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Rwanda – Belgique : les victimes des conflits dans la région des Grands Lacs commémorées

Rwanda – Belgique : les victimes des conflits dans la région des Grands Lacs commémorées

Interventions d’experts, témoignages émouvants de rescapés, moments de recueillement et d’échange ont été les ingrédients de cette commémoration des victimes des tragédies de la Région des Grands Lacs d’Afrique, organisée par Jambo ASBL.
Commémoration Mpore-20C’est au cœur de Bruxelles, que Jambo ASBL a commémoré ce samedi 26 avril 2014, la mémoire des victimes des tragédies dans la région des Grands Lacs. Entre 200 et 250 personnes principalement originaires de la Région des Grand Lacs étaient présentes. On a noté également la présence de personnalités politiques belges, notamment Julie de Groote, députée du parti Centre démocrate humaniste (cdH) au Parlement bruxellois et cheffe de groupe cdH au Parlement de la fédération Wallonie-Bruxelles, Jean Yves Kitantou, Vice-Président du Mouvement contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie (MRAX) et Pierre Migisha, député régional.
L’édition 2014 de la commémoration était particulière car elle symbolise le vingtième anniversaire du génocide rwandais, raison pour laquelle Jambo ASBL a voulu cette année, tirer le bilan de ces vingt dernières années, notamment en matière de  justice et  de réconciliation, en organisant une conférence avec plusieurs intervenants, tout en accordant un moment de recueillement pour les victimes.

Un bilan négatif en matière de justice nationale et de réconciliation

Commémoration Mpore_20

Mr Pacifique Kabalisa


Parmi les intervenants, Pacifique Kabalisa, rescapé tutsi du génocide, a exposé sur le thème  « quelle reconnaissance pour les victimes à l’heure actuelle » et a partagé son expérience de militant des droits de l’Homme au Rwanda post génocide de 1995 à 2003.
Par sa forte expérience dans le domaine des droits de l’Homme au Rwanda, Kabalisa tire un bilan « négatif en général » de ces 20 dernières années en matière de justice et de réconciliation, et se demande même si les ingrédients qui ont conduit au génocide ne sont plus toujours d’actualité 20 ans après les faits. Ce rescapé est revenu sur l’épisode de la course à la vengeance qui a caractérisé le Rwanda, après la prise de pouvoir par le  FPR, au lieu de mettre en place de véritables  mécanismes de réconciliation. Ainsi, après 1994,  plus de 100.000 personnes se sont retrouvées en prison, souvent sur simple dénonciation, sans parler également de plusieurs disparitions, déclare-t-il.
« Les tribunaux populaires gacaca censés juger les génocidaires et mener à la réconciliation, ont été un forum de règlement de comptes entre les gens. Ces tribunaux aux méthodes problématiques, ont permis aussi au régime actuel de se débarrasser des opposants. Il y en a même qui ont avoué parce qu’ils en avaient marre de la prison, ou voulaient une remise de peine, alors qu’ils étaient innocents », a-t-il notamment dit.
En matière de réconciliation, Kabalisa a tiré également un bilan guère positif : « les victimes hutues ne sont pas reconnues, le gouvernement s’est lancé dans des guerres dans les pays frontaliers, surtout au Congo, résultat : « la haine » entre les peuples qui ont longtemps vécu en parfaite harmonie », déclare-t-il.
« Est-ce qu’il y a une vraie réconciliation au Rwanda, ou tout simplement une ruse du pouvoir pour donner l’image d’un pays réconcilié ? » ou encore «  Y a-t-il une sincérité de la part des rescapés qui posent en photo avec leurs bourreaux, ou ces rescapés font ce que le pouvoir leur demande ? » sont parmi les questions que le public lui a posées,  et Kabalisa s’est dit incapable d’y répondre, en précisant tout simplement que «  la vérité qui a surgi à travers les gacaca est celle qui ne dérange pas le régime .  Une commission vérité et réconciliation sur le modèle  sud-africain après l’Apartheid, aurait peut-être menée à une vraie réconciliation », conclut-il  suite à l’intervention de la députée Julie de Groote.

Qu’en est-il pour la justice internationale ?

20 ans après le génocide rwandais,  l’ASBL Jambo à travers son département « Mpore Mémoire et Justice » a également voulu tirer le bilan  de la justice internationale, et principalement celui du Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR). C’est dans ce cadre que  Maître Vincent Lurquin, avocat au TPIR depuis 1999, est intervenu sur le sujet « justice internationale (TPIR), quel bilan après 20ans de fonction ? ».

Maître Lurquin

Maître Vincent Lurquin


Après avoir rappelé que le TPIR avait eu pour bienfait de dresser un constat judiciaire du génocide, Maître Lurquin a exposé plusieurs lacunes qui ont caractérisé ce tribunal, et ont fini par pousser cette Cour internationale à agir comme une justice des vainqueurs, une juridiction non indépendante, mais politique. Preuve que cette cour n’a pas rempli sa mission 20 ans après l’horreur qu’a connu le Rwanda, c’est que des actes de génocide continuent de se perpétrer au Congo, a fait remarquer l’intervenant qui a plaidé pour la création d’un « Tribunal pénal international pour le Kivu ».

