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Rwanda : Les réformes agraires et foncières, quel impact pour les petits producteurs ?

Rwanda : Les réformes agraires et foncières, quel impact pour les petits producteurs ?

Le Rwanda s’est donné un immense défi de transformer son agriculture qui était familiale et manuelle. Ainsi les autorités voudraient la faire commerciale et tournée vers l’exportation. Plusieurs difficultés sont rencontrées et les risques sont énormes. Le manque de moyens des paysans ne risque-t-il pas d’en faire une agriculture d’ élite? Une production agricole commerciale dans un environnement de sous-développement industriel ne serait-elle pas responsable de la hausse des prix des denrées de première nécessité à laquelle beaucoup de régions font face sans que les produits à visée commerciale n’équilibrent les budgets des ménages faute de marché ?
reforme1La politique agraire et foncière s’inscrit dans un plan global connu sous l’expression « Vision 2020 » qui au départ visait à transformer le Rwanda en un pays émergent en 2020. Il semble néanmoins que cet objectif ne sera pas atteint à la date butoir.
Rappelons que près de 90 % de la population rwandaise vit de l’agriculture ; le plus souvent les familles ne possèdent pas des parcelles suffisantes, inférieures à un hectare en général. Dans le cadre des réformes agraires et foncières plusieurs mesures ont été prises: remembrement, limitation du morcellement des propriétés, digitalisation du cadastre et une réforme agraire basée sur la modernisation et la régionalisation des cultures selon les caractéristiques des sols etc. Ainsi au nord du pays il a été ordonné aux paysans de cultiver le blé et le maïs ; au sud, le manioc et le riz ; à l’est, la banane et le riz ; à l’ouest, au bord du lac Kivu, le café et le thé.
Cette politique frustre les paysans qui étaient habitués à la pluri-culture pour assurer la sécurité alimentaire des ménages. Les intérêts des familles ne sont pas assurés. Dans certaines régions, ces mesures sont imposées par le biais d’amendes, de menaces de confiscation ou de réquisition de terres pour les plus récalcitrants. D’une façon générale, seuls les paysans qui respectent les nouvelles obligations bénéficient des programmes d’appui de l’État, notamment l’utilisation de semences sélectionnées et les engrais chimiques.[1]
Ainsi, bien que la réforme agricole de 2007 au Rwanda ait permis d’augmenter fortement la production globale du pays, tous les agriculteurs ne s’y retrouvent pas. Certaines récoltes devenues très abondantes ne se vendent pas ou mal. Conséquence : les uns n’arrivent pas à vendre leurs récoltes et ceux qui vivaient de leurs propres produits ont aujourd’hui une alimentation déséquilibrée.[2]

Hausse du coût de la vie et déséquilibre alimentaire comme conséquences

reforme2Partout sur les marchés locaux, le prix des aliments de base a augmenté fortement, le kilo de haricots est passé de 300 à 500 francs rwandais. La patate douce, elle, est devenue un produit rare, car cette culture vivrière est désormais interdite par l’État dans les marais. Les bénéfices de la réforme agraire profitent à un petit nombre de producteurs alors que les petits paysans doivent se plier aux contrats de performance. Dans le milieu rural, chaque chef de famille doit en effet signer un « contrat de performance » auprès du représentant des autorités locales. « Ce contrat annuel se traduit par une série d’engagements à tenir : payer l’assurance maladie, assurer la scolarisation de tous les enfants, ou encore réaliser des travaux sur la maison.  La mutuelle de santé est passée de 1 000 à 3 000 francs rwandais par personne et par an ».[3] Rapporte un paysan cité par l’ONG CCFD-Terre solidaire.
Les paysans regroupés dans des organisations ne sont pas encore audibles face à l’État. Toutes ces réformes ont été menées sans consultation aucune de petits exploitants et qui ne comprennent pas toujours les objectifs de l’Etat, et même lorsqu’ils les comprennent peuvent les trouver détachés de leur quotidien, notamment celui de plus des 60 % de la population rurale qui vit dans la pauvreté.
Pour l’ONG « Alimenterre, spécialisée dans l’agriculture durable et familiale. ; » Les déséquilibres alimentaires s’accentuent dans certaines régions. « Dans tous les ménages de ce secteur, on ne mange que la pomme de terre. Pour acheter des haricots ou des légumes, il faut faire des kilomètres. Alors qu’avant chacun en avait dans sa parcelle », déplore un habitant du district de Musanze, citée par l’ONG « Alimenerre ».[4] Les denrées qui viennent d’autres régions coutent chers. L’élévation des prix pour les produits dont la culture n’est plus permise localement est inévitable alors que la production locale peine à trouver preneur.

Les paysans rwandais réaménagent les collines en terrasses progressives

Les paysans rwandais réaménagent les collines en terrasses progressives


Dans certaines régions, les paysans résistent aux nouvelles réformes. La politologue américaine Susan Thomson tente de décrire ainsi trois formes de résistance au quotidien : la marginalisation choisie, l’obéissance irrévérencieuse et le mutisme marqué. L’auteur précise : « L’acte de résistance au quotidien est défini comme toute action subtile, indirecte et non conflictuelle qui rend la vie quotidienne moins insoutenable face à un pouvoir d’État fort et centralisé. »[5]
Certes une réforme agraire est nécessaire au Rwanda. Cependant, des corrections sont nécessaires pour qu’elle ne se fasse pas au détriment du monde rural. Pour cela il faut que les débouchés soient garantis pour éviter le pourrissement des produits dans les greniers comme ça se passe aujourd’hui. De même, la mécanisation du travail agricole doit être développée en même temps avec les autres secteurs économiques pour que le citoyen qui vivait de ses bras d’agriculteur ait une alternative. Ce n’est malheureusement pas quelque chose qui peut se faire en moins d’une décennie et demie. Ceci fait de la « vision 2020 » un « mirage 2020 ».
 
Pacifique Habimana
www.jambonews.net
 
[1] http://ccfd-terresolidaire.org/fdm/2014/280-mars-avril-2014/rwanda-du-petit-paysan-4633
[2] http://www.alimenterre.org/ressource/rwanda-bilan-mitige-revolution-verte
[3] http://ccfd-terresolidaire.org/fdm/2014/280-mars-avril-2014/rwanda-du-petit-paysan-4633
[4] http://www.alimenterre.org/ressource/rwanda-bilan-mitige-revolution-verte
[5] http://ccfd-terresolidaire.org/fdm/2014/280-mars-avril-2014/rwanda-du-petit-paysan-4633
 

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