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Rwanda – Quand Kagame se désolidarise de son gouvernement

Rwanda – Quand Kagame se désolidarise de son gouvernement

Du 28 février au 2 mars s’est tenue à Gabiro, Nord-Est du Rwanda, la 12ème retraite annuelle des dirigeants rwandais connue sous le nom d’ « Umwiherero ». Le discours du président rwandais devant environ 300 dirigeants aux différentes responsabilités au niveau national en a déconcerté plus d’un. Il s’en est pris fortement à ces dirigeants, le gouvernement et les responsables de différentes institutions en premier leur reprochant une certaine incompétence et lenteur dans l’obtention de résultats.

Des problèmes persistants et lenteur des projets

Umwiherero1Avec un ton accusateur plein de frustration, le Président a demandé aux invités pourquoi plusieurs rappels étaient nécessaires qu’un simple message soit compris. « Demander 12 fois que quelque chose soit fait sans qu’il ne le soit. C’est qu’il y a un lourd problème… De ce que vous avez discuté hier, aidez-moi à comprendre ce que vous avez produit comme décision ou engagement différent des rencontres antérieures ». Le président a-t-il ainsi questionné l’assemblée sur la raison pour laquelle des décisions qui ont été prises lors des précédentes réunions ne sont pas exécutées sachant que  ce qui est demandé n’était pas impossible que ce soit au niveau des connaissances ou des finances.
Parlant des acteurs étrangers qui lui parlent de ses fonctionnaires: « certains viennent et me disent, vous savez, tel ou tel est vraiment performant, mais je ne dis pas comment vous êtes en réalité. Ils me disent même les promotions que je devrais vous donner. Comment connaissent-ils vos compétences ? Travaillez-vous pour eux ? Moi je vous couvre, je ne peux pas parler de vous avec les étrangers… ». Kagame n’hésite pas à prendre précis, s’adressant au Gouverneur de la province du Nord, Aimé Bosenibamwe, qui avait notamment été accusé de soutenir les FDLR par un soi-disant repenti de l’armée rebelle hutu : « Gouverneur de la province du Nord, quel motif peux-tu donner pour des choses que tu ne fais pas ? J’ai oublié… je ne sais quoi encore… Après toutes ces années que tu es dans l’administration ? Peux-tu oublier que tu es le gouverneur? Dans l’assemblée peu se sont évertués à donner des explications, mais aucun n’est parvenu à apaiser Kagame « en colère ».
Pendant plus d’une heure, le Président a libéré sa frustration devant une salle silencieuse, loin des applaudissements habituels. Têtes baissées, les participants semblaient redouter une interpellation de la part de l’orateur. Le Président Kagame a à plusieurs reprise tourné en dérision ses interlocuteurs qu’il reproche de « tous se prendre pour des merveilles » ou encore d’être là « heureux entrain tweeter, de bavarder ou de regarder vers le bas ».
Le chef de l’État leur a notamment demandé les progrès réalisés depuis les précédentes rencontres. Leur reprochant ainsi de venir à cette rencontre annuelle sans y mettre du sérieux et de la préparation, mais plutôt comme s’ils allaient à une activité récréative. Regrettant que certains problèmes et projets durent plus de 5ans alors que les solutions et mesures d’exécution ont été entérinées.
 
Au banc des accusés, on notera d’abord, James Musoni, ministre des infrastructures, proche et homme de confiance de Kagame, il est aussi cadre du FPR et l’un de ceux qui ont construit son trésor de guerre ainsi que Fracis Gatare, CEO de la Rwandan Development Board (RDB), l’agence de dévelopment gouvernemental, régulièrement flatté par la communauté internationalale. Ils ont été tous les deux interpellés à propos d’un imbroglio concernant la construction d’une centrale électrique. Autre personnalité politique de premier plan pointé du doigt, Fazil Harerimana, ministre de la sécurité intérieur en poste depuis 2006, un record sous l’administration Kagame, accusé de ne pas respecter les engagements pris notamment en matière de construction de prison. Enfin, le jeune secrétaire d’État à l’agriculture, Tony Roberto Nsanganire, à qui le Président reproche de toujours parler beaucoup durant les réunions sans jamais agir.

