Entre le 18 et 23 août dernier, le général à la retraite Frank Rusagara, le colonel Tom Byabagamba, et le capitaine David Kabuye, trois officiers de l’armée rwandaise ont été arrêtés pour implication présumée dans un complot d’atteinte à la sûreté de l’Etat.Même si ce n’est pas la première fois au Rwanda que des officiers sont accusés de tentative de déstabilisation du pouvoir, ces trois arrestations de personnalités longtemps influentes, qui ont appartenu au premier cercle du président, ajoutées à d’autres affaires en cours, soulèvent des interrogations.
Le colonel Tom Byabagamba ancien chef de la garde présidentielle de Paul Kagame, a été incarcéré à son retour au Rwanda après avoir occupé des fonctions au sein de l’état-major de la mission de l’ONU au Soudan du Sud.Le général à la retraite Frank Rusagara fut secrétaire général au ministère de la Défense, puis directeur de l’Ecole militaire du Rwanda et attaché militaire à l’ambassade du Rwanda à Londres jusqu’à sa retraite l’an dernier.Il est marié à la sœur du colonel Byabagamba. David Kabuye, mari du colonel Rose Kabuye, -l’ancienne toute-puissante chef du protocole du président et l’une des personnalités accusées par la justice française dans l’affaire de l’attentat contre l’avion du président Habyarimana-est aussi un capitaine à la retraite.
Présentés devant un tribunal militaire de Kigali vendredi 29 août dernier, le colonel Byabagamba et le général Frank Rusagara, sont accusés de« propagation de rumeurs » visant à provoquer un soulèvement, atteinte à la sûreté de l’Etat, et port d’arme illégal dans le cas du général Rusagara. Le capitaine David Kabuye a quant à lui été entendu la veille parle parquet d’un tribunal civil pour port d’arme illégal. Le sergent retraité François Kabayiza a également été arrêté et accusé d’obstruction à l’enquête. Si le régime dit vouloir punir sans distinction ceux qui contreviennent aux règles et tentent de mettre à mal l’administration, l’arrestation de ces trois officiers cache mal des tensions internes au sein même du régime qui ne cessent d’apparaitre au grand jour.L’intervention à l’Est de la République Démocratique du Congo, le sort réservé aux anciens du même régime en exil ou encore les élections présidentielles prévues en 2017 sont autant de raisons sur la liste des sujets brûlants qui seraient à l’origine des dissensions.
Est du Congo : les FDRL et les minerais
A Kigali, une partie des hauts responsables militaires est favorable à une présence et une influence au Nord-Kivu, officiellement pour y traquer les rebelles des FDLR, mais au passage pour des intérêts miniers. C’est le noyau dur du régime, dont le président Paul Kagame lui-même, qui est favorable à l’aventure congolaise.La présence du Rwanda à l’Est du Congo permet non seulement de tenir sous surveillance les FDRL, mais aussi de se procurer les minerais qui permettent au régime d’entretenir aux yeux de la communauté internationale, le mythe d’un Rwanda exemple du redressement économique dans la région et en Afrique.
Cependant pour une autre partie des hauts gradés du régime, l’aventure congolaise n’en vaudrait plus la chandelle. Parmi ces derniers il y a l’ancien chef d’état-major Charles Kayonga qui a été limogé en juin 2013, en pleine campagne congolaise, au cours de laquelle le M23 appuyé selon plusieurs rapports, par l’armée rwandaise se battait contre l’armée congolaise épaulée par la brigade onusienne de maintien de la paix.Après quelques mois au chômage, le général Charles Kayonga a été nommé ambassadeur en Chine, et son ancien chef d’Etat-major de l’armée de terre, le général Ceaser Kayizari, fut nommé ambassadeur en Turquie. Ces nominations auraient été des mesures d’éloignement pour ces généraux qui étaient, selon des sources bien informées, en désaccord total avec le président Kagame.
Ceux qui veulent en finir avec Paul Kagame
Une partie des hauts responsables militaires du régime, qui est aussi celle que Kagame craint le plus, est composée de militaires totalement hostiles à Paul Kagame et favorables même à son renversement. Certains d’entre eux sont activement en lien avec les anciens proches de Paul Kagame en exil, qui ont fondé le Congrès national rwandais (RNC), un mouvement politique, soupçonné par le régime de chercher à créer une rébellion.