L’importance de la mémoire

Dr Olivier Nyirubugara

Dr Olivier Nyirubugara


Au cours de la commémoration de ce 26 avril, la question de la mémoire et surtout de l’importance de la mémoire et sa transmission dans le processus de réconciliation a été largement abordée. C’est Olivier Nyirubugara, professeur à Erasmus University Rotterdam et Hague University of Applied Sciences, et auteur de « Complexities and Dangers of Remembering and Forgetting in Rwanda » qui a animé ce thème. Il est revenu sur l’importance des récits qui racontent le drame rwandais à travers la fiction, et a invité les victimes des conflits dans la Région des Grands Lacs, à « prendre la fiction au sérieux, car la fiction renseigne sur la vérité ».
D’autre part,  Nyirubugara a tracé au cours de son intervention, les pièges des fictions, qui sont généralement les stéréotypes et les préjugés. Pour illustrer ces dangers inhérents à ce moyen de transmission de la mémoire, Nyirubugara a donné l’exemple du roman de Scholastique Mukasonga, « Notre dame du Nil », dans lequel l’auteure trace (fictivement) le portrait d’un Hutu « riche, éduqué mais bête et dangereux »,  et d’une Tutsi, « intelligente, pauvre, victime (d’un hutu violent) ».

La thérapie Communautaire

Si la justice et la réconciliation forment deux aspects de base pour reconstruire une société meurtrie par des années de violence, il ne faut pas aussi négliger l’aspect psychologique pour aider les rescapés à reprendre gout à la vie. La thérapie communautaire serait un des remèdes conduisant à la guérison.

Mr Laurent Kapela

Mr Laurent Kapela


Au cours de la commémoration de cette année, Jambo ASBL a pris le soin d’inviter Laurent Kapela, un spécialiste de cette thérapie qui a présenté une introduction à cette méthode, qui peut selon lui constituer un soutien fondamental pour la reconstruction d’une société anéantie par des conflits violents.
D’après ce Français d’origine congolaise, la thérapie communautaire peut être un moyen de se reconstruire après les douloureuses épreuves traversées par les populations dans la région des Grands Lacs. Cette méthode basée sur l’échange et la compréhension de l’autre, permet selon Kapela aux réponses de surgir du groupe. La thérapie Communautaire part du fait que chaque personne est capable de s’en sortir à condition qu’on lui donne un espace.

Les mots des participants

Parmi les gens qui avaient fait le déplacement, certains ont confié à Jambonews les raisons de leur présence à la commémoration.
« Cette commémoration nous offre la liberté de rendre hommage aux nôtres dans un cadre adapté, on a le droit de se souvenir des nôtres, on a perdu des tantes, des oncles aussi bien au Rwanda et au Zaïre» déclare Aimée qui est venu spécialement des Pays Bas pour prendre part aux commémorations.
En effet en marge des interventions des invités experts, plusieurs moments émouvants ont marqués cette journée. On peut citer particulièrement les témoignages de rescapés lus par des jeunes de l’assemblée.
« C’est extrêmement important ce moment de commémoration, pour réhabiliter le droit à la parole, surtout pour des rescapés qui ne sont pas reconnus jusque-là, et qui finissent même des fois à ne pas se sentir victime. Cette commémoration est un évènement réunificateur de toutes les victimes », souligne Jean-Valery.
« Cette commémoration est tout pour moi, car elle permet de rencontrer les gens issus de tous les milieux, hutu et tutsi, et qui ont vécu des histoires différentes. L’association Ibuka (de rescapés tutsis NDRL) est très politisée, Mpore devrait la remplacer car elle présente toutes les victimes. On ne doit pas laisser les imposteurs s’approprier notre histoire, qu’on a vécu pendant le génocide», commente Janvière.
« C’est important d’avoir un forum où on s’exprime, où on exprime ses émotions sans être jugé, un forum surtout où je peux exprimer mes émotions sans y impliquer la politique » souligne Cécile.
Avant d’échanger de manière informelle autour d’un verre, Brave Bahibigwi, Président de Jambo ASBL,  a souligné dans son discours de clôture que « Les affamés du pouvoir dans la Région des Grands Lacs ont utilisé les massacres  de masses, génocides, viols en masse et autres crimes contre l’humanité pour parvenir  à leurs fins ». Aujourd’hui, la mémoire des victimes rwandaises, congolaises, burundaises, belges, espagnoles et autres nationalités « est souvent instrumentalisée par ces  mêmes acteurs qui veulent se maintenir au pouvoir (…) L’histoire et le deuil sont confisqués pour des besoins de propagande. Nous assistons aussi à un effacement délibéré du chagrin et du malheur  d’une partie de la population du Rwanda pour ne pas avoir à faire face à une vérité  incriminante. (…) Nous sommes convaincus que les forces conjuguées de tout ce monde feront barrage à ceux qui voudraient fragiliser le vivre ensemble et le véritable  » plus jamais ça » ».

Mpore, qui es-tu?

https://www.youtube.com/watch?v=egptilhne8g

Jean Mitari
Jambonews.net
 

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