rendent leurs comptes vers le haut devant leurs supérieurs. Le processus de sélection des objectifs de ces contrats est présenté par le gouvernement comme une négociation entre différents niveaux de gouvernance, en collaboration avec la population qui serait consultée mais les entretiens d’Huggins en 2009 révèlent que ces objectifs sont principalement imposés par le sommet et les autorités locales risquent de perdre leur emploi si les objectifs ne sont pas atteints ; donc tentent de faire pression sur les agriculteurs pour accepter des ententes défavorables.  Huggins rappelle que l’ « imihigo » pour 2010-2011 du district de Musanze prévoyait une hausse de la superficie totale des cultures de pyrèthre de 1 512ha à 1 542ha d’après les données du district de Musanze pour l’année 2011. L’Etat rwandais inclut de plus en plus des objectifs de production du secteur privé dans les contrats de performance du secteur public comme le montre l’interaction entre les activités de SOPYRWA et les activités publiques de gouvernance foncière. Ce qui signifie que les fonctionnaires locaux sont responsables à travers l’imihigo de l’atteinte des objectifs de production de la SOPYRWA.

L’avenir économique de ce secteur et la responsabilité des acteurs

La culture du pyrèthre est une culture de niche comme celle des fleurs et des fruits en comparaison à la culture de la banane, du sorgho, du manioc, de la pomme de terre et du haricot. La culture du pyrèthre peut être une source de revenu complémentaire  mais non substituable pour les agriculteurs comme cela est déjà le cas en Tanzanie et au Kenya. Néanmoins le gouvernement doit être rigoureux dans ses prévisions de la demande du marché, du potentiel de production et dans l’anticipation de la forte volatilité des cours sur ces marchés de niche ainsi que des difficultés techniques des opérateurs. Pendant la crise de 2000, les cours du Moringa et du Patchouli ont chuté ce qui avait conduit le gouvernement rwandais à abandonner ces cultures.  Le gouvernement doit également prendre en compte l’importance des problèmes de coordination sur ces types de marchés.  Booth et Golooba-Mutebi montrent que le marché horticole et fruitier ne parvient pas à se développer rapidement à cause de ces problèmes qui se traduisent par la frilosité des investisseurs  à signer des contrats pour lesquels  les potentiels de production n’ont pas été clairement démontrés et la morosité des agriculteurs dans le démarrage de ce type de cultures pour lesquels même les investisseurs ne s’y engagent pas. Les agriculteurs assument beaucoup de risques en termes de coûts d’opportunité, d’investissement de travail et d’intrants.

La participation de bailleurs de fonds tels que l’USAID au nom de «  l’amélioration des moyens de subsistance des petits agriculteurs » contribue à légitimer le modèle de production du pyrèthre  basé sur l’agriculture contractuelle imposée par l’Etat. La participation de l’Etat rwandais dans les activités du groupe Horizon INC procure à ce dernier une position de monopole dans laquelle les agriculteurs perdent leur capacité de négociation.  De plus, l’intégration des objectifs financiers et économiques dans les contrats de performance des fonctionnaires locaux conduit à s’interroger sur l’efficacité du Top management et du directoire  d’HORIZON INC qui comprend respectivement 7 top managers et 9 directeurs. Si des fonctionnaires locaux sont responsables des objectifs de SOPYRWA appartenant à HORIZON INC alors quelles sont les responsabilités du top management et de la direction du groupe. L’intégration des objectifs du secteur privé dans les contrats de performance du secteur public peut être défavorable à  l’efficience du marché car la bureaucratie étatique est faiblement réactive à l’évolution des conditions économiques, agro-écologiques et institutionnelles pour gérer efficacement les filières des cultures approuvées par le gouvernement.

Enfin, alors que le gouvernement affiche une détermination à lutter contre la corruption, cette agriculture contractuelle entre l’Etat central et les autorités locales présente le risque d’occasions de rentes illégales par les élites locales. Ces rentes peuvent être difficiles à combattre et menacer dans ce cas les intérêts des agriculteurs. La politique d’imposition du modèle économique de la coopérative a la limite de réduire la capacité des agriculteurs à prendre leurs propres décisions concernant le choix des cultures, l’investissement dans les intrants et la commercialisation et également réduire la responsabilité individuelle concernant les résultats et l’engagement dans l’optimisation des ressources.

Marie Umukunzi
www.jambonews.net
 

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  •  L’investissement agricole facilité par l’Etat au Rwanda : regroupement des terres, renforcement du contrôle ; Chris Huggins ; Land deal politics initiative(LDPI) working paper 16 ; septembre 2013.

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