Corruption, détournement et manigances

La corruption, le détournement, la manigance dans une totale complicité mutuelle des dirigeants sont les maux qui gangrènent la classe politique rwandaise selon les concernés eux-mêmes. Le Président n’a pas manqué de dénoncer le fléau de la corruption prenant le judiciaire comme exemple : …the juges, in the judiciary, when even some tuth has come out they want to do this and try to kill itThe corruption in the judiciary is still as alive as it was yesterday, a-t-il dénoncé. Les dirigeants se sont donné l’objectif de se réveiller, dénoncer et punir les coupables. Au niveau des districts il risque d’y avoir beaucoup d’arrestations. Ce qui est moins sûr c’est de savoir si la traque des corrompus atteindra les hautes sphères dans un système de camaraderie et de favoritisme. En effet les dirigeants à la base de la pyramide ne pourraient pas s’adonner à de telles pratiques si leur hiérarchie était irréprochable.
Ce que l’homme fort du Rwanda semble ne pas remarquer c’est qu’il ne récolte que ce qu’il a semé. Dans un système où le régime a fait de l’État une grosse machine qui écrase toute voix discordante la qualifiant d’ennemie de la nation, il n’est pas étonnant que les dirigeants détournent sans s’inquiéter car celui qui ose dénoncer leurs pratiques, s’il n’est pas assez fort, tombe sous le joug de l’abus de leurs pouvoirs. Le manque de multipartisme et de la liberté de la presse contribue nécessairement à cet état des choses.

Ministres, députés, sénateurs, Gouverneurs, présidents de partis,... tous sont resté sans voix face aux remontrances du Président Kagame.

Ministres, députés, sénateurs, Gouverneurs, présidents de partis,… tous sont resté sans voix face aux remontrances du Président Kagame.

La campagne pour le changement de la constitution aurait-elle atteint une autre phase ?

Dans ce style déconcertant, plein de déconsidération pour les dirigeants traités comme des enfants têtus, indisciplinés et incompétents, le Président aura réussi à les rabaisser devant les administrés. Tous ont reconnu implicitement leur incapacité à gouverner puisque personne n’a pu « challenger » les dires de Kagame, à commencer par le Premier ministre Anastase Murekezi qui était le plus concerné par les échecs dénoncés. S’il y a dans la classe politique de la mouvance quelqu’un apte à succéder à Paul Kagame en 2017, il devait se trouver dans cette salle. Or, à sous – entendre le Président, finissant ses deux mandats autorisés par la constitution, ils seraient tous des incompétents. Ainsi celui ou celle qui était présent et qui oserait se présenter en 2017 devrait expliquer comment son « incompétence » lui permettrait d’exercer les plus hautes fonctions du pays.
Pourquoi Paul Kagame a-t-il donc choisi cette manière et ce moment pour communiquer avec les gens dans lesquels il a pourtant placé sa « confiance », et censés être les meilleurs de la nation ?
Des mots même du Président si personne n’est en mesure de lui succéder à la présidence en 2017, il [Paul Kagame] aura mal dirigé et devrait s’en aller juste pour cette raison. Suite à son discours, il y’a une impression qu’il n’y aurait pas de femmes et d’hommes capables de diriger ne serait-ce que les ministères et projets au Rwanda.
Même le Secrétaire Général du FPR a personnellement été interpellé ; le Président de la République lui demandant comment il pouvait accepter que les choses se passent de la sorte. Le parti aurait-il échoué ? Dans une vraie démocratie où les pouvoirs se contrôlent mutuellement, les dirigeants sont interdépendants, voire se craignent. Ce discours montre clairement qu’au Rwanda, le chef de l’exécutif ne craint aucune institution.

Le Chef Kagame au milieu de son audience

Le Chef Kagame au milieu de son audience


Aussi, cette manière de parler aux hauts fonctionnaires montre-t-elle en soi un homme qui se distance du reste de la classe politique, quelqu’un qui se présente comme étant totalement différent des autres, à qui revient les succès du Rwanda alors que les échecs sont du ressort des autres dirigeants. Qui oserait demander à ce qu’un homme pareil s’en aille en 2017 alors qu’il n’y a pas d’alternative à sa succession ?
Par ailleurs ce qui peut être positif de ce discours lors de cette retraite annuelle des dirigeants rwandais, est la responsabilisation des dirigeants dans une société où ceux-ci abusent de leurs pouvoirs. Kagame aura le mérite de les avoir rapprochés de leurs places : rester avec la population, travailler avec elle et pour elle. Ces hauts cadres de l’Etat étaient habitué à applaudir quand le président parlait et s’en prenait aux autres, cette fois-ci ils ont été dans le viseur, le petit peuple a applaudi, ce discours ayant plu plus d’un parmi la population rwandaise. Lui, il s’est fait « Roi-Président » et irremplaçable. Il ne reste qu’à clamer la confusion de l’Etat avec sa personne, au cas où le doute subsisterait encore pour certains, l’Etat c’est Kagame !
 
Pacifique Habimana
www.jambonews.net
 

 

 
 

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