La traque de ces détracteurs est devenue une priorité absolue pour le régime de Kigali.Cela explique les risques pris notamment pour assassiner l’ancien chef des services de renseignement extérieurs du Rwanda dans la nuit du 31 décembre 2013, qui est passé en dissidence et a fui le pays en 2007.Même si l’enquête officielle sud-africaine n’a pas encore livré ses résultats, les déclarations d’officiels rwandais et du président en personne, laissent planer peu de doutes sur les commanditaires.
Après l’assassinat de Karegeya dans une chambre de l’hôtel Michelangelo Towers à Johannesburg, ses téléphones ont été dérobés par les tueurs.Les informations récoltées dans ses téléphones, notamment ses contacts et l’historique de ses appels, seraient selon de nombreux observateurs, à l’origine des récentes arrestations des hauts dignitaires du régime.
Seulement deux mois après l’assassinat de Patrick Karegeya, la résidence de l’ancien chef d’état-major du Rwanda Kayumba Nyamwasa, passé en dissidence et lui aussi réfugié en Afrique du Sud, a été attaquée par un commando armé.Cet ancien Haut responsable rwandais a survécu à une tentative d’assassinat en 2010, tentative pour laquelle un Rwandais et trois Tanzaniens ont été jugés coupables vendredi 29 août dernier par une cour sud-africaine. Deux autres, un Rwandais et un Tanzanien, ont par contre été acquittés faute de preuves. Selon le juge de la cour sud-africaine, « la tentative d’assassinat du général Nyamwasa était politique, et organisée par un certain groupe de gens au Rwanda ».Lors du raid à la résidence de Nyamwasa, la tablette numérique appartenant à cet ancien chef de l’armée rwandaise aurait été dérobée.Cette attaque a conduit à l’expulsion de trois diplomates rwandais d’Afrique du Sud début mars. De surcroit, selon l’hebdomadaire sud-africain, le Sunday times l’appareil volé aurait été détecté à l’aéroport dans les valises de ces diplomates qui l’acheminaient à Kigali.
L’analyse des appareils volés au cours de l’assassinat de Karegeya et l’attaque chez Nyamwasa auraient permis au régime de débusquer les personnalités du régime, qui ont des liens avec des opposants en exil.
Les élections de 2017 dans le viseur
En octobre 2013 et en juillet 2014, le régime de Kigali a remercié plus de 600 soldats et envoyé à la retraite 79 officiers, dont huit généraux, parmi lesquels le général Frank Rusagara. Des sources proches de l’opposition évoquent comme motif possible de cette restructuration, l’écartement de l’armée de ceux qui ont des liens présumés avec le Congrès national rwandais (RNC) et ceux qui ont des proches dans ce mouvement. Néanmoins, d’autres disent que la fouille des téléphones de Karegeya et la tablette de Nyamwasa n’ayant pas permis de débusquer tous ceux qui collaboreraient avec des opposants en exil, le régime aurait opté pour la méthode de la terre brulée, en purgeant de l’appareil d’Etat, tout élément peu fiable ou mécontent, en commençant par ceux qui ont travaillé et ceux qui ont des liens familiaux avec les opposants exilés.
Le régime rwandais chercherait à écarter toute critique dans ses rangs avant l’échéance électorale de 2017, au cours de laquelle Paul Kagame pourrait briguer un troisième mandat bien que la constitution ne le permette pas actuellement. Cela fut le cas de l’ancien ministre de la justice Tharcisse Karugarama qui a été remercié en mai 2013, car il estimait que Kagame devrait céder le pouvoir en 2017 afin de se conformer à la constitution. L’éviction il y a un mois du premier ministre Pierre Damien Habumuremyi serait également en lien avec la préparation du troisième mandat de Paul Kagame, le régime aurait souhaité jouer la carte de la prudence en écartant ce hutu de 53ans qui prenait de plus en plus son indépendance au point de refuser à plusieurs reprises d’aller répondre aux questions des parlementaires.
« Quiconque veut sa place dans le FPR doit la faire au sein du FPR. Mais si vous pensez que vous pouvez trouver votre place à l’extérieur du FPR, c’est impossible » a déclaré le 31 août dernier lors du congrès des cadres de son parti .Le président Kagame a ajouté que son parti était plus intacte que jamais et a prévenu encore une fois, que toute personne qui voudrait déstabiliser le FPR serait vouée à l’échec .Face à ces dissensions de plus en plus visibles au grand jour au sein du pouvoir, le régime tente de resserrer les rangs autour d’un noyau dur de plus en plus restreint et tente de déraciner les « ennemis communs » et purger les frondeurs du régime au sein même de l’appareil d’Etat.
Jean Mitari
Jambonews.net
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